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Sa vie, sa voix
Entretien avec Emilie de Turckheim - (La Disparition du nombril, Héloïse d'Ormesson, Octobre 2014)


- Emilie de Turckheim, La Disparition du nombril, Héloïse d'Ormesson, Octobre 2014, 224 p., 18€, ISBN : 978-2-35087-288-9
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Parutions.com : Dans un entretien de 2010, vous avez évoqué votre journal, qui est devenu La Disparition du Nombril, en finissant par déclarer que vous espériez le publier cette année-là. Que s'est-il passé entre 2010 et aujourd'hui ?

Emilie de Turckheim : En fait, j'avais toujours un roman qui était prêt avant de pouvoir publier celui-ci, et je n'ai donc jamais trouvé le bon moment pour publier ce journal, préférant donner la priorité aux romans que je venais d'écrire. Un journal implique des gens de mon entourage, des amis... Il s'agit de quelque chose d’intime. C’était bien, aussi, de laisser passer du temps entre la publication et les faits décrits.

Parutions.com : La Disparition du Nombril est votre première publication en tant que ''diariste''. Comment avez-vous écrit ce livre ? Pouvez-vous nous dire notamment s'il y a eu réécriture de ce journal intime pour obtenir le roman ?

Emilie de Turckheim : En fait, il n'y a presque pas eu de réécriture ; par contre, le journal original était beaucoup plus long. A l’époque, j’étais étudiante en thèse et je ne pouvais pas me consacrer à l'écriture autant que je l'aurais souhaité. Comme j’étais malheureuse de ne pas écrire de roman (j'en avais écrit avant et après ce travail de recherche, mais pendant, je ne le pouvais pas), je pense que cela me consolait d’écrire quand même un peu à travers ce journal. Et, au fur et à mesure de l’écriture, j'ai réalisé que ce n'était pas vraiment un journal, parce que dans un journal, on ne s'attend pas à être lu et l'on ne raconte donc pas tout, on ne décrit pas sa mère, son père, ses amis, ou des détails sur sa propre enfance. On ne pense pas vraiment à ce que l'on a vécu, on n'écrit que pour soi-même.
Au bout d'un moment, je me suis dit que tout cela était bizarre… Je ne sais pas si c'est l'habitude de la narration romanesque, mais je me suis rendu compte que le fait qu'il s'agissait d'un journal importait finalement peu. Tout est question des choix narratifs que l’on fait, la manière de présenter les gens, les personnages. Ces choix-là relèvent déjà de la construction d'un fiction romanesque. Un journal, ce n'est pas moins fictionnel qu'un roman. La seule chose, c'est que cela s’inspire de faits réels, issus de sa propre vie. Mais d'une manière ou d'une autre, c’est aussi le cas de tous les romans. Un roman traduit l'état de l'imaginaire de l'auteur, sa vision du monde. Cela reste une sorte de journal intime. Pour moi, le fait qu'il s'agisse d'un journal ou d'un roman ne fait pas une grande différence.

Parutions.com : Avez-vous changé les noms des personnages pour les protéger ?

Emilie de Turckheim : Non pas du tout ! J'ai laissé tous les prénoms tels quels.

Parutions.com : Pourquoi alors avoir utilisé cette seule initiale pour le personnage de F. ?

Emilie de Turckheim : Je pense que les prénoms des gens autour de soi ont un sens pour soi. Chaque prénom évoque quelque chose de différent, est rattaché à un passé, des histoires. Pour le père de mes enfant, je me disais que si son prénom apparaissait comme n'importe quel autre, on n'aurait alors pas ce sens qu'il est à part du reste, qu'il est ma famille, que c'est le père de mes enfants. Un prénom de plus pour lui m'aurait donné l’impression qu'il se noyait dans la masse des autres prénoms. L'initiale non seulement le distingue des autres, mais en plus cela lui ressemble bien. C’est silencieux... et F. est quelqu'un de très silencieux ; cette initiale peut renvoyer à plusieurs prénoms tout en cachant la personne ; cela avait un sens pour moi.

Parutions.com : Vous partagez beaucoup de votre intimité, toujours avec élégance et d'une manière propre à captiver le lecteur. Mais vous avez dédié La Disparition du Nombril à Serge, un personnage qui ne surgit qu'une poignée de fois dans le récit. Pourquoi Serge n’apparaît-il pas plus ?

Emilie de Turckheim : Parce qu'il s'agit d'une relation compliquée ; dans le journal initial, il était beaucoup plus présent. Le problème, c'est qu'il est écrivain ; il est très connu. Je n’avais pas envie de raconter sa vie. Les autres sont des anonymes alors qu'il a une existence publique ; tous les gens qui me connaissent savent très bien qui est ce Serge. Je ne me suis pas donné le droit de parler de cela. Et, pour des raisons plus personnelles, je n'avais pas envie que mes proches connaissent trop de choses sur lui et moi ; parce que j'ai une famille. On fait des choix dans l'écriture et là, cela risquait de devenir trop blessant pour les autres ; c’était à la fois trop personnel et pas assez clair à mes yeux. Certains journalistes me demandent si c'est mon amant. Je n’ai aucune envie de répondre à ces questions-là !

Parutions.com : Pouvez-vous nous expliquer le titre, qui semble paradoxal s'agissant d'un journal intime ?

