L'actualité du livre Vendredi 29 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Littérature  ->  
Rentrée Littéraire 2021
Romans & Nouvelles
Récits
Biographies, Mémoires & Correspondances
Essais littéraires & histoire de la littérature
Policier & suspense
Classique
Fantastique & Science-fiction
Poésie & théâtre
Poches
Littérature Américaine
Divers
Entretiens

Notre équipe
Essais & documents
Philosophie
Histoire & Sciences sociales
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Littérature  ->  Classique  
 

Un pays nommé Forests…
Honoré d' Urfé   L'Astrée - Première partie
Honoré Champion - Champion Classiques 2011 /  15 € - 98.25 ffr. / 700 pages
ISBN : 978-2-7453-2136-7
FORMAT : 12,5cm x 19cm

L'auteur du compte rendu : Françoise Poulet est une ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Lyon. Agrégée de lettres modernes, elle est actuellement ATER à l’Université d’Avignon et prépare une thèse sur les représentations de l’extravagance dans le roman et le théâtre des années 1620-1660, sous la direction du Professeur Dominique Moncond’huy.
Imprimer

L’Astrée, vaste somme romanesque aujourd’hui méconnue du grand public, fut l’une des œuvres les plus marquantes de la culture européenne du XVIIe siècle. Paru en quatre parties du vivant de son auteur Honoré d’Urfé, entre 1607 et 1625, complété après sa mort par Balthazar Baro, secrétaire de celui-ci, l’ouvrage contient 60 livres et dépasse les 5000 pages, ce qui rend tout travail d’édition critique extrêmement long et complexe. Une équipe de chercheurs spécialistes de la langue et de la littérature du XVIIe siècle, rattachée au laboratoire C.E.L.L.F. 17e/18e siècles de l’Université Paris-Sorbonne et réunie autour de Delphine Denis, s’est attelée à cette vaste tâche et publie cette année, aux éditions Champion Classiques, le premier des cinq tomes en préparation.

L’histoire, aux multiples intrigues enchâssées, s’inscrit dans la Gaule du Ve siècle après Jésus-Christ, envisagée de manière tout à fait fictive. Le Forez est alors la terre d’élection d’une communauté de bergers, qui, loin de se définir comme rustres et grossiers, sont des êtres raffinés, de noble extraction, qui ont fui la corruption des cités. Dans l’écrin que leur offre la nature, les amants cultivent les gentillesses de l’amour en exprimant leurs sentiments par le chant et la poésie ; d’où l’insertion fréquente dans le texte d’épîtres et de pièces versifiées.

Si L’Astrée apparaît comme le dernier des grands romans pastoraux européens, qui referme la tradition de L’Arcadie de Sannazar (1504) et de La Diane de Montemayor (1559), il n’en demeure pas moins que son influence fut centrale pour l’ensemble du XVIIe siècle : la mode des bergeries gagna le théâtre, mais aussi les jeux mondains pratiqués par les cercles galants du temps. Les grands romans héroïques des années 1630-1660, composés par des auteurs comme Gomberville, La Calprenède, ou Mlle de Scudéry, en furent considérablement nourris. L’œuvre d’Honoré d’Urfé donna également lieu à de nombreuses parodies : on peut notamment citer Le Berger extravagant de Charles Sorel (1627-1628).

L’impact de l’ouvrage ne fut pas seulement littéraire : il inspira aussi les arts picturaux et l’iconographie de l’Âge classique. L’univers de L’Astrée se retrouve dans les tableaux, les tapisseries, les sculptures et les décorations du temps. Bien plus, selon le mot de Maurice Magendie, le roman constitua le véritable «bréviaire de l’honnête homme» : par le biais de ses intrigues sentimentales, bien moins rébarbatives à lire que les traités de morale, il servit d’important relais dans la diffusion de l’idéal social et éthique de l’honnêteté, en enseignant aux gens du monde à pratiquer les délicatesses de l’amour avec politesse et raffinement. De nombreuses anecdotes rapportent comment, dans les cercles mondains du XVIIe siècle, on jouait à s’interroger sur le contenu des différents volumes afin de tester si l’on savait bien «son Astrée» («Introduction», p.70), le nom des personnages de l’œuvre se transformant en autant d’antonomases.

