L'actualité du livre Vendredi 19 avril 2024
  
 
     
Le Livre
Littérature  ->  
Rentrée Littéraire 2021
Romans & Nouvelles
Récits
Biographies, Mémoires & Correspondances
Essais littéraires & histoire de la littérature
Policier & suspense
Classique
Fantastique & Science-fiction
Poésie & théâtre
Poches
Littérature Américaine
Divers
Entretiens

Notre équipe
Essais & documents
Philosophie
Histoire & Sciences sociales
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Poches
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Littérature  ->  Entretiens  
 

Cinéma indien
Entretien avec Indrajit Hazra - (Le Roi du cinéma muet, Le Cherche Midi, Août 2009)


- Indrajit Hazra, Le Roi du cinéma muet, Le Cherche Midi (Ailleurs), Août 2009, 369 p., 19 €, ISBN : 978-2-7491-1390-6
Imprimer

Parutions.com : Du début à la fin, un humour très stimulant innerve le roman. Diriez-vous que cet humour caractérise aussi votre approche de la vie ? Pourquoi avoir choisi d'écrire ainsi ce roman ?

Indrajit Hazra : L'humour est une des armes les plus efficaces pour se défendre aussi bien que pour attaquer. Je trouve la condition humaine marquée avant tout par ce qui relève du comique, de la comédie bouffonne. Un homme glisse sur une peau de banane et tout le monde rit, même s'il se casse le cou. Cette pulsion humoristique, comme la violence, est primale. En littérature – on peut penser au Brave soldat Svjek de Jaroslav Hasek par exemple -, l'humour met également en relief la banalité de l'existence humaine. Le fait que quelque chose de tragique puisse être drôle en accentue l'horreur – la transformation de Gregor Samsa chez Kafka est comique, ou l'attente absurde de Didi et Gogo chez Beckett. De la sorte, mes romans sont des comédies noires ressemblant surtout à des tragédies blanches. Quant à ma vie, oui, les blagues et l'humour me protègent de deux fléaux, le sérieux pompeux des gens et, pire que tout, l'ennui. Le jour où je serai en panne de blagues, je serai foutu !

Parutions.com : Quelle est la part de la réalité et de la fiction dans le roman ?

Indrajit Hazra : Je partais pour écrire un livre qui pasticherait le genre du roman historique. Ce type d'écriture a atteint un tel niveau de sérieux et de banalité que le lecteur croit qu'il lit de l'histoire sous une forme littéraire. C'est particulièrement vrai dans le cas de le plupart des fictions «Bristish Raj» et de films comme Pavillons lointains (1983) ou The Jewel in the Crown (1984) qui plantent des personnages dans une Inde britannique idéalisée. Je voulais pervertir ce genre tout comme snatched de E.M. Forsters dans La Route des Indes (qui pour moi est un livre important pour sa peinture de la psychologie des colons et des colonisés). La plupart des faits rapportés dans le roman son réels (comme l'incident du Trou noir de Calcutta), d'autres sont moins fiables (tels que les détails et la nature de ce même accident), d'autres ne sont là que pour remplir les trous entre divers événements, et d'autres enfin relèvent de la pure fiction. Fritz Lang, par exemple, voulait venir en Inde dans les années 1920 pour tourner un «film indien» mais il n'y parvint pas (ses deux «films indiens» furent en fait tournés plus tard, dans les années 50). J'utilise ce type de court-circuits historiques au service de la fiction. Même chose avec la référence, à la fin du livre, à ce publicitaire qui offre à Abani un rôle dans le film qu'il veut réaliser. Satyajit Ray a en effet tourné Pather Panchali avec ce rôle, mais celui-ci fut attribué à quelqu'un d'autre. Quant à Abani lui-même, je me suis inspiré pour son personnage de la star du muet Roscoe ''Fatty'' Arbuckle, et aussi d'acteurs Bengalis d'époques ultérieures (certains des acteurs que cite Abani, comme Girish Ghosh, furent de véritables acteurs du début du XXe siècle, dont certains ont tourné dans des films indiens). Je dirais donc que 50% de mon livre sont des faits réels et que le reste est n'importe quoi... mais je ne veux pas que mon lecteur fasse la part des choses.

Parutions.com : Comment êtes-vous venu à vous intéresser au cinéma et aux débuts du muet en Inde ?

