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Grandir
Entretien avec David Nicholls - (Un jour, Belfond, Février 2011)


David Nicholls, Un jour, Belfond, Février 2011, 534 p., 22 €, ISBN : 978-2-7144-4714-2

Traduction de Karine Reignier

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Parutions.com : Vous êtes à Paris à l'occasion du Salon du Livre pour présenter Un jour, premier de vos romans à être traduit en France. Pouvez-vous le présenter en quelques mots pour vos futurs lecteurs français ?

David Nicholls : Un jour est en fait mon troisième ouvrage. C'est un mélange de comédie, de drame et de romance. C'est une sorte d'histoire d'amour à la fois épique, drôle et triste. L'histoire débute il y a vingt ans et suit deux personnages qui s'entendent pour se retrouver chaque année à la même date. Une histoire d'amour en vingt instantanés, vingt photographies d'une relation voyant les deux personnages évoluer, d'abord étudiants pleins d'idéaux, ensuite adultes d'âges moyens.

Parutions.com : Comment êtes-vous venu à l'écriture ? Vous avez déclaré qu'adolescent, vous étiez intéressé par la paléontologie et la biologie !

David Nicholls : Enfant, je ne venais pas d'une famille très férue de livres, mais j'étais assez ''nerd''. J'aimais les sciences et la lecture. Je suis passé par une série de phases et j'étais obsédé, comme beaucoup d'enfants aujourd'hui, par les dinosaures. Les enfants n'étaient pas aussi obsédés par ça à l'époque qu'ils ne le sont maintenant. Moi, j'aimais les sciences et la nature, la médecine et l'histoire ; j'ai fait mon chemin à travers ces passions et j'ai fini par me poser avec la littérature et les livres. C'est ce que j'ai étudié à l'université. Quand j'avais une vingtaine d’années, je me suis essayé au théâtre, comme acteur, et j'ai alors décidé de passer à l'écriture.

Parutions.com : Pour revenir à Un jour, les deux personnages, Emma et Dexter, se retrouvent donc chaque année pendant vingt ans à chaque 15 Juillet, célébrant celui de 1988, jour de leur rencontre et de l'obtention de leur diplôme. Une nuit mémorable... L'épigraphe de la première partie est une citation des Grandes espérances qui résume très joliment le début de votre roman. Charles Dickens a-t-il été pour vous une source d'inspiration ?

David Nicholls : Mon admiration pour Dickens date de longtemps. Il reste le premier auteur classique que j'ai aimé. Je l'aime aujourd'hui encore, je suis en fait un fan absolu de Dickens. Mon roman ne ressemble en rien aux siens cependant sinon peut-être par son accessibilité et le fait que l'histoire est bonne il me semble. J'ai lu Les Grandes espérances quand j'avais 13/14 ans et j'ai trouvé le livre extraordinaire ; je me suis identifié très fortement à l'histoire. C'est un formidable roman d'apprentissage, sur les difficultés de l'entrée dans l'âge adulte, sur qui l'on est, qui l'on devient et les erreurs que l'on peut commettre. C'est depuis l'un des auteurs que j'affectionne le plus ; je relis ses romans régulièrement mais j'ai moins de temps maintenant pour lire des histoires de mille pages. Cela dit, je travaille actuellement à l'adaptation pour le cinéma des Grandes espérances, une adaptation plutôt fidèle qui devrait être produite d'ici la fin de l'année.

Parutions.com : Le choix du 15 Juillet et de la St Swithin fut-il aléatoire où revêt-il pour vous un sens particulier ?

David Nicholls : L'idée de départ était qu'il s'agisse d'un jour complètement aléatoire, poussant le lecteur à se demander pourquoi ce jour-là et non un anniversaire, le Nouvel an ou la Saint-Valentin. Un jour ordinaire comme il y en a tant, certains absolument banals, agréables cependant, du moins faut-il l'espérer, et d'autres plus spéciaux, plus riches en événements, romantiques, drôles, absurdes aussi. Le slogan pour ce roman est qu'il n'existe pas de jour ordinaire. Chaque journée contient un écho du passé qui affecte notre futur. Il m'a semblé intéressant d'écrire sur une série de jours ordinaires. Mais ce jour-là devait avoir lieu en Juillet qui est le mois des remises de diplômes en Angleterre. Il devait s'agir d'une journée à laquelle les personnages se réfèreraient et j'aimais bien aussi cette histoire peu connu de Phil de Punxsutawney, une vieille tradition britannique équivalente au Jour de la Marmotte. Cette perspective m'intéressait beaucoup pour ce qu'elle suggérait sur le futur, la destinée et l'imprévisibilité des choses. Je me suis donc décidé pour ce jour qui n'est pas très connu mais qui avait une résonance intéressante, un jour ordinaire qui avait aussi un certain sens.

