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Les chants d'un homme
Jacques Bertin   Les Traces des combats - Poèmes et chansons - 1993 à 2010
Le Condottiere 2013 /  18 € - 117.9 ffr. / 280 pages
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A l'heure où l’aculturation est promue en hygiène de vie, où la décérébration est proposée comme méthode d'amélioration du bien-être et où la consommation tient lieu de religion globale, notre époque a la chance d'avoir des poètes qu'elle ne mérite pas. Dans cette France qui a tant de mal à continuer de promouvoir les idéaux d'émancipation, de partage, d'éducation populaire et de promotion sociale si chers pourtant à nos manuels d'histoire et aux discours officiels de la République, survivent quelques résistants à la médiocrité qui vont leur chemin, dignes et inflexibles, indifférents aux modes et aux amicales pressions ambiantes à lâcher un peu de lest.

L'un de ces résistants, c'est Jacques Bertin, journaliste, écrivain, poète, chanteur, un personnage complet en somme qui exprime du mieux qu'il peut son humanité. Résistant assurément, qui non seulement n'évite jamais la bagarre mais la cherche et prend des coups. Heureusement, Bertin est un personnage plein de ressources qui ne compte plus que sur lui depuis un bon bout de temps. Il s'est organisé depuis sa retraite de Chalonnes-sur-Loire, son lieu, sur lequel s'ouvre d'ailleurs le présent ouvrage (Retour à Chalonnes), et se débrouille plutôt bien. De là, il anime avec quelques amis des structures de diffusion artisanales : Velen, sa maison de disques et Le Condottiere, sa maison d'édition (on se reportera au site de Velen à l'adresse http://velen.chez-alice.fr). Tant qu'à faire, il est également son propre producteur de spectacles. Bertin est ainsi bien organisé pour qu'on ne puisse pas l'empêcher de penser, de chanter ou d'écrire sur les sujets les plus variés (le lecteur pourra par exemple consulter ses différents livres en prose ou le site de Velen : on ne s'ennuiera pas, c'est garanti). Un public maquisard certes restreint, mais fidèle, lui assure une autonomie modeste et fière.

Avec Les Traces des combats, Jacques Bertin nous offre l'intégralité des textes poétiques qu'il a écrits entre 1993 et 2010. C'est donc en quelque sorte la suite de Plain-chant, pleine page (Arléa, 1992) et de Blessé seulement (Escampette, 2005). Le présent recueil est découpé en deux parties de tailles à peu près égales. La première s'intitule ''Chansons'' et rassemble les textes mis en musique sur les sept disques que Bertin a fait paraître entre La Blessure sous la mer et Comme un pays, auquel il faut ajouter le texte d'Adieu, amis de ma jeunesse figurant sur le disque La Bande des cinq. A une exception près, les paroles des chansons de son opus de 2013, L'Etat des routes, ne font pas partie de l'ouvrage, paru avant. La seconde partie de l'ouvrage, ''Poèmes'', rassemble les séries La Légende d'Anne-Marie, Poèmes d'hiver et Blessé seulement (suite) ainsi qu'une Petite méditation pour l'espérance en temps de paix. Cette seconde partie contient des textes non chantés au moment de la parution, et seul le texte intitulé L'Hiver en France a depuis été mis au programme de L'Etat des routes.

Contrairement à l'opinion la plus fréquemment rencontrée chez l'homme de la rue aux oreilles de qui la chanson n'arrive que par les radios, la télévision ou les supermarchés, la grande chanson française - celle qui rimait avec humanité, intelligence et poésie - n'est pas morte avec Leclerc, Brassens, Ferré, Brel et les quelques autres de cette génération qui sont encore aujourd'hui considérés comme les pères fondateurs de la chanson dite à texte. Jacques Bertin est là, parmi quelques autres, mais au premier rang, pour nous le prouver. La différence avec ses illustres prédécesseurs est que le système commercial ambiant refuse de le diffuser et n'essaie d'ailleurs même pas de le récupérer, ce qui justifie l'autarcie évoquée précédemment.

Bertin est un auteur-compositeur-interprète, qui sait d'où il vient et qui reste fidèle à son histoire et à l'Histoire. Il fait partie de ceux qui ne comptent pas leurs efforts (ni leur plaisir) à conserver vivant le patrimoine poétique et chansonnier français et qui n'ont pas honte, tout au contraire, de dire leur dette ou leur gratitude. Un travail utile, de service public, au regard du manque d'empressement des autorités françaises à mettre en route un conservatoire de la chanson, alors même que cet art a toujours été intimement lié – et cela même avant Béranger (Pierre-Jean, pas François) et les goguettes – à l'histoire, aux révolutions sociales, à la culture et à la vie même de la France. Ainsi, depuis longtemps, Bertin n'hésite pas à chanter les autres autant que lui-même : Aragon, c'est classique, mais aussi par exemple Bérimont, Cadou ou Jacottet, ce qui l'est moins. On se souvient notamment d'un beau disque intitulé Changement de propriétaire, enregistré il y a plus de trente ans. Ajoutons que tous ces auteurs et beaucoup d'autres encore, Bertin les fait également chanter chaque été depuis bientôt dix ans aux participants à ses ''Ateliers de restauration du patrimoine chanté''.

