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Donner à voir...
Entretien avec Frédéric Castaing - (Siècle d'enfer, Au Diable Vauvert, Août 2009)


- Frédéric Castaing, Siècle d'enfer, Au Diable Vauvert, Août 2009, 336 p. 18 €, ISBN : 978-2-84626-203-3
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Parutions.com : D'où vous vient cette vision du monde ? Un monde qui, en partie, n'est pas éloigné de celui d'aujourd'hui, mais où tout est aussi exagéré et extrêmement violent...

Frédéric Castaing : Plutôt qu'une exagération, je dirais que c'est une forme d'anticipation. Mais pas dans des siècles. Je pense que la société d'aujourd'hui va dans cette direction. Et, quand je dis anticipation, c'est beaucoup plus sur un mode réaliste, à la Flaubert. Une anticipation quasiment pour demain, une anticipation imminente, si vous voulez.

Parutions.com : Une vision de demain.

Frédéric Castaing : Je pense, oui. Parce qu’écrire un roman, finalement, ce n'est pas faire du journalisme. Le roman, c'est autre chose ; je pense que le romancier peut dégager des tendances. J'essaie de donner ce qui est à mon sens le rythme de notre époque, ce vers quoi tend la société d'aujourd'hui.

Parutions.com : Pouvez-vous expliquer ce que sont les Migs, les Flexis et les Glams?

Frédéric Castaing : Les Flexis, ce serait finalement une catégorie sociale d'aujourd'hui… Plus personne n'a un travail, un vrai travail, un vrai salaire ; il faut être flexible, il faut bouger, il faut changer, il faut accepter de laisser sa maison, ses enfants, l'école, pour aller ailleurs, être flexible. Ensuite, les Migs, ce sont les migrants, les immigrants qu'on fait venir pour les payer moins cher, pour le travail. Et puis les Glams, c'est une catégorie, comment dirais-je, du glamour, reconnaissable à ses vêtements, son allure... C'est une catégorie sociale un peu particulière. Ces catégories dessinent une tendance générale de la société d'aujourd'hui. Je pense que la société tend vers ce type d'organisation sociale. Mais c'est une vision personnelle. Il y a d'autres conceptions, d'autres réflexions, d'autres façons de sentir ces tendances, ces rythmes du monde. Moi, je les vois comme ça.

Parutions.com : Oui, j'ai remarqué cette sorte d'ouverture à la lecture : à la fin du roman, Robert écrit à Vendredi (le narrateur) sur la façon qu’a ce dernier de voir les choses, une façon à lui et avec laquelle tout le monde ne serait pas nécessairement d'accord.

Frédéric Castaing : Exactement. Ça, c'est aussi l'honnêteté du romancier. C'est une qualité foncière, parce que le romancier ne délivre pas de message. Il n'a pas à dire ce qui est juste ou pas. Le rôle du romancier, pour moi, est de simplement donner à voir. Ensuite, le lecteur en pense ce qu'il veut. On peut estimer comme Robert que, finalement, l'horizon ultime de la société en général et du monde d'aujourd'hui, c'est l'état actuel de la société, comme on peut considérer que, peut-être, il y a d'autres possibilités, d'autres choses. C'est au lecteur de trancher.

Parutions.com : En même temps, il y a beaucoup d'humour dans le roman. Est-ce que cela indique qu'il ne faut pas le prendre trop au sérieux ?

Frédéric Castaing : C'est comme la vie : il y a un peu d'humour, il y a la détresse, le plaisir et l'angoisse. Non, je crois que c'est bien, justement, si l’on élargit cette question à la littérature en général : pour moi, il n'y a pas de genre particulier, donc il n'y a pas une façon humoristique ou une façon sérieuse de régler le problème. Il y a une façon de voir les choses telles que moi je les ressens, avec ma part d'ombre et de lumière, ma part d'humour et de sérieux, de la même façon qu'on peut dire que ce roman fait partie de plusieurs genres. On me dit, «Mais alors, t'écris quoi, t'écris un polar ? un roman ?" Mais c'est un peu de tout ! De la même façon, excusez-moi de la comparaison, mais on ne peut pas dire que Don Quichotte soit d'un genre particulier. Justement, la grandeur de Don Quichotte, c'est qu'il concentre tous les genres. C'est un peu ce vers quoi je tends, toutes proportions gardées. On peut emprunter au polar, on peut emprunter à la littérature intimiste, on peut emprunter à tout ce que l'on veut, d'ailleurs. L'écrivain est libre ! Il peut faire ce qu'il veut, il peut utiliser ce qu'il veut, il peut recourir à l'humour ou pas. Ensuite, le lecteur juge.