Indrajit Hazra : Ma fascination et mon amour du cinéma me viennent de mon plus jeune âge et de deux sources. Une est mon père qui regardait et me faisait regarder et lire beaucoup sur les grands classiques, Buster Keaton, Eisenstein, Truffaut, Ray, Guru Dutt, Kurosawa et Hitchcock. L'autre source était du côté de ma famille maternelle qui possédait, et possède toujours, trois cinémas à Calcutta, où j'ai pu voir tous les films populaires indiens des années 70 et 80. Ma fascination pour ce type de spectacle, son art et les gens impliqués dans sa création fut très importante et a induit ma compréhension du monde. Enfant, j'ai même pu avoir un petit rôle dans un film Bengali complètement stupide, ce qui me vaut encore de sacrées vannes de mes amis !

Le cinéma, pour moi, a été la science, l'art par lequel il était possible de créer des mondes alternatifs de chair et de sang, à la différence des livres où les mots se substituent aux images. Dans un film, si vous voulez montrer une bataille, il vous faut la reconstituer entièrement et non pas seulement la décrire. Je trouve toujours jubilatoire que l'on doivent recréer de véritables «faux» monde dans le seul but du faire-croire.

Quant à ma connaissance des débuts du cinéma en Inde, j'ai lu sur ses origines et, spécifiquement pour le roman, j'ai effectué des recherches dans de vieux journaux de cinéma. Mais je ne voulais pas écrire un roman sur les débuts du cinéma ; il s'agissait plutôt pour moi d'utiliser cela comme une métaphore du jeu et du faire-croire au service de mes personnages, Abani surtout. Parce que je situe mon action au début du XXe siècle, je voulais retranscrire au mieux l'époque dans ses détails, notamment les réactions des spectateurs face au cinéma naissant.

Parutions.com : Quel effet visiez-vous avec les intermèdes cinématographiques ?

Indrajit Hazra : Je voulais trouver un moyen pour que le lecteur arrête de temps à autre d'écouter le narrateur et parvienne à voir ses actes. Je voulais également présenter les personnages joués par Abani et Durga, les inscrire dans les films et leur donner une réalité aussi palpable que celle des personnages du roman. Des échos se font entre Abani et les différents personnages qu'il interprète : le héros mythologique Prahlad et sa mère, et Abani et sa mère ; la tension érotique entre les deux prisonniers du Trou Noir et celle entre Abani et Durga ; Jibananda et ses principes, et Abani et les siens ; Ramlochan et son angoisse de ne pas être reconnu comme un intellectuel, et l'angoisse d'Abani de ne pas être reconnu en tant qu'acteur, etc. Dans le roman, ces intervalles me servent de digressions à travers lesquelles je joue encore plus sur le rapport entre réalité et fiction.

Parutions.com : Quelle sens donnez-vous au thème du destin, à la reproduction des fautes du père par le fils ?

Indrajit Hazra : Pour moi, le concept de «péché originel», lié à l'idée de "faute de nos pères" est très puissant dans la fiction. Je voulais que cette tendance quasi-génétique à l'échec soit traitée de manière comique dans la roman. Comme pour le rock punk, que j'adore [Indrajit Hazra a fait partie d'un groupe punk - NDLR], la répétition, dans la narration, si elle est bien jouée, peut être un outil très fort. Le fait que la «victime» d'Abani soit la même personne que celle de son père renvoie à la comédie, par une sorte de jeu aveugle du hasard et de la nécessité.

Parutions.com : Quel sont d'après vous les ressorts comiques utilisés dans ce roman ?

Indrajit Hazra : Comme je l'ai déjà précisé, l'humour noir – quand quelque chose de tragique survient, avec des conséquences comiques – est quelque chose que j'apprécie particulièrement, aussi bien comme auteur que comme lecteur. Le caractère d'Abani est pathétique. Mais pour éviter que le lecteur ne sympathise totalement avec lui, j'ai voulu lui donner une attitude ridicule ; c'est un homme qui regarde les autres de haut sans se rendre compte qu'il est cet individu risible et confit d'arrogance aux yeux du lecteur. Je voulais que, sous ses airs fanfarons, le lecteur l'appréhende à la fois avec moquerie et une sorte de sentiment attendri de supériorité. Il y a aussi dans le roman quelque chose relevant de la bouffonnerie – quand Tarini est malade dans le train, ou avec les deux combattants de la liberté, si maladroits et incompétents, quand, aussi, Lang et Lanford font des découvertes scatologiques dans le temple ou quand Ramlochan demande à sa fille de mémoriser certains mots... Tout cela dessine une composante de la condition humaine, que mon roman véhicule. Comme chez Rabelais, le littérature Bengali, notamment chez les jeunes, est parcourue de ces séquences comiques. Je voulais que mon roman intègre en partie cette architecture.