Jean-Jacques Rousseau, dans ses Confessions, raconte encore comment, dans la première moitié du XVIIIe siècle, l’on pouvait penser, en confondant, tel Don Quichotte, la fiction et la réalité, que les bergers de L’Astrée étaient toujours les seuls habitants du Forez : «Je me rappelle seulement encore qu’en approchant de Lyon je fus tenté de prolonger ma route pour aller voir les bords du Lignon ; car, parmi les romans que j’avais lus avec mon père, l’Astrée n’avait pas été oubliée, et c’était celui qui me revenait au cœur le plus fréquemment. Je demandai la route du Forez ; et tout en causant avec une hôtesse, elle m’apprit que c’était un bon pays de ressource pour les ouvriers, qu’il y avait beaucoup de forges, et qu’on y travaillait fort bien en fer. Cet éloge calma tout à coup ma curiosité romanesque, et je ne jugeai pas à propos d’aller chercher des Dianes et des Sylvandres chez un peuple de forgerons» (livre IV).

En 2006, Pastorale, opéra de Gérard Pesson, comme, en 2007, Les Amours d’Astrée et de Céladon, dernier film d’Éric Rohmer, ont prouvé que l’œuvre d’Urfé était encore capable de nourrir l’imaginaire artistique des temps présents. À l’encontre de telles démarches, cette publication de la première partie de L’Astrée n’entend pas présenter l’œuvre dans toute son étrangeté d’objet appartenant au passé. Mais il ne s’agit pas davantage d’en gauchir l’interprétation pour en faire un texte résolument moderne. L’équipe à l’origine de cette édition a eu pour principale visée d’offrir aux lecteurs une œuvre difficilement accessible et d’en faciliter au maximum la compréhension : c’est à la fois un texte lointain, du passé, et un objet proche et familier qu’il nous est alors donné de nous approprier.

Depuis 1984, le lecteur avait déjà à sa disposition le volume publié par Jean Lafond dans la collection Folio Classique. Mais il ne s’agissait là que de morceaux choisis. L’ouvrage édité par Champion Classiques présente l’avantage de publier une version intégrale du texte, la première du genre depuis la fin de l’Âge classique, à partir du texte le plus diffusé au XVIIe siècle, corrigé en fonction des différentes éditions publiées du vivant d’Honoré d’Urfé, et accompagné d’un riche appareil de notes. Le volume comprend également une reproduction des gravures en taille-douce qui illustraient l’édition de 1632-1633 parue chez Augustin Courbé et Antoine de Sommaville.

Mettant à profit l’alliance du livre papier et du numérique, ce volume se présente également comme indissociable d’un site internet, celui du Règne d’Astrée (www.astree.paris-sorbonne.fr). Leur complémentarité s’explique par le projet de mettre à la disposition du lecteur l’exhaustivité des options éditoriales concurrentes et des variantes du texte, ce que les limites du format papier ne permettaient pas de réaliser. Le site internet offre ainsi la possibilité d’effectuer des recherches lexicales sur le texte du roman, numérisé au format XML TEI. Il se destine également à publier les continuations rivales de l’œuvre (les conclusions de Baro et de Gomberville), de même que les réécritures entamées à partir de 1678 et l’édition illustrée attribuée à l’abbé Souchay (1733).

Cette publication, soutenue par le Ministère de la Culture dans la mesure où elle vient combler l’une des «Lacunes du patrimoine», résulte donc d’un considérable travail philologique, qui, tout en s’adressant à un public d’étudiants et d’universitaires, saura très certainement conquérir tout lecteur curieux de découvrir un ouvrage qui compta parmi les livres les plus lus pendant près de deux siècles.


Françoise Poulet
( Mis en ligne le 12/12/2011 )
Imprimer
 
SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

 
  Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
Site réalisé en 2001 par Afiny
 
livre dvd