Parutions.com : Emma et Dexter sont très différents. Qu'est-ce qui selon vous les sépare le plus ?

David Nicholls : Toute fiction britannique, à un moment ou à un autre, touche la question des classes sociales, et Dexter vient d'un milieu très favorisé. Il a cette confiance en lui, cette fierté presque arrogante, cette connaissance de ce qui lui est dû. Emma s'est construite seule. C'est une autodidacte venue d'un milieu plus modeste, à l'intelligence vive, beaucoup d'esprit, bien plus que Dexter le privilégié. Dexter a cette assurance totale alors qu'Emma est plus incertaine de ses choix. Dexter peut être égoïste et négligeant alors qu'Emma est quelqu'un de responsable et impliqué politiquement. Emma est une femme ouverte et sensible quand Dexter est plus vain et cache davantage ses instincts les meilleurs. On a donc là une comédie romantique classique, autour d'un couple que tout oppose mais qui doit pourtant s'aimer. Ce sont les tensions entre eux qui font qu'on a là un couple parfait. Cette tradition remonte à Beaucoup de bruit pour rien, Orgueil et Préjugés jusqu'à l'âge d'or hollywoodien et je tenais vraiment à m'inscrire dans cette tradition. C'était important pour moi de créer deux personnages qui feraient des étincelles. Beaucoup de comédies semblent se fonder sur la quête de l'être miroir, avec les mêmes goûts, la même personnalité, les mêmes centres d'intérêts. Dans un roman ou un film, c'est toujours mieux d'avoir cette friction.

Parutions.com : Lors de leur nuit ensemble chez Emma, la chambre de la jeune fille nous est décrite à travers le regard de Dexter comme un véritable manifeste des idéaux de gauche, une mise en scène qu'il a vue des dizaines de fois dans les chambres d'autres filles et dont le côté prévisible et convenu l'ennuie. Il s'avère qu'il a tort. Qu'est-ce qui fait qu'Emma sort des lieux communs de la bas-bleu ?

David Nicholls : Je ne suis pas d'accord avec vous. Je ne pense pas qu'Emma rejetterait le qualificatif de bas-bleu. Elle n'a pas toujours le courage de ses convictions, la confiance nécessaire mais je crois qu'elle compense cela par du show. C'est quelqu'un de vulnérable et d'anxieux, comme Dexter. Mais c'est quelqu'un de plus doux et affectueux qu'elle ne semble au premier abord. Je crois que c'est quelqu'un de mal à l'aise avec les conventions et la moralité ; elle est gênée par ce qu'elle ressent pour ce garçon vain et stupide. Si le roman n'est en rien historique, il s'inscrit aussi dans une époque, la fin des années 80, où l'on été encouragé à avoir une morale politique assise et inébranlable ; avec les années 90, beaucoup de ces croyances se sont évaporées avec une série d'événements marquants, la chute du Mur de Berlin, la libération de Mandela, la fin du thatchérisme. Emma suit alors le cours du temps et il devient très dur pour elle de maintenir ces idéaux. Elle est en quelque sorte un produit de son époque.

Parutions.com : Un jour décrit en effet aussi 20 ans d'histoire culturelle et politique en Angleterre, avec ce passage d'un gouvernement conservateur à un gouvernement travailliste. Quel changement cela a-t-il apporté ? Comment voyez-vous le bilan des années Blair ?

David Nicholls : C'est intéressant. Tony Blair est arrivé au pouvoir en 97 mais je crois que les années 90 avaient déjà connu un grand bouleversement. Les années 80 étaient une période de division et de colère, une décennie dominée par les combats syndicalistes. Les années 90 ont semblé apporter un soulagement et je crois que la culture pop a joué un grand rôle dans cela, avec un regain de confiance. Au cœur des années 90, la Grande-Bretagne se sentait aussi signifiante et influente culturellement qu'elle l'avait été dans les sixties. C'était également une époque où, je crois, les certitudes politiques se sont évaporées. J'étais à l'université durant l'apogée du radicalisme féministe ; c'était une époque de tensions fortes. Alors que trois ans plus tard, dans les années 90, l'ambiance dans les universités était à la fête. 1985-88 fut une époque dure. La révolution blairiste est donc survenue un peu avant Blair. Le cœur des années 90, à Londres notamment, donnait l'impression d'un temps de décadence, de confiance et de fun. Et comme toutes les périodes hédonistes, les choses se sont peu à peu corsées.