Parutions.com : Dans le récit, le narrateur fournit souvent des explications d'événements ou d'actions, retournant dans le passé pour clarifier certains points de l'histoire. Cela peut déconcentrer le lecteur, cela semble même chercher à éviter une trop grande concentration, comme pour empêcher que le texte et son lecteur ne soient trop sérieux. Était-ce l'intention voulue ?

Indrajit Hazra : Ce roman est la tentative d'explication par Abani Chatterjee à son lecteur des raisons pour lesquelles, malgré sa revendication à être un grand acteur, le lecteur n'a pourtant jamais entendu parler de lui. Ses explications, ses excuses si vous voulez, sont des moyens de faire croire au lecteur que le destin, les circonstances et les autres sont responsables de son échec, pas lui. Nous avons tous des réponses et des explications pour justifier nos échecs aussi bien que nos succès. Un tel peut avoir réussi grâce à une conjoncture favorable mais c'est beaucoup moins séduisant que s'il ne devait son succès qu'à lui-même. De la même façon, on considère rarement que l'on est le principal acteur de son échec. Abani raconte ici pour la première fois l'histoire de sa vie, avec cette position de pouvoir qu'est d'être à la place du narrateur. Je pense qu'il utilise, réajuste, remodèle, réécrit et plie des éléments de son passé dans le seul but d'affirmer qu'il n'est pas un looser, et que ses échecs ne sont pas de son fait.

Parutions.com : Quelle est votre méthode d'écriture ? Préférez-vous l'isolement quand vous écrivez ? Retravaillez-vous beaucoup ce que vous avez écrit ?

Indrajit Hazra : Je mets beaucoup plus de temps à terminer un roman que je ne le voudrais, ou que je ne pense pouvoir le faire. Je passe entre 12 et 16 mois à écrire le premier jet, donnant une première forme, noir sur blanc, à la trame narrative que j'avais en tête. Pendant cette première phase, je travaille surtout la nuit. C'est la période la plus physique de mon procès d'écriture. Vient alors le moment le plus terrifiant : jeter un oeil à ce que j'ai écrit et résister à l'envie de vouloir tout recommencer du début, ou du moins à partir du premier chapitre. C'est le moment où je peux changer d'échelle, mettre à la poubelle des situations qui, tout bien considéré, ne cadrent pas dans la narration, ajouter ce qu'il faut pour que le ton du roman – et c'est primordial pour moi – sonne juste et soit solide. C'est aussi le moment (qui peut durer entre 6 et 8 mois) où j'ai besoin de me concentrer à temps plein sur le manuscrit et m'isole donc, aussi bien de mon travail que, idéalement, de la routine quotidienne. Si j'ai l'opportunité de pouvoir effectuer une retraite en résidence d'écriture, c'est à ce moment-là que je le fais. Après cette seconde étape, quand je suis moins angoissé à l'idée de montrer au reste du monde ce que j'ai produit, j'envoie le tout à mon agent et/ou à mon éditeur. Leurs remarques et suggestions sont importantes et, en fonction du degré de conflit que nous pouvons avoir sur certains passages du livre (cela peut aller jusqu'à la guerre !), j'incorpore au roman les changements qui me semblent pouvoir améliorer l'ensemble. Après cela, l'écriture est terminée et mon bébé, le livre, quitte le nid et mon autorité pour prendre son envol et devenir cette entité complètement séparée de moi.

Parutions.com : Pourquoi avez-vous décidé de traiter cet épisode de l'histoire indienne qu'est la résistance de Ghandi à la Grande-Bretagne d'une façon humoristique ?

Indrajit Hazra : L'attitude générale de mes compatriotes vis-à-vis de l'état-nation indien et son rapport à l'histoire est infantile. Émettre un jugement critique envers notre histoire, en particulier tout ce qui concerne l'histoire de l'indépendance, est considéré comme quasiment anti-national ou, pire, gratuitement provocateur. Dans ce contexte, des icônes comme Ghandi deviennent des symboles vidés de leur sens, des amulettes que l'on agite contre nos malheurs. Le problème, c'est que la culture populaire n'aménage aucun espace de dialogue dans lequel on pourrait pointer que Ghandi et d'autres opposants au joug britannique, comme Subhas Bose, ont pu faire des erreurs et suivre aussi leurs propres intérêts. Le fait que la plupart des Indiens ne contestaient pas l'autorité anglaise et collaboraient même jusqu'en 1947 est, au mieux, dissimulé, au pire, nié. Je trouve ce refoulement stupide et amusant à la fois. L'arrière plan historique de mon livre cherche en partie à montrer tout cela. Mais comme il s'agit avant tout d'une oeuvre de fiction, dans laquelle la réalité et l'imagination se dévorent réciproquement, tout cela ne va pas vraiment remettre en cause les fondements de l'histoire indienne avant l'indépendance... Je désirais fortement affronter ce sanctuaire historique dans le livre, sans tomber cependant dans l'excès du révisionnisme.

