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Littérature -> Classique |
| Honoré d' Urfé L'Astrée - Première partie Honoré Champion - Champion Classiques 2011 / 15 € - 98.25 ffr. / 700 pages ISBN : 978-2-7453-2136-7 FORMAT : 12,5cm x 19cm
L'auteur du compte rendu : Françoise Poulet est une ancienne élève de lÉcole Normale Supérieure de Lyon. Agrégée de lettres modernes, elle est actuellement ATER à lUniversité dAvignon et prépare une thèse sur les représentations de lextravagance dans le roman et le théâtre des années 1620-1660, sous la direction du Professeur Dominique Moncondhuy. Imprimer
LAstrée, vaste somme romanesque aujourdhui méconnue du grand public, fut lune des uvres les plus marquantes de la culture européenne du XVIIe siècle. Paru en quatre parties du vivant de son auteur Honoré dUrfé, entre 1607 et 1625, complété après sa mort par Balthazar Baro, secrétaire de celui-ci, louvrage contient 60 livres et dépasse les 5000 pages, ce qui rend tout travail dédition critique extrêmement long et complexe. Une équipe de chercheurs spécialistes de la langue et de la littérature du XVIIe siècle, rattachée au laboratoire C.E.L.L.F. 17e/18e siècles de lUniversité Paris-Sorbonne et réunie autour de Delphine Denis, sest attelée à cette vaste tâche et publie cette année, aux éditions Champion Classiques, le premier des cinq tomes en préparation.
Lhistoire, aux multiples intrigues enchâssées, sinscrit dans la Gaule du Ve siècle après Jésus-Christ, envisagée de manière tout à fait fictive. Le Forez est alors la terre délection dune communauté de bergers, qui, loin de se définir comme rustres et grossiers, sont des êtres raffinés, de noble extraction, qui ont fui la corruption des cités. Dans lécrin que leur offre la nature, les amants cultivent les gentillesses de lamour en exprimant leurs sentiments par le chant et la poésie ; doù linsertion fréquente dans le texte dépîtres et de pièces versifiées.
Si LAstrée apparaît comme le dernier des grands romans pastoraux européens, qui referme la tradition de LArcadie de Sannazar (1504) et de La Diane de Montemayor (1559), il nen demeure pas moins que son influence fut centrale pour lensemble du XVIIe siècle : la mode des bergeries gagna le théâtre, mais aussi les jeux mondains pratiqués par les cercles galants du temps. Les grands romans héroïques des années 1630-1660, composés par des auteurs comme Gomberville, La Calprenède, ou Mlle de Scudéry, en furent considérablement nourris. Luvre dHonoré dUrfé donna également lieu à de nombreuses parodies : on peut notamment citer Le Berger extravagant de Charles Sorel (1627-1628).
Limpact de louvrage ne fut pas seulement littéraire : il inspira aussi les arts picturaux et liconographie de lÂge classique. Lunivers de LAstrée se retrouve dans les tableaux, les tapisseries, les sculptures et les décorations du temps. Bien plus, selon le mot de Maurice Magendie, le roman constitua le véritable «bréviaire de lhonnête homme» : par le biais de ses intrigues sentimentales, bien moins rébarbatives à lire que les traités de morale, il servit dimportant relais dans la diffusion de lidéal social et éthique de lhonnêteté, en enseignant aux gens du monde à pratiquer les délicatesses de lamour avec politesse et raffinement. De nombreuses anecdotes rapportent comment, dans les cercles mondains du XVIIe siècle, on jouait à sinterroger sur le contenu des différents volumes afin de tester si lon savait bien «son Astrée» («Introduction», p.70), le nom des personnages de luvre se transformant en autant dantonomases.
Jean-Jacques Rousseau, dans ses Confessions, raconte encore comment, dans la première moitié du XVIIIe siècle, lon pouvait penser, en confondant, tel Don Quichotte, la fiction et la réalité, que les bergers de LAstrée étaient toujours les seuls habitants du Forez : «Je me rappelle seulement encore quen approchant de Lyon je fus tenté de prolonger ma route pour aller voir les bords du Lignon ; car, parmi les romans que javais lus avec mon père, lAstrée navait pas été oubliée, et cétait celui qui me revenait au cur le plus fréquemment. Je demandai la route du Forez ; et tout en causant avec une hôtesse, elle mapprit que cétait un bon pays de ressource pour les ouvriers, quil y avait beaucoup de forges, et quon y travaillait fort bien en fer. Cet éloge calma tout à coup ma curiosité romanesque, et je ne jugeai pas à propos daller chercher des Dianes et des Sylvandres chez un peuple de forgerons» (livre IV).
En 2006, Pastorale, opéra de Gérard Pesson, comme, en 2007, Les Amours dAstrée et de Céladon, dernier film dÉric Rohmer, ont prouvé que luvre dUrfé était encore capable de nourrir limaginaire artistique des temps présents. À lencontre de telles démarches, cette publication de la première partie de LAstrée nentend pas présenter luvre dans toute son étrangeté dobjet appartenant au passé. Mais il ne sagit pas davantage den gauchir linterprétation pour en faire un texte résolument moderne. Léquipe à lorigine de cette édition a eu pour principale visée doffrir aux lecteurs une uvre difficilement accessible et den faciliter au maximum la compréhension : cest à la fois un texte lointain, du passé, et un objet proche et familier quil nous est alors donné de nous approprier.
Depuis 1984, le lecteur avait déjà à sa disposition le volume publié par Jean Lafond dans la collection Folio Classique. Mais il ne sagissait là que de morceaux choisis. Louvrage édité par Champion Classiques présente lavantage de publier une version intégrale du texte, la première du genre depuis la fin de lÂge classique, à partir du texte le plus diffusé au XVIIe siècle, corrigé en fonction des différentes éditions publiées du vivant dHonoré dUrfé, et accompagné dun riche appareil de notes. Le volume comprend également une reproduction des gravures en taille-douce qui illustraient lédition de 1632-1633 parue chez Augustin Courbé et Antoine de Sommaville.
Mettant à profit lalliance du livre papier et du numérique, ce volume se présente également comme indissociable dun site internet, celui du Règne dAstrée (www.astree.paris-sorbonne.fr). Leur complémentarité sexplique par le projet de mettre à la disposition du lecteur lexhaustivité des options éditoriales concurrentes et des variantes du texte, ce que les limites du format papier ne permettaient pas de réaliser. Le site internet offre ainsi la possibilité deffectuer des recherches lexicales sur le texte du roman, numérisé au format XML TEI. Il se destine également à publier les continuations rivales de luvre (les conclusions de Baro et de Gomberville), de même que les réécritures entamées à partir de 1678 et lédition illustrée attribuée à labbé Souchay (1733).
Cette publication, soutenue par le Ministère de la Culture dans la mesure où elle vient combler lune des «Lacunes du patrimoine», résulte donc dun considérable travail philologique, qui, tout en sadressant à un public détudiants et duniversitaires, saura très certainement conquérir tout lecteur curieux de découvrir un ouvrage qui compta parmi les livres les plus lus pendant près de deux siècles.
Françoise Poulet ( Mis en ligne le 12/12/2011 ) Imprimer | | |
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