Parutions.com : Le lien entre les deux personnages est très fort dès le départ. Pourtant, l'histoire de leur relation, avec ses hauts et ses bas, est une succession d'occasions manquées, de malentendus et de déceptions. D'où viennent ces accidents de parcours selon vous ?

David Nicholls : Le but n'était pas d'écrire une histoire de vingt ans qui aurait été comme un long fleuve tranquille, une période de vacances perpétuelles et de fêtes farfelues. Je voulais au contraire obtenir un sens vrai des changements et des fluctuations d'une relation d'amitié. Il y a donc trois années pendant lesquelles ils ne se voient pas et ne se parlent pas. J'ai la chance moi-même d'avoir des amis de longue date, mais cela ne m'empêche pas parfois de vouloir leur raccrocher au nez et hurler ! Je voulais saisir cela, cet aspect un peu insensé d'une amitié réelle et montrer que ça n'est pas toujours drôle, qu'on ne s'apprécie pas toujours mutuellement. Ils sont parfois coupés l'un de l'autre pour des raisons très concrètes : une lettre qu'on n'envoie pas, un appel qu'on ne passe pas. On n'a pas là un roman à la Thomas Hardy à part peut-être pour le rôle qu'y joue le destin. J'aime cela chez Hardy et mon roman est marqué par un passage de Tess d'Uberville. Il y a aussi ce passage avec la lettre sous le paillasson et comment cela change le cours de l'histoire. J'ai pensé qu'il s'agissait d'un thème très fort, comment une mauvaise décision, un mot mal choisi ou un message manqué peuvent affecter le cours de nos vies. Il y a de cela, les virages et les retournements qu'un scénario nécessite, le rôle du destin mais aussi l'idée que nos caractères changent. Le Dexter qu'Emma connaissait à vingt ans n'était pas quelqu'un avec qui elle pouvait vivre. Et inversement. Tout est question de personnalités. Un moment clé dans le roman est quand Dexter décrit comment lui et Emma se sont rencontrés et qu'il explique qu'ils ont grandi ensemble. C'est parce qu'ils prennent conscience de ce chemin parcouru ensemble qu'ils peuvent devenir plus que des amis.

Parutions.com : Nous les voyons en effet grandir ensemble au fil de l'intrigue, se battant l'un et l'autre pour un peu de bonheur. Qu'est-ce que grandir selon vous ?

David Nicholls : Je pense que je m'identifie plus à Emma. Pour elle, grandir, c'est gagner en assurance et confiance en soi, c'est le sentiment que vous êtes adulte à présent et qu'il vous faut prendre l'entière responsabilité de vos actes. Pour moi, avoir 17 ou 24 ans était plus ou moins la même chose. Cette période autour de vingt ans est un moment très tourmenté et émotionnel, sans doute le moment de sa vie le plus imprévisible. Pour moi comme pour les personnages, l'entrée dans la trentaine apporte une certaine conscience des choses, un premier bilan sur les erreurs commises, un certain calme aussi. J'étais bien plus heureux comme trentenaire que quand j'avais vingt ans.

Parutions.com : Emma et Dexter ont des vies affectives assez parallèles ; ils ont des histoires amoureuses malheureuses chacun de son côté. C'est au niveau professionnel que leurs parcours divergent. Alors qu'Emma monte dans l'échelle sociale – serveuse pour commencer, puis professeur et écrivain enfin -, Dexter suit une dynamique inverse, peu à peu amoindri au sein du monde impitoyable des médias ? Pourquoi un tel échec ?

