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Une dispute philosophique au sujet des disputes conjugales
Sophie Tolstoï   A qui la faute ? - Réponse à Léon Tolstoï - La Sonate à Kreutzer
Albin Michel 2010 /  19 € - 124.45 ffr. / 333 pages
ISBN : 978-2-226-21522-2
FORMAT : 14cm x 20,5cm
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Les cathares avaient tranché la question, tout comme leurs adversaires d’alors, qui les éliminèrent afin de défendre au nom de la Foi la place de la sexualité dans la société. Cette question, dont les fondements et les conséquences sont suffisamment profonds et vastes pour avoir occasionné une lutte sociale et politique sans merci, Sophie et Léon Tolstoï peinent à la formuler dans toute son étendue. D’où ce titre qui sonne comme un aveu d’impuissance après une polémique puérile.

Si La Sonate à Kreutzer, de Léon Tolstoï, rencontra dès sa parution en 1891 un lectorat nombreux et peut-être attiré par l’aura sulfureuse d’un ouvrage un temps censuré, il n’en est pas de même du roman qui nous intéresse ici. A qui la faute ?, rédigé par sa femme Sophie, est aujourd’hui publié pour la première fois en France, 117 ans après avoir été terminé.

L’initiative d’Albin Michel, qui associe en un même volume les deux œuvres, rétablit une dynamique absolument nécessaire à la juste compréhension du projet de Sophie Tolstoï. Aussi, bien que cela soit contraire à l’ordre suggéré par l’édition, on ne saurait trop conseiller à ceux qui n’auraient connaissance d’aucun des deux ouvrages de commencer leur lecture par celui du mari. Non pour relativiser l’importance du talent de Sophie Tolstoï, pas même pour rétablir un semblant de «justice» en donnant la parole à son adversaire dans cette dispute, mais simplement pour respecter la chronologie et faire pleinement bénéficier ce roman, gardé longtemps secret, de la lumière qui a présidé à son écriture.

En effet, c’est la lecture du chef-d’œuvre reconnu qui permet ensuite de discerner les accusations et contre-accusations dont est émaillé l’ensemble d’A qui la faute ?. Suivant une trame simple, portée par une écriture ferme, charmante, mais aussi volontiers bucolique et moraliste, le drame qui nous est ici conté aurait pu rester noyé dans des effluves d’eau de rose. Bien qu’elle s’en défende (et bien que cela soit la seule de ses œuvres de fiction qui nous soit restée), S. Tolstoï fait preuve d’un certain métier en matière romanesque. Et ceci pourrait tourner à son désavantage, en réduisant son livre à sa seule dimension narrative, marquée par un relatif manque de subtilité et de raffinement psychologique. On trouve des traces de caricature, tant dans les traits de personnalité que dans les situations mises en scènes.

Or, l’absence de véritable recherche stylistique et le rejet du foisonnement de faisceaux convergents au profit du choix direct de l’archétype sont autant de signes : il s’agit en réalité d’une œuvre à thèse, une lettre sous-tendue par la volonté de répondre point par point à La Sonate de Kreutzer. Tel est le motif unique de l’écriture d’A qui la faute ?. Toutefois, s’il a été dit que c’était là l’expression d’une femme outragée par ce qu’elle aurait perçu comme étant des reproches infondés, il faut aller plus loin. S. Tolstoï ne fait pas que défendre son passé d’épouse et son choix de vie, elle attaque aussi une logique, celle de son mari, et défend des idées concernant une problématique : celle de la chasteté dans la vie de couple.

Pour preuve de ces ambitions plus élevées que ce qui a pu lui être supposé, ce n’est pas de sa vie que S. Tolstoï part, mais de celle de l’un des personnages de La Sonate de Kreutzer, comme cela se révèle peu à peu aux yeux d’un lecteur attentif. Attentif, il est nécessaire de l’être. Car le changement de point de vue philosophique, le renversement de la focale morale est soutenu par les moyens mis à disposition du littérateur : rythme de la narration, mise en avant de certains événements et disparitions d’autres, style et ton radicalement différents, tous les instruments permettant de révéler la subjectivité d’un personnage sont utilisés. S. Tolstoï veut montrer la souffrance d’une jeune mariée, son vécu occulté dans La Sonate à Kreutzer, mais elle désire aussi proposer une autre manière de concevoir les relations homme-femme, et les relations au sein de la famille. Elle souhaite, de manière générale, montrer à Tolstoï et à Pozdnychev (personnage principal de La Sonate à Kreutzer) qu’il serait injuste de généraliser ses opinions et attribuer aux autres son mode de penser. Afin de prouver qu’il s’agit d’un choix de perspective et non d’une perception induite par une place dans la société, S. Toltoï fait porter son analyse non seulement par sa jeune héroïne, mais également par un homme, critiquant donc directement la vision très pessimiste que semblait avoir l’auteur d’Anna Karénine au sujet de la gente masculine et sa possibilité de vivre une relation correcte avec des femmes.

Malheureusement, son méticuleux procès des relations maritales dans la haute société russe, en faisant directement écho à celui, non moins violent et pointilleux, qui est formulé dans La Sonate, se condamne à emprunter les mêmes biais, et souffre des insuffisances, certes relatives, du texte du mari. Pour mieux lui répondre, Sophie se condamne à coller au texte de Léon, et perd alors la possibilité de proposer des interprétations libres, une analyse vraiment personnelle. Acceptant la façon dont est formulé le débat (en l’occurrence un scénario, et une opposition fondamentale des hommes et des femmes, sur fond d’incapacité à vivre chastement la sexualité), elle accepte également d’aboutir dans l’impasse construite par l’œuvre étonnamment nihiliste de son mari.

Car la question de l’éducation des hommes, pourtant citée dans l’analyse de L. Tolstoï, et celle de la validité des différenciations gendrées - absente du roman -, n’apparaissent pas dans les conclusions de ce même auteur. Et c’est sans surprise mais non sans regrets qu’on les trouve également absentes de celles de S. Tolstoï.

Par ailleurs, si elle rappelle pour sa part avec talent la difficulté à saisir une opinion définie suivant des règles d’élaboration différentes de la sienne, il n’en demeure pas moins que son époux aborde dans La Sonate à Kreutzer d’autres problématiques (musique, fin de l’humanité, meurtre...), certes de façon moins centrale, mais tout aussi intéressante. Et l’on ne peut donc réduire La Sonate de Kreutzer à sa portion analysée et intelligemment critiquée par A qui la faute ?, même si ce dernier ouvrage offre une contribution majeure à l’étude de La Sonate.


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 27/09/2010 )
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