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| Entretien avec Maurice G. Dantec - (Villa Vortex, Gallimard (Folio), Juin 2016)
Maurice G. Dantec, Villa Vortex, Gallimard (Folio), Juin 2016, 992 p., 14,40
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Après le Théâtre des opérations et un Laboratoire de catastrophe générale, mi-essais mi-journaux, Maurice G. Dantec, revenait en 2003 à la littérature. Sans toutefois renoncer au ton tonitruant qui les caractérisait, et qui reste le mode opératoire de ce roman dédié à la chute. Est-ce un retour définitif ? Une seule certitude, son polar décontenance. Les références scientifiques, littéraires et spirituelles abondantes, le sont parfois trop au moins pour le lecteur qui doit ingurgiter un nombre record dinformations sur des sujets aussi peu évidents que la structure de lADN ou encore les variations sur le Golem dans la tradition juive
Cette sensation de «trop plein» tient en premier lieu à lambition de Dantec, faire un récit total, mêlant le polar, la science-fiction et des considérations métaphysiques. A ce titre, Villa Vortex est en réalité à mi-chemin entre les journaux et le polar classique. La prudence qui semblait encore le tenir à la fin de Babylon babies, lempêchant de rompre avec la forme classique du roman, a désormais disparu. Villa Vortex signe un tournant dans son travail. Certains le déplorent, préférant le Dantec ancienne manière à celui de ses trois derniers ouvrages il est vrai, moins lisibles, les deux cents dernières pages de Villa Vortex étant particulièrement difficiles à parcourir. Nouvelle forme décriture ou décomposition dun style ? Une chose est sûre, Dantec est lun des rares écrivains à posséder un tel souffle créateur.
Parutions.com : Pourquoi avoir choisi comme cadre chronologique la chute du mur de Berlin (décembre 1989) et celle des Twin Towers de New York (septembre 2001) ?
Maurice Dantec : La réponse est contenue dans la question. Cétait un parti pris temporel. La chute du mur de Berlin consistait à louverture de ce «zodiaque», de cet ensemble de 12 années, la chute des tours new-yorkaises en signifiant la fermeture. Entre ces deux événements, je pouvais configurer un roman sur la chute.
Parutions.com : Qui semble en rapport direct avec lidée de lApocalypse. Quest-ce que cest pour vous, lApocalypse ?
Maurice Dantec : Je nai pas de définition de lApocalypse. Ce mot, qui veut dire révélation en grec, renvoie aux Écrits clôturant la Bible selon Saint Jean, à une tradition apocryphe juive. On ne peut pas le résumer aussi simplement, bien que, vu extérieurement, ce peut-être le moment où lHistoire se transforme. Cest-à-dire que ce nest plus toute à fait lhistoire sans toutefois se résumer à la «post-histoire» de Philippe Muray ; je crois quil sagit dun moment infiniment plus dangereux.
Parutions.com : La «post-histoire» de Muray existe tout de même dans lesprit dune «élite urbaine» ?
Maurice Dantec : Mais tout le monde appartient à la pseudo élite urbaine ; pour preuve, il ny a plus de paysans. Tout les occidentaux sont englobés à cette masse critique.
Parutions.com : La chute du Mur de Berlin na-t-elle pas ré-ouvert une période dillusions formidables ?
Maurice Dantec : Non. Cest plutôt le moment où lhistoire a commencé à devenir lisible, le moment où les pays ex socialistes se «libèrent» du communisme en fait ce sont les communistes à bout de souffle qui lâchent les peuples dEurope orientale. Grâce à quoi les bourgeois cultivés, gauchistes et bien-pensants dOccident nont pas à eu à lever le petit doigt pour aider ces peuples à se libérer. Cétait très soulageant
et le même phénomène sest reproduit des années plus tard en Bosnie-Herzégovine, en Afghanistan, dans tout le Moyen-Orient, etc. Cest une vieille tradition européenne dêtre dans lincapacité dassumer son rôle historique. Donc, pour moi, la chute du Mur en 1989 sest ouverte, comme dans mon roman, à rebours sur la guerre en ex-Yougoslavie. Ces deux événement sont complètement corrélés, sur le plan de la lâcheté des démocraties dEurope de lOuest
Parutions.com :
qui cacheraient leur comportement sous les oripeaux du pacifisme ?
Maurice Dantec : Exactement.
Parutions.com : Pour revenir à la chute du Mur et à votre roman
Maurice Dantec : Le modèle de démocratie occidentale sous parapluie «ONUsique», ce rêve post-gauchiste, ne correspond pas du tout aux aspirations des Croates, Serbes, Polonais ou encore des Tchèques qui veulent consommer, faire du tourisme
tout comme nous le faisons depuis soixante ans. Et on a le culot de reprocher à des peuples asservis pendant des décennies de vouloir nous ressembler ! La grande déception de la «racaille» occidentale, comme je lappelle, est davoir vu des gens qui préfèrent Mac Do et MTV aux délires sur la taxe Tobin, Attac et Igniacio Ramonet !
Parutions.com : Que sont les Twin Towers, sur le plan symbolique ?
Maurice Dantec : Il se trouve quil y avait, ce matin de septembre, quatre avions, comme les quatre cavaliers de lApocalypse. On peut voir là un pur hasard, ou comme moi se dire quaprès tout il y a un certain nombre de choses qui nous sont dites dans les textes sacrés, et que je ne veux pas passer sous silence. Et tant pis si Les Inrocks me qualifient de «Paco Rabanne de la littérature». Mais, pour revenir à la chute du Mur et des tours, je ne parlerais pas de symbole, plutôt des figures dynamiques, quasiment de lordre de la géométrie. La figure du Mur renvoyant à labîme et celle des tours au vortex. Ces réflexions, je les ai tirées de mes lectures, Raymond Abellio, Nietzsche, la Kabbale, Léon Bloy
lectures que jai essayé dintégrer dans mon roman, dautant plus que Villa Vortex est une sorte duvre testamentaire en référence aux Écritures chrétiennes, pas à ma propre fin
Parutions.com : Le Vortex, tuyau découlement placé dans une salle de torture que Kernal, votre héros, met à jour, cest un peu la rigole des eaux sales de notre société ?