Emilie de Turckheim : C’est tout simplement l’idée de la disparition du nombril. Celle de l’ego et la disparition du nombril physique durant la grossesse. Il y a aussi l'idée que, lorsqu'on est écrivain, on est forcément solitaire, que cela se marie mal avec une famille. Les femmes que je connais et qui sont écrivains, soit ont des enfants qui sont très grands, soit n’ont pas d'enfant. Mais des écrivains jeunes qui ont des enfants jeunes et dont elles doivent s’occuper, il n'y en a presque aucune. Et c'est normal parce que ce n'est pas possible, en fait, de s’offrir la liberté d’écrire et d'avoir la disponibilité psychologique nécessaire pour s'occuper de la vie d'autres êtres à ce point-là, comme une mère s’occupe de ses enfants... Cette idée de la disparition du nombril, c’est faire l'épreuve paradoxale pour moi, d'écrire dans la maternité, de faire un travail qui a fondamentalement à voir avec la solitude, dans le bon sens du terme : dire ce que l'on peut trouver dans son désert intérieur, avoir accès à sa mémoire, observer ; un moment où il faut aussi faire disparaître cet ego pour s'occuper de quelque chose de central. Et évidemment, il y a cette réalité physique d'un bébé qui prend tellement de place dans le ventre que le nombril rentre et qu’il n'y a plus de nombril au bout du 8ème mois. Je trouve intéressant de réaliser que notre enfant nous fait perdre notre nombril...

Parutions.com : Comment situez-vous ce dernier ouvrage dans votre œuvre littéraire ?

Emilie de Turckheim : C'est compliqué de répondre à cette question parce que c’était le travail où j'étais le moins libre ; parce que la fiction permet tout, au contraire. Le fait de parler de soi, sans même évoquer la censure que l'on s'impose naturellement, limite l'écriture par la pauvreté relative de son expérience, de son environnement, de sa propre psychologie. Par rapport à tout ce que l’on peut imaginer dans un roman, c'est minuscule. Ce qui m'intéresse le plus ici, c'est la question de la naissance à tous les sens du terme, c'est ce rapport entre l’écriture et le fait d’attendre un être humain qui importe plus que le texte dans sa dimension proprement littéraire. D'ailleurs, je crois que, de tous les textes que j’ai écrits, c’est celui qui est écrit de la façon la plus plate. Pourquoi ? Parce que c'est ma voix. Je n'ai rien modifié. Je ne me suis pas mise à la place de quelqu'un d'autre, ce que je fais par contre tout le temps lorsque j'écris un roman.

Parutions.com : Pouvez-vous nous parlez de votre processus d'écriture?

Emilie de Turckheim : Ce livre-là est un mauvaise exemple parce, comme j'ai expliqué, il ne s'agissait pas d'un processus d'écriture classique. Mais en temps normal, j'écris tous les jours, tous les matins, durant quatre ou cinq heures. J’écris aussi le soir quand j’ai le temps. J'écris toujours de la même façon : j'écris sans arrêter. J'écris, j'écris, j'écris, sans toujours comprendre ce qui je suis en train d’écrire, parce que les personnages et les histoires se croisent ; mais au bout d'un moment, je relis le tout et je comprends en fait de quoi il s’agit ; le roman surgit. Je recommence alors tout en ne conservant que ce qui me semble être ''le'' livre.

Parutions.com : Y a-t-il des romans ou des auteurs que vous affectionnez particulièrement et qui vous ont marquée dans votre carrière d'écrivain ?

Emilie de Turckheim : Je ne sais pas qui m'a marquée dans l'écriture mais il y a des écrivains qui me marquent tout court, que j'adore… Il y a Henri Michaux et Marcel Proust, que j'adore suprêmement. Sinon, quand j’étais plus jeune, des auteurs anglais et américains ; je lisais beaucoup Joyce et Faulkner quand j'étais étudiante. Et aujourd'hui… j'aime beaucoup Cormac McCarthy. Je ne lis pas beaucoup d’auteurs français contemporains en fait, je lis plutôt des auteurs français morts ou des Américains vivants ! J'aime beaucoup aussi les romans de Coetzee et certains de Ian McEwan. Expiation est un roman que je trouve formidable.

Parutions.com : Quels sont vos projets d'écriture ?

Emilie de Turckheim : Je suis sur le roman dont je viens de parler. C'est une histoire qui se passe dans un désert des États-Unis mais on ne sait pas où. Cela pourrait être au Nouveau Mexique, dans l'Utah ou le Nevada, peu importe… L’histoire d'un homme qui tient un drugstore, une sorte d'épicerie dans un trou perdu, un endroit où il n'y a rien à faire, entouré seulement de pierres à perte de vue. Un jour sort de terre, sans que l’on sache pourquoi, un supermarché contemporain rutilant, un mall américain. Évidemment, lui, il est immédiatement ruiné parce que ces produits sont beaucoup plus chers. Mais c’est quelqu'un qui sert aussi de psychologue du coin ; on vient toujours chez lui, pas pour acheter des choses mais pour parler. Il écrit des haïkus, des petits poèmes qui décrivent tous ces visiteurs. Un jour, débarque une sorte d’escroc qui sillonne tout le pays à la recherche d'écrivains – et en tout endroit, il y a forcément un ''écrivain'' - en leur proposant d'être leur agent et promettre qu'ils seront publiés. Il rencontre là l'écrivain du coin, celui qui écrit les haïkus. Et leur histoire se mêle à celle d'une femme qui est considérée comme la source de tous les maux du village, et qui finira lapidée. Le roman est aussi l'histoire de ce meurtre, de cette femme bouc émissaire.

Parutions.com : Merci beaucoup !


Entretien mené par Simone Warner, le 16 octobre 2014
( Mis en ligne le 21/11/2014 )
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