Quant à ses propres textes, Bertin les chante souvent. Lorsqu'ils ne lui paraissent pas devoir l'être, il les livre sous forme de poésie écrite, comme ici, et même parfois dites puisqu'il propose depuis quelques temps - c'est là une idée pleine d'espoir - des lectures publiques en parallèle à ses concerts. S'il est parfois difficile de savoir précisément pourquoi tel de ses textes n'a pas été mis en musique et tel autre oui, on observe que la capacité à porter le chant d'un texte est un souci important pour l'auteur des Traces. En même temps, on voit bien que les textes chantés passent bien l'épreuve de la lecture pure. La question des différences entre les deux sœurs poésie et chanson se pose alors naturellement. Est-ce la chanson qui est une sous-poésie comme le veut l'opinion habituelle ? Ou est-ce la poésie écrite qui est une sous-chanson comme tant de poètes nous l'indiquent en intitulant leurs textes «chanson» (de la plus haute tour, des gueux, d'automne...) ? Ici, on notera cependant le changement de statut de L'Hiver en France, cité plus haut.

Quant à l'écriture poétique de Jacques Bertin, elle est de forme classique, le plus souvent rimée et ne s'embarrasse pas de théories ou d'abstractions. Elle ne cherche pas à faire savante, mais elle est évidemment exigeante. Pas prétentieuse dans la forme, franche, elle est concrète mais pas élémentaire. Elle se réserve le privilège de la liberté et de l'apparente clarté, même si l'on devine juste en-dessous des mots posés noir sur blanc sur la feuille un fourmillement complexe de sens et d'impressions. Cette apparente simplicité s'articule autour de mots et d'idées qui la rendent reconnaissable entre toutes. Il y a ceux qui disent les sentiments des hommes debout : amitié, ferveur (n'est-ce pas son mot préféré ?), fidélité, paix. Il y a aussi ceux, exprimant des réalités palpables, que d'autres ont délaissés de peur d'être taxés de «vieille France», et que Bertin, lui, recueille précieusement. Il évoquera alors un fleuve, une maison, une main, le temps qui passe ou bien qu'il fait. Et puis il y a encore les verbes d'actions humaines les plus nobles : aimer, pardonner, vivre, etc. Tous ces mots, Bertin les assemble pour en faire des textes sobres, pudiques et lyriques souvent à la première personne. L'effet final produit par les textes du recueil s'apparente à celui laissé par la lecture de la lettre reçue d'un ami authentique. Du coup, bien sûr, ce sont encore une fois ses résistances que Bertin chante ainsi, résistance à tous les mauvais coups de la vie... et cela en fait pas mal. Ce seront le temps perdu, la perte d'un être aimé, le manque du fils... Cela touche au cœur de l'humain et cela peut brûler, mais nous aimons le mal que nous font ces chansons, n'est-ce pas ?

L'un des textes du présent recueil, Aux funérailles au funambule, est une admirable histoire de poésie vivante. C'est le seul texte du recueil dont la paternité est partagée, en l'occurrence avec Allain Leprest, un autre très grand poète et chantauteur, qui appréciait particulièrement Bertin. On reconnaît d'ailleurs bien la patte de chacun des deux coauteurs et, de ce point de vue, l'étude du texte est passionnante. En 2005, Leprest était venu voir Bertin au Forum Léo Ferré d'Ivry et avait griffonné des bribes de poème durant son concert. Il avait ensuite confié ce texte à Bertin, probablement avec l'idée vague qu'il pourrait arriver ce qui arriva : que Bertin le finisse. Cette anecdote et les documents qui lui sont liés et qu'on peut retrouver sur le site de Velen donnent l'occasion de voir quelque chose qu'on voit rarement, de la poésie en train de se faire. Rêvons un peu : cela pourrait déboucher sur de belles leçons et de fructueuses réflexions à qui veut les entendre sur la façon dont naissent les textes poétiques.

Le Condottiere publie ce livre et c'est donc directement à la source qu'on ira se procurer ce recueil magnifique. D'abord parce qu'il n'est pas sûr qu'on puisse faire autrement mais surtout parce que ce circuit court est la meilleure façon de contribuer au développement de la poésie de Bertin.


Alexandre Pavin
( Mis en ligne le 28/02/2014 )
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