Parutions.com : Comment êtes-vous parvenu à maintenir le même ton tout au long du roman ?

Indrajit Hazra : Je dirais que c'est là tout l'enjeu et la difficulté quand on écrit un livre. Jouer pour maintenir cet équilibre entre l'ombre et la lumière est tout un art et le fruit de l'expérience, j'imagine. En fait, j'ignore comment je parviens à maintenir une même teinte mais je sais que l'histoire s'effondrerait si je n'y arrivais pas. C'est au moment de la réécriture de mon manuscrit que je corrige les couacs dans la tonalité.

Parutions.com : Est-ce que la même histoire aurait pu donner une tragédie ? Est-ce que cela aurait fonctionné ?

Indrajit Hazra : Non, entre mes mains, cela aurait donné un mélodrame pesant et idiot et j'aurais détesté ça en tant que lecteur.

Parutions.com : En tant qu'écrivain anglophone, quelle est votre relation aux langues Hindi et Bengali ?

Indrajit Hazra : Ma première langue est le Bengali ; je parle et lis le Bengali chez moi car ma femme est également Bengali, mais aussi avec mes collègues Bengalis au travail. Mais comme je vis à Delhi depuis 12 ans et que le Bengali n'est pas la langue principale là-bas, je me suis mis à l'Hindi et peux à présent plutôt bien le parler. J'écris, lis et parle en Anglais, qui est ma seconde langue. L'Anglais n'est pas seulement la langue socio-économique et un discriminant social en faveur de ceux qui ont le pouvoir, c'est aussi le moyen de communication entre Indiens ne parlant pas couramment Hindi. La structure de l'Anglais et les jeux possibles avec la syntaxe sont ce avec quoi je me sens le plus à l'aise en écrivant, plus qu'avec le Bengali qui est une langue plus ''organique''. Mais si je devais définir ma condition linguistique en tant qu'écrivain, je dirais que je suis un Bengali qui écrit en Anglais.

Parutions.com : Voyez-vous des ressemblances ou des influences entre votre travail de journaliste et votre écriture en tant qu'écrivain ?

Indrajit Hazra : Mes obligations comme journaliste me prennent l'essentiel de mon temps et de mon énergie, que j'aurais pu consacrer plus, si j'avais pu, à l'écriture de romans. On a là je crois deux créatures complètement différentes. Je pense que le fait d'être écrivain m'aide comme journaliste alors que la réciproque n'est pas forcément vraie, en dehors du fait que cela flatte mon ego et que le journalisme assoit ma notoriété. Je ne serais pas si connu si je n'écrivais pas pour un journal national.

Parutions.com : Revenons au rapport entre fiction et réalité. Le départ de Durga semble projeter Abani dans la vie réelle, mais sa situation est ensuite comparée à celle de Ramluchan, ce qui la fait basculer à nouveau dans la fiction. Diriez-vous qu'Abani n'accepte jamais la banalité du réel ?

Indrajit Hazra : Oui, la nouvelle du départ de Durga est un vrai tournant dans le récit. Abani n'accepte jamais la réalité si son rôle est banal, et tout sauf central. L'histoire de Ramlochan est la version condensée et débridée par le déni d'Abani du trajet de ce dernier d'une notoriété supposée à l'acceptation désabusée de son ennui.

Parutions.com : La fin du roman peut paraître tout sauf spectaculaire, sans romantisme ni dénouement cinématographique : Abani est là à vivre simplement une vie des plus normales. Pourquoi avez-vous choisi un tel épilogue après avoir traité la fantaisie du cinéma ? Que vouliez-vous montrer ici ? Est-ce que vous avez songé à des fins alternatives ?

Indrajit Hazra : Non, c'est la seule fin que j'avais en tête. Abani est cet être pathétique et banal, à des années lumière de l'image que nous avons eue tout au long du roman en suivant sa narration. Car sa vie est banale. Raison pour laquelle son histoire, sa narration – m'utilisant moi, auteur, comme medium – est si fantastique.


Entretien mené en Anglais par Lisa Jones en Juillet 2009 (Traduction de Thomas Roman)
( Mis en ligne le 14/10/2009 )
Imprimer

A lire également sur parutions.com:
  • Le Roi du cinéma muet
       de Indrajit Hazra
  •  
    SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

     
      Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
    Site réalisé en 2001 par Afiny
     
    livre dvd