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En route !
Anton Tchékhov   La Steppe
L'Âge d'homme - Archipel slave 2009 /  12 € - 78.6 ffr. / 151 pages
ISBN : 978-2-8251-3982-0
FORMAT : 12,5cm x 19cm

Traduction de Vladimir Volkoff
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Ce petit livre de Tchékhov, La Steppe (1888), nous invite à cheminer aux côtés d’un enfant, le long d’une route s’étirant dans les grandes plaines russes. Cet enfant, Iégorouchka, est d’abord pris en charge par son oncle négociant, Ivan Ivanytch, et le père Khristofor, lesquels le confieront ensuite à une troupe de marchands itinérants. Au bout de la steppe, il y a le lycée où il doit s’inscrire, il y a une nouvelle vie ; il y a la vie tout court, et ce qu’elle mitonne en ses chaudrons de fer… La vie qui cependant ne souffre aucun délai, et déverse bientôt des visions dans les yeux attentifs.

C’est d’abord sur la nature que ceux de Tchékhov s’attardent, la nature familière ou secrète, agitée ou réservée. Loin de se camper – ainsi que le prétend étrangement le quatrième de couverture de cette édition –, «aux antipodes des passions humaines», elle s’en fait au contraire l’écho. La steppe, aussi austère soit-elle, trésaille de vie : les animaux sauvages, les hommes, leurs histoires y font irruption puis refluent, s’agitant en des symboles qu’il n’appartient pas - hélas ! - à l’esprit humain de déchiffrer : ainsi le milan, qui «file au-dessus de la steppe comme une flèche, sans qu’on sache pourquoi il vole ni ce qu’il veut» (p.13). Force absurde mêlée d’aride langueur, voilà la steppe, voilà la vie humaine ! Toute la vie ? Non : le taedium vitae russe, mixte de nostalgie et de résignation, et conscience diffuse, chez le noble comme chez le plus humble des moujiks, des rigueurs de la nécessité, échoue à éteindre la joie et l’espérance. Sans doute, il y a le constat désespéré et lucide, tchékhovien en diable, de Iéméliane, le chantre à la voix brisée : «Mon opinion sur moi-même, c’est que je suis un homme perdu et rien de plus» (p.72). Mais la nature, au détour du chemin, donne à voir «le triomphe de la beauté, de la jeunesse, l’effloraison des forces et la soif passionnée de vivre» (p.61). La route, pour le jeune Iégorouchka, est faite d’ennui, et naturellement, de risque, mais aussi de belles surprises, de ces plaisirs simples qu’offrent par exemple au voyageur une rivière : la baignade, le jeu, le délassement...

Au cours du voyage, Iégorouchka paraît somnoler toujours : encore légèrement collées par-dessus ses yeux, ses paupières s’entrouvrent peu à peu sur un monde qui ne s’offre encore que par bribes ; mais des bribes chargées de couleur, de parfum, d’humanité, qui s’impriment dans l’âme de l’enfant et y font éclore, tantôt avec subtilité, tantôt avec violence, des sentiments jusque-là ignorés. À la faveur des étapes, des rencontres, des apparitions, des humeurs du ciel et du paysage, le voile scellant la vérité des êtres se déchire partiellement, tandis que les sensations de l’enfant (volupté, haine, colère…) naissent à elles-mêmes. «Le drame humain est dans l’intime de l’être, non dans les manifestations extérieures», disait Tchékhov. L’écrivain, dans La Steppe, excelle dans l’art d’évoquer l’intensité feutrée des impressions enfantines. Son talent a peu à voir avec celui déployé dans des pièces comme Oncle Vania ou La Cerisaie : impressionniste, il tire sa force d’évocation du flou même des sensations décrites. Ce beau passage l’illustre, où Iégorouchka, s’endormant dans un chariot, se sent recouvrir par une nuit dans laquelle se fondent les contours fantasmatiques de la belle comtesse Dranitsky, aperçue avec émerveillement dans une auberge, quelques jours auparavant.

Hormis, en fin de périple, un orage grandiose et porteur d’effroi, craché par quelque dieu colérique sur la tête nue de l’enfant, nulle péripétie, nul exploit n’émaille La Steppe : fantastique, la chevauchée l’est sans artifice ni trépidation : «La croix au bord de la route, les sacs sombres, l’espace et le destin des hommes réunis près du feu, tout cela était par soi-même si miraculeux et si effrayant que le fantastique de la fable ou du conte pâlissait et se fondait dans la vie» (p.103). L’extraordinaire, semble dire l’écrivain, se prélasse sous nos yeux : excitons-le, chatouillons-le du regard ! Car il passera : et le temps, chez Tchékov, est ce gouffre qui avale la vie et vomit la mort : le pauvre Iégorouchka découvrira bientôt, en gémissant, tel Job, sur son tas de fumier, que «tout ce qu’il avait vécu jusqu’à maintenant s’en allait en fumée et pour toujours» (p.152).


Jean-Baptiste Fichet
( Mis en ligne le 06/01/2010 )
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