David Nicholls : Bon, vers la fin, il se remet un peu et finit par trouver son rôle. Quand j'ai quitté l'université, une partie de mes camarades avait une énergie et une assurance folles, ils savaient ce qu'ils voulaient faire. Une autre partie d'entre eux a détesté abandonner la vie étudiante avec tout ce temps et cet espace que les années d'université offraient. Dexter était de ceux qui embrassaient la vie à bras le corps, confiant dans l'avenir et décidés à réussir. Mais il a du mal à maintenir le cap. Être un jeune homme qui réussit à Londres à l'époque n'était pas facile. C'était très dur de maintenir un niveau de vie comme celui-ci. Il se retrouve dans un travail et un train de vie où il est très dur de décider quand partir. J'ai travaillé dans la télévision, d'abord comme script puis comme auteur, et dans les bureaux de la chaîne, on voyait très peu de gens ayant entre 50 et 60 ans. Il y avait un manque imperceptible de quadras. Je me suis demandé ce qu'il avait pu leur arriver, en comparaison avec d'autres secteurs où 40 ans est l'âge où l'on assoit une position et confirme son statut. Ici, on avait plutôt l'impression que vous étiez un cheval de course qui avait épuisé toutes ses cartouches. C'était très perturbant de voir tous ces gens partir, chuter, et Dexter est de ces gens-là. Bien sûr, son parcours est aussi dicté par les impératifs de l'histoire et je suis sûr qu'il est possible d'avoir une carrière solide et durable à la télévision. Il y avait aussi cette idée très hédoniste dans les années 90 qu'il fallait avoir du bon temps, profiter, faire la fête. Beaucoup de mes collègues hommes sont entrés dans la danse, avec des nuits de fêtes... toutes suivies de sévères gueules de bois. Et je crois que nous avons tous fini par ressentir cette gueule de bois.

Parutions.com : Emma vient d'un milieu ouvrier alors que Dexter est d'une famille aisée. Pensez-vous que la société britannique soit aujourd'hui aussi classiste qu'elle l'était ou pensez-vous que les choses commencent à changer ?

David Nicholls : Je ne connais personne de 23 ans maintenant mais quand je suis arrivé à l'université, je pense que c'était une obsession, une fixation malsaine de savoir d'où vous veniez, ce que vos parents faisaient et à quelle ''classe'' vous apparteniez. J'ai 44 ans à présent et je viens tout juste de secouer un peu cette mentalité. Je me vois tel que je suis et non tel que mes parents sont. Il n'y a là en fait aucun snobisme, tout au contraire. Il y a cette croyance que ceux des classes moyennes ont la vie plus facile et que le seul talent est de faire quelque chose de sa vie en dépassant son cadre social d'origine, plutôt que de débarquer à l'université et montrer à quel point sa famille est pauvre. C'est une fierté assez étrange. Pour moi, ce n'est pas sain, et j'ai peur que ça n'ait pas tant changé que cela. Nous avons un gouvernement contrôlé par d'anciens étudiants de Harrow et Eton, comme dans les années 50. Dans les années 90, nous avions cette impression que la culture et la politique britannique étaient devenues plus méritocratiques. Je crains que nous restions en fait longtemps obsédés par cette question. Et cela a sans doute à voir avec notre système éducatif qui semble définir ces différences dès le plus jeune âge. Difficile d'ébranler cela.

Parutions.com : D'autres romanciers ont analysé l'évolution de la société anglaise. Vous sentez-vous dans la même lignée que des auteurs tels que Jonathan Coe, Nick Hornby ou Alan Hollinghurst par exemple ?

David Nicholls : C'est terrifiant de se retrouver inclus dans ce groupe d'écrivains ! Je me souviens avoir lu Jonathan Coe quand j'avais 23 ans et je pense que High Fidelity est un livre essentiel pour les gens de ma génération. Peut-être suis-je proche d'eux par les analyses et l'arrière-plan présents dans mes romans mais je me vois plutôt comme un auteur de comédies ou de drames romantiques. Mes écrits ont néanmoins plus de substances et de contexte que la plupart des drames romantiques, vous avez raison. Tous ces auteurs écrivent des histoires sur ce qu'être humain veut dire, mais toujours dans un contexte social marquant. Peut-être le terme comédie sociale définit-il alors le mieux mon travail. Un auteur comme Alan Hollinghurst s'inscrit plus dans cette tendance, avec des romans tels que La Ligne de Beauté où il offre une analyse satirique des franges les plus aisées de la société anglaise. Je le rangerais au côté de Retour à Brideshead d'Evelyn Waugh. C'est un roman admirable sur l'ambition et comment on ne parvient jamais à quitter son milieu d'origine.

Parutions.com : Cette analyse politique de la société et ses évolutions semble propre à la littérature anglaise...