Parutions.com : Est-ce que ce monde vu par Vendredi reflète votre façon de voir les choses ou est-ce que votre propre vision du monde est plus optimiste, plus légère ?

Frédéric Castaing : Non... Plus optimiste. Mais le livre incarne ma vision du monde, mes hantises, mes impressions d'homme, mes intuitions, tout cela ! Pessimiste ? Pas vraiment ; je pense que tout se termine sur une note optimiste, qui passe justement par l'écriture. Rica, l'héroïne qui se taillade, qui se fait des scarifications, est mal dans sa peau ; à la fin, elle explique ce que les psys lui ont toujours dit : "le jour où je commencerai à écrire au lieu de taillader ma peau, j'aurai fait un progrès". Or elle explique à la fin qu'elle écrit quelque chose, et elle dit que c'est chaud, que c'est tendre, sensuel. L'écriture est donc d'une certaine façon une prise de conscience aussi. Et comment est-ce que Rica a-t-elle cette réflexion? Parce qu'elle a vu les infirmières à l'hôpital, qui ont mis noir sur blanc leurs revendications. Et ça aussi, c'est une forme d'espoir ; on met les choses noir sur blanc, on les écrit, on les dit, on en prend conscience, et ça, pour moi, c'est une forme d'optimisme.

Parutions.com : Comment est-ce que vous voyez le rapport entre la forme et le fond dans ce roman, au niveau du style d'écriture et de son évolution?

Frédéric Castaing : Je pense que tout sujet, la littérature ou les arts en général, se ramène à une question, qui est la question de la violence. La violence et les pièges de la vie comme le fait que vous n'avez pas choisi votre visage, votre corps, où vous êtes, l'époque dans laquelle vous êtes né, vos parents, la vie que vous menez... D'une certaine façon vous avez assez peu de choix. Et puis d'une façon générale, est-ce que la mort n’est pas la violence ultime ? On sait, si on réfléchit une minute, qu'on part tous à la catastrophe, et que la seule vérité, c'est la mort, au bout. Et ça, c'est une violence rédhibitoire, capitale. Et puis il y a la violence sociale autour de nous - les injustices auxquelles on ne peut être insensibles, auxquelles nous sommes nombreux à être sensibles, en tout cas.

Je pense que, consciemment ou inconsciemment, toute œuvre d'art, et donc tout livre, tout roman, toute littérature, est une forme de révolte contre cette violence. Voilà pour le fond. Quant à la forme... J'estime que l'écriture peut être aussi une forme de révolte contre cette violence, mais une révolte consciente. Le style est celui de la panique contrôlée. On sait ainsi que l'on va vers le précipice, on sait que l'on va vers la catastrophe ultime, et l’on va tout écrire, on va tout expliquer, et puis on va y mettre du style, on va raconter, et puis on va dire les choses. Ça c'est le premier aspect, ce ton de panique contrôlée, qui à mon avis transparaît dans le roman.

Il y a ensuite ce que j'ai déjà dit : donner à voir, sans message. Il me semble que la leçon de Flaubert - le réalisme, la précision, l'absence du sentimentalisme - a été perdue en France, et qu'elle a été récupérée par les Américains, pour revenir en France grâce à des auteurs comme Dashiell Hammett, Dos Passos et Hemingway. Et c'est ce ton-là que j’aime, un ton qui s'inspire un peu du cinéma, qui donne à voir. Enfin, dernier point qui me paraît très important, la musique, le ton, le rythme. J’ai baigné dans les oeuvres de tous ces auteurs... J'ai reçu récemment des lettres de Céline [Frédéric Castaing est libraire, expert en autographes et documents historiques - NDLR] qui, après Voyage au bout de la nuit, alors qu’il est en train de finir Mort à crédit, annonce à son éditeur : «Vous allez recevoir Mort à crédit, l'écriture, elle voltige encore plus que dans le précédent». C'est ce mot-même, «voltige». C'est ça qui m'intéresse vraiment. Une écriture qui voltige, avec un rythme, de la légèreté, de la rapidité : car on ne peut pas être lourd ; la lourdeur, je crois, c'est la bêtise. Il faut être léger.

