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Observer, ressentir, écrire
Entretien avec Helle Helle - (Chienne de vie, Le Serpent à plumes, Février 2011)


- Helle Helle, Chienne de vie, Le Serpent à plumes, Février 2011, 230 p., 19 €, ISBN : 978-2-268-07071-1
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Parutions.com : Lisez-vous tout le temps ?

Helle Helle : Non, hélas non. Mais oui, en fait. Je lis tout le temps mais parfois assez lentement. Je peux parfois mettre jusqu'à un mois pour terminer un roman. Je ne lis que des choses de qualité, c'est une décision que j'ai prise récemment. J'ai réalisé tout à coup que je ne pouvais pas tout lire, que ma vie n'y suffirait pas. J'ai longtemps cru que je devais lire des livres qu'il me fallait avoir lu, quand bien même ils ne me faisaient rien ressentir. Maintenant, à 45 ans, je me fais plaisir et ne lis que des livres qui me font du bien. Mais quand je suis moi-même en train d'écrire, il m'est difficile de lire des choses de qualité car je me mets alors à comparer avec mon travail. Il faut alors faire une pause dans la lecture, non pas tant parce qu'écrire est dur et que je hurle tout le temps de désespoir, mais je peux très facilement avoir honte de mes romans alors que je les écris. Ce n'est qu'une fois terminés et publiés que je prends conscience de mes livres et que je commence à les apprécier.

Parutions.com : Ce roman est votre cinquième. Est-ce que ce genre littéraire est celui qui vous correspond le mieux ? Avez-vous déjà envisagé d'autres formats d'écriture ?

Helle Helle : J'ai en fait commencé par écrire des nouvelles qui ont même été utilisées dans des écoles au Danemark. Mais je ne pense pas être très bonne dans ce type d'écriture. Je m'y remets de temps en temps en me disant que je ne dois pas être si stricte et penser que tout travail doit être excellent. Pour ce genre d'écriture, je dois atteindre cet état d'incertitude et d'insécurité. Alors que pour les romans, c'est différent dans la mesure où le doute définit le procès lui-même, et en même temps, c'est ce qui nourrit une certaine assurance. Parce que je sais que j'en suis capable et que je finis toujours par savoir quand quelque chose est bien écrit. Mais le doute me définit, oui. C'est juste qu'avec le roman, il fait partie du processus, je peux vivre avec. Difficile de s'en départir.

Parutions.com : Votre style a souvent été dépeint comme intime et minimaliste. Vous semblez porter une attention toute particulière aux petits moments du quotidien, que la plupart des gens ne remarquent même plus. Êtes-vous d'accord avec ce constat ? Comment décririez-vous votre style d'écriture ?

Helle Helle : Au Danemark, on m'a en effet cataloguée comme auteur minimaliste mais je ne me vois pas ainsi. En art, je pense aux minimalistes américains qui recherchaient une certaine liberté, souhaitant ne pas donner au spectateur trop d'expression. Je crois que ce que je fais est très différent car mes mots sont gorgés de sens, d'un infratexte important et je cherche à provoquer chez mes lecteurs toute une variété de sensations. Je ne veux pas qu'ils décident ce qu'ils doivent ressentir devant mes livres. Certes, je ne dis sans doute pas tout, c'est à vous de reconstituer le puzzle. J'espère que le lecteur comprend cela et que nous travaillons ensemble dans cette affaire. Tout cela n'est pas clair et lumineux ; il faut dépoussiérer en lisant !

Parutions.com : Mais les instants fugaces, le beauté du quotidien semblent être au cœur de votre écriture...

Helle Helle : Les gens disent aussi cela de mon travail chez moi. Et c'est vrai. On me demande toujours si j'aime tant que cela le quotidien. J'aurais adoré être Hemingway qui savait de quoi il parlait : Paris, la pêche, la castagne. Le quotidien m'attire beaucoup oui, et c'est en effet devenu ma «spécialité». Je tiens à ce que les gens reconnaissent ce dont je parle et ressentent comme un confort à la lecture. Je recours donc à l'écho du quotidien pour créer ce sentiment, par que, en surface, cela semble familier et rassurant. Tout le drame s'agite alors derrière cette ''peau''.