David Nicholls : Dickens a toujours su divertir avec ses romans, et son thème de prédilection est la classe sociale. Pour tous ses héros, Nicholas Nickleby, David Copperfield ou Pip dans Les Grandes espérances, il est toujours question d'ascension et de chute sociale. Il s'agit toujours de gens faisant leur chemin en société avec toujours une volonté d'en atteindre le sommet. Donc cette tradition remonte à loin et peut-être définit-elle en effet une tendance dans la fiction anglaise, le roman social.

Parutions.com : Pour en rester aux grands classiques, Emma adore Les Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë. Quel est votre histoire d'amour favorite dans la littérature anglaise ?

David Nicholls : Je dois toujours le confesser à voix basse car c'est un crime pour un auteur anglais de l'admettre mais je n'ai jamais vraiment compris Jane Austen de la même façon que la plupart des gens. Dickens n'était pas un grand écrivain de romances mais je trouve que la relation entre Pip et Stella dans Les Grandes espérances encore est tout à fait saisissante, à la fois étrange et sombre. Mais si l'on brosse les 19ème et 20ème siècles, on ne peut échapper à Orgueil et préjugés. C'est plus facile je crois avec la littérature américaine. Bien que j'adore Gatsby le magnifique, je pense que Tendre est la nuit du même Fitzgerald est un chef d'œuvre sous-estimé et l'une des plus belles histoires d'amour jamais écrites, à la fois acide, mélancolique, nostalgique, venimeuse et piquante. C'est un livre que je relis sans cesse et que je recommande toujours autour de moi.

Parutions.com : Partagez-vous l'avis des écrivains qui affirment qu'un roman prend son propre chemin, qu'il a sa propre vie, ou pensez-vous au contraire que vous contrôlez vos écrits de bout en bout ?

David Nicholls : Je ne sais pas si c'est parce que j'ai travaillé comme auteur de scénarios mais je me sens plus dans le contrôle. Cela dit, il y a toujours un facteur d'improvisation et le surgissement d'une ''voix'', pas de manière mystique mais parce que vous vous asseyez quotidiennement et vous imaginez comment les gens se parlent et agissent. Mais oui, vous prenez aussi des chemins de traverse, des détours inattendus ; pour ma part, cela ne va jamais jusqu'à l'improvisation totale. Je planifie toujours tout de façon très précise et j'ai toujours une idée forte de mes personnages avant de me mettre à écrire. Un jour a été construit de manière assez détaillée et puis, je me suis trouvé en train de dévier du plan d'origine. Au départ, Dexter devait devenir journaliste mais il n'était pas assez brillant pour atteindre un tel but. Ce n'est pas que je méprise les présentateurs télé mais il m'a semblé que cette carrière lui convenait mieux. Pour Emma, par contre, tout a suivi l'idée de départ, sans surprises majeures donc. Je connais des auteurs qui préfèrent l'improvisation et écrire leurs romans de cette façon. Pour moi, ce serait trop stressant.

Parutions.com : Un jour n'est plus seulement qu'un roman. L'adaptation au cinéma doit sortir cette année et vous en avez écrit le scénario. Le roman comporte de nombreux dialogues très fins, que l'on peut facilement imaginer sur grand écran mais qu'en est-il de la structure ? Qu'est-ce qui est le plus difficile à transférer ?

David Nicholls : C'est en effet aussi un film, que j'ai écrit. Dans un roman, la narration dit les choses plus facilement que dans un film. Dans le roman, vous pouvez dire qu'une année a passé ; sur écran, il faut trouver un moyen de le suggérer, faire comprendre que vous êtes à la même journée mais un an plus tard. Nous avons placé quelques inserts écrits de-ci, de-là. L'autre problème est la structure en épisodes, qui convient tout à fait au livre parce que nous lisons tous ainsi, par séquences, mais c'est un problème pour un film. Il faut que tout coule dans les limites de deux heures, ce qui vous laisse environ six minutes pour chaque année. Or vous ne pouvez pas attribuer le même temps à chacune de ces années car ce serait bien trop répétitif et laborieux. Là était le défi le plus important, faire en sorte que les 20 chapitres s'amalgament en une seule expérience narrative. Mais je crois que nous y sommes arrivés.

Parutions.com : Est-il plus difficile d'adapter vos propres romans ou ceux d'autres auteurs ?

David Nicholls : C'est beaucoup plus facile avec les romans des autres. Ils ont créé les personnages ; le plus dur a été fait et, en même temps, vous n'avez pas ce sentiment de protection que vous ressentez forcément avec vos propres œuvres. Quand on travaille avec ses propres écrits, il faut accepter de douter de soi et de son travail, et accepter aussi d'abandonner 70 % de l'histoire en route. C'est dur mais il faut le faire. Sinon, l'adaptation serait bien trop longue et ennuyeuse.