Parutions.com : Peut-être que cela fait partie de la légèreté dont vous venez de parler : les images dans le roman sont toujours très nettes, crues ou simples, comme un jeu vidéo ou un film animé...

Frédéric Castaing : Oui, c'est possible, en effet. Pour moi, cela emprunte en partie au cinéma, parce que j'aime beaucoup le cinéma. Ce qui m'intéresse, ce qui me frappe, ce que j'essaie de retrouver dans l'écriture, c'est un peu de cinéma. Il y a très peu de dialogues, finalement, dans le roman. C'est beaucoup plus du cinéma muet. Je crois que la pureté pour moi, c'est en effet le cinéma muet, c'est donner à voir, encore, c'est Buster Keaton. Voyez, Buster Keaton ne ment pas. Il ne faut pas mentir…

Parutions.com : Qu'est-ce que vous voulez montrer par la tendance qu'à Vendredi de désigner presque toutes les personnes qu'il voit par des étiquettes très simples, des blonds, l'homme en gris...

Frédéric Castaing : Je pense que tout doit être visuel : donner à voir, toujours. Quand de simples silhouettes passent dans l'histoire, je veux suggérer la chose par un regard fugitif ; on ne voit qu'une chevelure blonde, qu’un imper-rouge. Ça permet la rapidité, une efficacité, et c'est cela que je recherche. Il faut toujours être léger, il faut toujours ne pas être figé, sinon on s'appesantit. Pas la peine d'en dire plus, si la personne en question n'aura pas d'importance dans la suite du récit. Ça provoque, j'espère, une vision qui fait qu'immédiatement on voit de quoi il s'agit ; globalement, une silhouette. Prenez par exemple Imper-mastic, c'est cette personne qui apparaît régulièrement et qui représente un peu le lien avec l'Etat, la police, les institutions. On n'entre pas dans la vie privée de ce personnage, il reste ainsi, comme une silhouette.

Parutions.com : Souhaitez-vous avoir un effet particulier sur le lecteur?

Frédéric Castaing : Non, pas vraiment. J'ai confusément l’idée qu'il faut que ce soit léger, qu'il ne faut pas être lourd, qu'il faut que ça aille vite, qu'il faut que ça ne dise que ce que j'ai envie de dire. En gros, c'est beaucoup de travail. Pour arriver à la légèreté - et je ne sais pas si j'y suis arrivé -, pour essayer d'aboutir à ce qu'on considérerait comme de la légèreté, il faut beaucoup, beaucoup de travail, contrairement à ce que l'on pourrait croire.

Parutions.com : Quelle sorte de travail?

Frédéric Castaing : Du travail d'écriture ! Je ne veux pas m'apparenter à d'autres écrivains, mais comme c'est un peu aussi au cœur de l’'histoire... Notre héros veut aussi devenir écrivain, donc quand il est dans la bibliothèque, il voit Flaubert, il voit Céline... Ce sont des exemples que j'ai pris, particulièrement Flaubert, parce que je crois que c'est un modèle du travail acharné. Pour arriver à une page, parfois, il faut en écrire cinquante. C'est ce que je fais, je travaille beaucoup. Parce que, encore une fois, pour arriver à la simplicité, il faut parfois beaucoup réécrire. Mais en même temps, j'adore. C'est terrible, parce que c'est très prenant, c'est très difficile, mais en même temps, c’est extraordinaire. C'est la contradiction.

Parutions.com : Comment est-ce que vous trouvez le temps d'écrire?

Frédéric Castaing : Ah, alors, ça, c'est aussi un des problèmes : le temps pour écrire est un temps que je vole au reste, parce que je suis président du syndicat de la librairie ancienne et moderne, que j'organise des salons au Grand Palais et que j'ai mon métier d'expert. Je vole du temps, par-ci, par-là, le matin, le soir et la nuit.

Parutions.com : Les héros de vos deux autres romans sont considérés comme des "Candides" et Vendredi en est bien évidemment un aussi. Qu'est-ce que vous attire chez ce genre de personnage?

Frédéric Castaing : Je pense que le personnage de Candide est le levier le plus extraordinaire dans la littérature, pour dire ce qu'on veut dire, pour faire voir aux gens ce qu'ils ne voient plus, ce qu'ils ont sous le nez mais qu'ils ne voient plus. Parce que le regard offert est un regard candide. Donc ce personnage de jeune homme clair, naïf, je pense que c'est un personnage clé. Le Candide de Voltaire est formidable, génial, sauf que depuis Candide, il y a eu Darwin, Marx, Freud, la Première Guerre mondiale, la Révolution d'Octobre, le Stalinisme, la Révolution trahie, le nazisme. Aujourd'hui, on assiste dans nos vies à un approfondissement des contradictions, des difficultés, des risques sur la planète, sur la société dans son ensemble. Peut-être qu'il y a place pour un nouveau Candide. Je ne dis pas que j'ai réussi, mais c'est un peu ça, l'ambition.