Parutions.com : Quand avez-vous commencé à écrire ?

Helle Helle : J'écrivais déjà enfant. Et je lisais déjà beaucoup. J'ai commencé à dévorer les livres quand j'ai réalisé qu'ils peuvent vous faire pleurer. Et j'ai voulu faire ça à mon tour, provoquer cela chez les gens. C'est toujours mon objectif. Je pense que lire un livre quand on est enfant ressemble beaucoup à écrire un livre quand on est adulte car le sentiment d'évasion est tout aussi puissant. Je me souviens de cette impression d'être loin du monde, en lisant, quand j'avais dix ans, et, en même temps, de m'en sentir si proche. C'est exactement ce que je ressens à présent quand j'écris : je perds toute notion du temps et de l'espace, je suis projetée dans un autre monde... et en même temps, avec ce sentiment renforcé de symbiose avec celui-ci. De là vient mon envie d'écrire. Et puis, je me souviens avoir lu un sondage dans l'une des revues de ma mère où l'on demandait aux hommes quels métiers ils pensaient que les femmes devaient avoir pour leur paraître attirantes : Actrice venait en tête, suivie de chanteuse, et enfin écrivain. Or, comme j'étais trop timide pour être chanteuse, bien que je voulais le devenir, et qu'être actrice ne m'a jamais attirée, j'ai choisi écrivain !

Parutions.com : Dans Chienne de vie, le personnage principal, Bente, souffre de la panne de l'écrivain et du manque d'inspiration. Il y a dans le roman une citation que j'aime beaucoup : «Devant la page blanche, j'ai l'impression de disparaître». Est-ce quelque-chose que vous avez déjà ressenti ? Comment vous en êtes-vous sortie ? Qu'est-ce qui vous inspire au contraire ?

Helle Helle : Je n'ai jamais eu de panne de l'écrivain ; j'aime me perdre dans l'écriture. Je pense qu'avoir la possibilité d'écrire est un don formidable parce qu'on peut disparaître de ce monde. Quand vous lisez un bon roman, vous disparaissez aussi. Pareil quand on écrit. On devient l'autre. L'écriture et la lecture se rejoignent en cela. Il y a une grande liberté dans ce sentiment d'abandon, d'oubli de soi pour écrire sur d'autres que soi. C'est cela être écrivain, je pense. C'est ce que je ressens. Certes, j'ai créé un personnage qui pourrait être moi. Je l'ai installée à la campagne ; elle a mon âge et écrit tout le temps, écrivant toujours sur des taiseux de la campagne... Et voilà qu'elle est coincée avec deux d'entre eux ! D'une certaine façon, c'est moi-même que j'ai envoyée à la campagne me coltiner mes personnages d'autres romans et voir comment nous cohabitons ensemble !

Parutions.com : Qui sont vos auteurs préférés ? Quels Français ? Des femmes ?

Helle Helle : Hemingway vient en tête, Le Jardin d'Eden, Le Soleil se lève aussi... Il a ce côté décontracté. Les gens le voient essentiellement comme un macho, un homme dur, mais en lisant Le Jardin d'Eden, j'ai pensé tout le contraire, et j'ai ressenti cela pour la plupart de ses romans. Car au-delà de cette décontraction, son écriture est très précise et sensible. J'aime aussi Flaubert, le Flaubert de Madame Bovary, et Virginia Woolf même si son style est très différent du mien, si dense, si riche, si divaguant. J'aime lire des choses nouvelles et différentes, du moment qu'elles sont de qualité et que la langue y prime sur l'intrigue. Les intrigues, en fait, m'importent peu.

Parutions.com : Chienne de vie est le premier de vos titres à être traduit en français. Qu'est-ce que cela vous fait ?