Parutions.com : Vos deux autres romans, Starter for 10 et The Understudy vont-ils être traduits en français ?

David Nicholls : Oui et j'en suis très heureux. Mes romans ont été traduits un peu partout en Europe et la France a une si belle et longue tradition littéraire ! C'est fantastique d'être traduit en français. Je suis très fier de ces deux autres romans, qui sont tous les deux des comédies plus conventionnelles. Chacun possède sa part d'ombre et de lumière, mais disons que la lumière l'emporte.

Parutions.com : Travaillez-vous en ce moment à un autre roman ?

David Nicholls : Je devrais... Cela fait déjà deux ans qu'Un jour a été publié. Je parle tout le temps de m'y remettre. Il faut que j'aille de l'avant, que je me vide un peu la tête et que j'écrive un nouveau roman cette année.

Parutions.com : Vous avez un vrai succès critique. Un jour a déjà obtenu plusieurs prix. Cela doit être particulièrement réconfortant mais quel est le plus beau compliment qu'un lecteur vous ait fait ?

David Nicholls : C'est ça le plus beau, la connexion avec les lecteurs. Je reçois des emails chaque jour de la part de lecteurs qui me disent à quel point le roman reflète leurs propres vies, ou à quel point ils se reconnaissent dans Emma ou Dexter. Les témoignages sont parfois tristes ou empreints de nostalgies. C'est pourquoi j'écris des histoires d'amour, cela permet ce type d'identification. Beaucoup de gens se reconnaissent surtout en Emma, ce qui est une bonne chose je crois. Je crois que trop d'auteurs ont trop peur d'écrire des personnages du sexe opposé. L'expression même me gêne, je crois que le ''sexe opposé'' est en fait très proche de nous et je suis très heureux qu'Emma ait une voix de femme crédible.

Parutions.com : Pourquoi cette fin avec Emma ?

David Nicholls : Cela ne fonctionnerait pas avec Dexter. Il s'agit d'une histoire de rédemption. Ce roman raconte comment vos amis peuvent vous sauver. Emma sauve Dexter, elle en fait une personne meilleure et le fait revenir sur terre. Dexter est enfin capable d'amour. Cela ne marcherait pas dans l'autre sens. Par ses fragilités mêmes, son insécurité, Emma est quelqu'un de plus solide, fiable et responsable. C'est une personne sage et morale. Une rédemption échouerait dans l'autre sens.

Parutions.com : Il n'y a pas d'amour heureux donc ?...

David Nicholls : Je ne sais pas si c'est possible. Ce roman parle de changement et de comment les personnages grandissent et finissent par atteindre ce stade où ils peuvent être ensemble. Je ne sais pas si, en supposant que l'histoire dure 5 ou 10 ans de plus, sans cette fin, ils poursuivraient la route ensemble ou se sépareraient, s'il la tromperait ou s'ils finiraient par s'ennuyer ensemble. Nul besoin de les promettre à un avenir de total bonheur familial. Si j'avais dû poursuivre l'histoire, un peu d'amertume aurait été nécessaire je pense. Quoi qu'il en soit, ce livre est né de ce jour qui nous attend tous, passage obligé de tous nos calendriers, le jour fantôme... Je ne pouvais pas imaginer ce livre sans cette mort finale. Il n'y avait là aucun caprice d'auteur ni la volonté d'ajouter une épice de plus à l'histoire ; c'est simplement ce dont le roman parle, de ce jour où tout se termine. Aucune autre fin n'était possible pour moi.

Parutions.com : Quelques scènes de l'histoire se passent à Paris ; le lieu idéal pour une histoire d'amour ?

David Nicholls : Bien que le roman ne soit pas autobiographique, tous les endroits dans lesquels l'histoire s'inscrit sont des lieux que j'ai connus. J'étais à Rome au début des années 90, à Berlin en 1988 et à Paris en 2001. J'ai vécu là pendant un certain temps, comme Emma ; j'ai écrit mon premier livre à Belleville quand Emma ''vivait'' là elle aussi. Paris a toujours été ma ville préférée et ce fut un vrai plaisir d'écrire à son sujet.


Entretien mené en Anglais par Florence Cottin et Christy Dentler le 19 Mars 2011 (Traduction : Thomas Roman)
( Mis en ligne le 15/06/2011 )
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