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Littérature -> Poésie & théâtre |
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La loi de l’offre et de la demande | | | Dominique Wittorski ReQuiem - (With a happy end) Actes Sud - Actes Sud - Papiers 2007 / 9,50 € - 62.23 ffr. / 63 pages ISBN : 978-2-7427-6995-7 FORMAT : 15,0cm x 20,5cm Imprimer
En temps de guerre, une famille de boucher en pénurie de viande se lance dans le commerce dorganes pour subvenir à ses besoins. Mais pour les récupérer, elle décide de supprimer une à une quelques personnes choisies au hasard. Au moyen de téléphones cellulaires, elle localise ses victime puis leur envoie un missile censé les détruire en un rien de temps. Sensuit la quête des organes qui nont pas été trop endommagés par lexplosion. Les affaires reprennent jusquà ce que le chef de famille tombe subitement malade et ait recours à une éventuelle transplantation.
De prime abord, ça nest pas gai, sauf que le postulat de Wittorski est de peindre de manière symbolique la société de consommation telle quelle existe aujourdhui en imaginant ce quelle pourrait produire lors de crises plus graves, comme un conflit par exemple. Celle-ci, malgré ce quelle laisse transparaître, nest en fait que la version moderne dune société archaïque où la survie, lindividualisme, le non-respect de lidentité et de lêtre en général prévalent sur le reste. Ici, chacun pour sa peau. Donc on pique celle des autres ! Dans un autre temps, on se battait pour des denrées élémentaires, aujourdhui, on pratique un commerce ignoble en sadaptant à la situation. Guerres militaire et économique sont désormais indéfectibles. En temps de guerre, la morale est mise entre parenthèse, disait Jean-Paul Sartre. Cest tout à fait le cas dans cette pièce.
En décrivant les poncifs de la société moderne en matière technologique, Wittorski montre comment ces objets ultra-performants se retournent contre lhomme avec lutilisation du progrès comme prétexte permanent : le téléphone mobile sert à pister les utilisateurs, Bog est chirurgien, donc homme de sciences, mais il fait preuve de peu de scrupules en participant à ce type dépuration et en achetant pour ses patients les organes au boucher Hejdouk. Dailleurs, Wittorski fait dire à lun de ses personnages qui ramène un corps, lorsquon lui demande de quoi il est mort : «Sais pas. Je sais juste ce quil faut pour la sécurité sanitaire. Parfait état.»
La pièce est volontairement cynique car notre monde lest tout autant. Et cest en grossissant les trais que lon parvient à comprendre les mécanismes pervers du libéralisme mondial. Sous couvert de léloge de la technique, de la santé, de la recherche, il fait oublier quil gère avant toute chose des flux dargent énormes au détriment de la liberté, de la survie de lespèce et du coup dune certaine éthique quil faudrait peut-être préserver. Et pour bien camoufler le tout, il y verse de la morale, celle du bien que seul le progrès véhicule habituellement. Or ici, le bien côtoie le mal, avec le problème éthique des transplantations, problème qui intervient chez Hejdouk à la fin de la pièce, qui commence à se demander sil ne faut pas mieux quil meure au lieu de participer à ce qui est aussi devenu un commerce. Il est vrai que pour laider dans son choix et pour servir la dramaturgie, lauteur fait revenir de lau-delà les propres victimes du boucher pour le sermonner à son chevet.
ReQuiem fait penser, si lon veut à tout prix le classer dans un style particulier, au théâtre de Beckett. Plusieurs aspects frappent dans ce sens : Atmosphère post-apocalyptique, personnages déclassés qui portent des noms déshumanisés : Tzaa, Lla, Aa, Bog, Yul, Oo, Aa, etc., cynisme volontaire dans le dialogue et manière légère voire comique dévoquer le drame humain, la condition misérable de lhomme, enfin, une vision ultra-pessimiste de lunivers dans sa totalité.
Enfin, et cest ce qui est politiquement incorrect en ce moment, lauteur ne se prive pas dapporter une vision critique, en tout cas problématique, de la médecine daujourdhui, qui, à force de progrès, de volonté permanente de faire de lhomme une machine indestructible, oublie que la mort est présente en et pour chacun de nous, et quil faut à un moment ou un autre arrêter de sacharner sur un corps en fin de vie pour le maintenir à tout prix dans ce monde. La vie est tragique car elle se finit par une disparition pure et simple de tout être vivant. Dailleurs, pris par quelques réflexions dordre philosophique sur lintérêt de retarder léchéance fatale, le personnage du boucher décide den finir lui aussi. Les transplantations étant quelque part des petites morts avant le grand saut. Bref, la pièce pose aussi ce type de questions.
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 05/11/2007 ) Imprimer | | |
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