Parutions.com : Et le nouveau Candide...

Frédéric Castaing : Je ne dirais pas que c'est Vendredi Treize, mais pourquoi pas. C'est-à-dire un personnage qui permet de jeter un regard neuf, différent, sur la réalité qui nous entoure, qui nous oppresse, et qui finit par faire qu'on ne voit peut-être plus ce que l'on devrait voir. Ce personnage permet de voir vraiment les choses, à mon sens.

Parutions.com : Est-ce que vous voyez Vendredi comme un "super héros," comme le héros d'une bande dessinée?

Frédéric Castaing : Oui, un anti-héros, un héros de notre époque. Et le héros de notre époque, ce n'est pas Superman, c'est un héros plus complexe, avec ses contradictions, avec ses angoisses... Je crois qu'il y a toujours quand même chez Vendredi cet instinct de survie, et je crois que c'est cet instinct de survie qui le tient. Et finalement à la fin, bien que diminué physiquement, il vit toujours et va donner le flambeau à celle qui va le sauver, qui va l'aider, Rica, qui reprend le flambeau, avec ce même instinct de survie, qui vaut à mon avis aussi bien pour les individus que pour les civilisations.

Parutions.com : Comment est-ce que vous voyez ce roman par rapport à vos précédents ? Il y a beaucoup de thèmes communs.

Frédéric Castaing : Bien sûr. C'est difficile de parler de soi. J'ai écrit quelques livres, ça doit être mon quatrième ou cinquième, mais ce n'est pas du tout mon fonctionnement de dire que je compose une œuvre, où chaque livre prendrait sa place. Pour moi, le dernier livre cannibalise les précédents, en tire ce qu'il lui faut pour aller de l’avant. Ce n'est pas du tout comme s'il y avait mon premier roman, mon deuxième, mon troisième, chacun différent. Non, à chaque fois, je ressens un besoin, une urgence. Et donc dans l'urgence, on utilise ce qu'on a sous la main, y compris les livres qui ont précédé ; alors, je prends, je mélange, je reprends, je déplace. C'est le dernier roman qui compte, pour moi.

Parutions.com : Vous avez déjà suggéré cela, mais quelles sont vos influences littéraires?

Frédéric Castaing : Alors, mes influences littéraires... Si on fait bref, il y a des influences littéraires, et puis d'autres influences. Disons que mes écrivains favoris sont Voltaire - Candide -, Flaubert, Céline, Dos Passos aussi, Edgar Poe, Melville ; c'est un petit peu mon panthéon. Mais à côté de ça, j'ai été très marqué, toujours, par le cinéma. Le cinéma muet, Keaton, mais aussi les grands du cinéma américain, Fritz Lang, Wells, Kazan, des gens comme ça. Et puis des Italiens, des Français... C'est cet ensemble-là qui m’a marqué.

Parutions.com : Et vous travaillez maintenant sur un autre roman?

Frédéric Castaing : Je n'ai pas encore commencé. Au moment de l’impression de ce livre, j’ai dû organiser le salon du Grand Palais, et ça prend énormément de temps parce que c'est un travail énorme et passionnant, mais qui, en même temps, me permet de décompresser. Peut-être commencerai-je bientôt... mais il faut que j'en ressente le besoin. Je ne vais jamais me dire que je dois entamer mon cinquième livre, et que tel passage devra être écrit comme cela, non. Je ne suis pas si méticuleux. Il faut vraiment que je ressente l’urgence d’écrire. C'est ma façon de fonctionner. J'ai quand même une petite idée, avec, toujours, au centre, ce problème de la violence, de la mort. La seule vérité, c'est la mort. Et comment on réagit, comment est-ce qu'on proteste, comment est-ce qu'on s'explique, comment est-ce qu'on prend les choses. Ce n’est qu’une petite idée pour l'instant ; il faut aussi que j'aie un peu de temps libre !


Entretien mené par Lisa Jones le 9 juillet 2009.
( Mis en ligne le 23/09/2009 )
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