Helle Helle : C'est très excitant et tout à fait plaisant. Et je suis très heureuse de venir ici et rencontrer d'autres auteurs dans le cadre du Salon du Livre. Ce roman est vieux de trois ans au Danemark mais, en ayant l'opportunité d'être traduit, cela lui donne une nouvelle vie, une vie dans un nouveau pays. Et la France est un pays important, et si littéraire.

Parutions.com : Pensez-vous qu'un livre perde ses subtilités quand il est traduit ?

Helle Helle : J'espère que non. Cela doit arriver bien sûr. Mais un bon traducteur peut aussi apporter quelque chose de neuf dans un livre, sans écrire un tout autre roman cependant ! Il y a des pertes bien sûr, mais des gains aussi. Beaucoup d'éléments de ce roman sont typiquement danois et sans doute difficilement traduisibles.

Parutions.com : Avez-vous été traduite en Anglais ?

Helle Helle : C'est difficile d'entrer dans ce marché mais j'y travaille. Quelques-unes de mes nouvelles ont été traduites dans des magazines.

Parutions.com : Qu'est-ce qui retient le plus votre attention quand vous écrivez ? L'histoire ? Les dialogues ? Les personnages ?

Helle Helle : Je suis très peu à l'aise avec l'intrigue en soi, le drame. Je choisis donc un autre cap, qui me semble plus naturel car pour moi l'intrigue déconcentre de ce qui mérite vraiment l'attention : ce qui compte dans mes romans, c'est ce que les personnages disent, et ce qu'ils font, ce qu'ils pensent, comment ils agissent, bougent leur tête, s'assoient. Ce genre de détails.

Parutions.com : Êtes-vous à l'affut du mot juste, de la structure de phrase idoine, de la bonne description ?

Helle Helle : Oui, je suis toujours en quête des mots les plus précis. C'est dur mais... c'est supposé être dur. Je ne veux pas que le lecteur perde de temps ; il faut que chaque mot, chaque phrase conduisent au suivant. La musique des phrases, leur rythme, les pauses, sont aussi importants pour moi.

Parutions.com : Avez-vous un rapport privilégié avec vos personnages ?

Helle Helle : Oui, un lien très profond. Parce que j'écris toujours sur des gens que je semble connaître. Pas dans la vraie vie, mais des gens qui me seraient spontanément familiers. Avec ce roman en particulier, c'est très spécial. Car la femme qui raconte l'histoire, ce pourrait être moi. Siri Hustvedt, l'épouse de Paul Auster, a dit : «Écrire de la fiction, c'est se rappeler ce qui n'a pas existé». Et c'est ce que j'ai voulu faire : écrire un roman où je me souviendrais de tout ce qui aurait pu arriver mais n'est pas arrivé. Si je n'avais pas pris ce bus... Si je n'avais pas quitté mon mari...

Parutions.com : Qu'est-ce qui vous motive à écrire dès lors ?

Helle Helle : Je suis sans cesse inspirée ! Et je ne crois pas à l'inspiration en même temps. Je pense qu'il est mauvais de vouloir écrire à tout prix et se laisser trop conduire par ses émotions. Le mieux je pense est de s'asseoir à une table, rester de glace, et se mettre à écrire. Ce qui m'inspire aussi, c'est ce que je lis bien sûr, et l'observation des gens qui m'entourent, les questions que je peux me poser sur les personnes que je côtoie dans un train par exemple : ces deux femmes sont-elles sœurs ? Viennent-elles de se disputer ?... Écrire sur les gens. Je veux que mes lecteurs ressentent cette envie. Je suis quelqu'un de très visuel, toujours à l'affut, le regard aiguisé et l'oreille tendue. Observer les gens à la surface pour pouvoir ensuite plonger plus profond, comprendre ce qu'ils ressentent.

Parutions.com : Travaillez-vous sur un nouveau roman actuellement ?

Helle Helle : Non, pas pour l'instant. Je prends une pause parce que je viens de finir un livre. Il faut attendre un peu...


Entretien mené en Anglais par Christy Dentler le 18 Mars 2011 (Traduction : Thomas Roman)
( Mis en ligne le 17/06/2011 )
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