Maurice Dantec : Oui, mais toujours selon le principe du double mouvement, car plus Kernal va vers le fonds trouble, vers le vortex descendant, involutif, plus il se rapproche de son inverse, la Vérité, selon le modèle de la double spirale inversée, de lappel des opposés, si vous voulez. Au fonds de la bonde, se trouve la matière la plus informe, la plus mélangée, la plus excrémentielle, qui représente le contraire de la Gnose, de la connaissance, de lesprit.
Parutions.com : En contemplant les paysages désolés de banlieue que filme pendant des heures Kernal, on a le sentiment que pour vous, lesprit préexista à la matière, lessence à lexistence. Car dans le viseur du caméscope de Kernal, on voit un monde ravagé, celui des friches post-industrielles, mais cest aussi une image des eaux originelles sur lesquelles souffla lEsprit
Maurice Dantec : Jai toujours été très loin de la philosophie rationaliste française, et en particulier de Sartre. Ma conception de lontologie est anté-platonicienne, ce que jessaie de méditer dans mon livre. Cest peut-être pour cela que lon me reproche de faire un bouquin trop «intello» ?
Parutions.com : Même si vous avez quitté le modèle classique du roman policier pour un hybride entre vos journaux et le polar, le crime est tout de même un dispositif central de votre livre.
Maurice Dantec : Ce livre, cest le roman le plus policier que jai jamais écrit, sur la police et aussi sur la polis, puisque je traite de leffondrement du Léviathan moderne, lEtat nation, et de son remplacement par... rien ! Enfin, le chaos, la violence maffio-politique, létat de guerre de tous contre tous. Cest pourquoi Kernal a tout à fait conscience dêtre le serviteur aveugle dun monstre froid, lEtat, qui dans le fond est son ennemi.
Parutions.com : Et ce faisant il devient complètement schizoïde, travaillant même à sa propre destruction, destruction quil appelle pratiquement de ses vux, et dont il va chercher dans lexcrément du vortex les termes et la confirmation.
Maurice Dantec : Oui. Cette expérience liée au crime et au vortex, qui est le sommet de sa propre existence et qui le mène au bord de la destruction, on a tout dun coup le sentiment que cest ce vers quoi il a toujours tendu. Il faut dailleurs mettre cette idée dans la perspective que Kernal oeuvre pour sauver une société, un Ordre auquel il ne croit pas, dans un rapport faustien, puisque lEtat Léviathan, cest le Diable. Et puis le récit commence par la mort de Kernal, et cest aussi dans ce sens quon peut le lire comme un testament - Un testament littéraire, une sorte de «testament français». Je crois que cette dimension est dailleurs assez apparente, puisque le livre est écrit comme étant un récit apocryphe, rédigé quelque part dans la banlieue du monde.
Parutions.com : La banlieue, précisément, est un élément à part entière du récit.
Maurice Dantec : Le Val de Marne, où se déroule une partie du livre et où jai vécu, est une banlieue que je connais bien, donc javais toujours, depuis le Canada, sa topographie en tête. Et puis, son autre intérêt est que le Val de Marne a été en quelque sorte lURSS française, là où se sont concentrées pendant 70 ans les forces politiques et les formes économiques les plus proches du PCF. Cet univers signifiait une certaine conception de la polis, qui seffondre complètement. Je ne mattaque pas spécifiquement au PCF, mais je veux montrer une réalité défaite et que jai connue avant. Quand à mes personnages, ils sont tous un peu désespérés
à limage des vrais flics. Ils faut dire quil sont pris entre les nouveaux Barbares et la Bureaucratie déliquescente. De cette Barbarie et de cette Bureaucratie qui ont englobé le monde si je puis dire. Ce que jessaye de montrer dans mon livre.
Parutions.com : Ce livre présente une structure particulière
méta-livre, livre dans le livre, il y a différents niveaux de lecture ?
Maurice Dantec : Le roman, on peut le voir comme une construction musicale, avec ses symboles visuels comme le mur, les tours, etc. Jai essayé de les retranscrire comme des leitmotiv musicaux, dans tout lespace du roman, y compris dans le rythmé des phrases. Cétait indispensable si je voulais réussir à écrire un bouquin parlant de génétique comme de rock music
Mais je nai pas encore osé aller vraiment ce sera pour mon prochain livre - jusquà non pas la déconstruction mais la reconstruction typographique du roman. Avec des mises en page différentes, des dédoublements, des recherches, un peu à limage du Zohar juif, livre qui est souvent présenté sous forme de colonnes. En réalité, tout cela pose la question : Quest-ce que lon peut faire comme littérature au 21ème siècle ? Une certitude : le roman bourgeois est épuisé terriblement épuisé
Il ne peut plus nous aider, alors que nous devons explorer des idées telles que celle de la fin de lhomme, lexportation extraterrestre de lhomme, etc. Il est urgent de trouver de nouvelles formes décriture.
Propos recueillis par Vianney Delourme le 11 avril 2003. (Photo: © Gallimard) ( Mis en ligne le 28/09/2016 ) Imprimer
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Ailleurs sur le web :Lire un extrait du livre sur le site des éditions Gallimard | | |
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