| Annie Ernaux L'Occupation Folio 2003 / 2.50 € - 16.38 ffr. / 76 pages ISBN : 2-07-030169-9 FORMAT : 11 x 18 cm Imprimer
Chaque roman dAnnie Ernaux tourne autour dun thème unique. Dans LOccupation, il est question de la jalousie. La narratrice apprend que son amant, dont elle sétait pourtant lassée et avec qui elle refusait de vivre, sinstalle avec une autre. Naît alors la jalousie, si envahissante et douloureuse que la narratrice finit par se déclarer «occupée» par sa rivale qui la hante. Puis sont égrenés les motifs de lobsession, du manque et de la souffrance amoureuse.
Comme à son habitude, Annie Ernaux traque dans toutes leur précision, leur banalité, mais justement aussi leur vérité simple, les comportements, les émotions, les sentiments de son personnage. Si la jalousie est vécue comme une tragédie, elle est aussi évoquée comme un moment où lêtre perd la raison de façon grotesque. Le roman fait sourire à plusieurs reprises, car cest avec recul, lucidité et sans sublimation excessive que sont dépeintes les dérives dun cerveau malade. On pense aux coups de téléphone anonymes que la narratrice passe à tous les occupants dun même immeuble dans lespoir dentendre sa rivale, au ridicule de certaines fixations : «Jallais jusquà me sentir mortifiée quil puisse regarder chez lautre femme la chaîne Paris-Première que je ne reçois pas.». En arrière-fond se superposent dans lesprit du lecteur dautres uvres sur la jalousie, LEnnui de Moravia, La Prisonnière de Proust. Cest la version intime, dans lacception de «journal intime», et banale du thème qui est ici livrée.
Ce roman sinscrit dans lentreprise autobiographique qui est celle dAnnie Ernaux. Il sagit de livrer un événement dune vie, un événement somme toute ordinaire (un avortement, une passion amoureuse, la mort du père, etc.), mais assez marquant pour être un repère à léchelle dune existence, pour participer de ces instants qui, mis bout à bout, fondent lessence dune vie. «Il ny a pas de vérité inférieure», écrit lauteur dans un roman très justement intitulé LÉvénement. Cette vie nous est livrée par bouts, par romans successifs, à la manière dun puzzle ou dune tapisserie. Lentreprise reste modeste, à limage de ce qui est narré finalement. On reconnaît aussi Annie Ernaux à son style, qui colle parfaitement au propos du journal intime, sans fioritures ni prétention. Elle a lhabileté de parfois nous donner limpression quelle nous livre son journal tel quel. Annie Ernaux, roman après roman, finit tout doucement par fonder son uvre. Elle parvient à établir, pour toutes les raisons que nous venons dinvoquer, une proximité avec le lecteur (ou plutôt la lectrice ?) «lambda» qui explique sans doute son immense succès. On regrettera la présence parasite dun métadiscours sur lécriture (cathartique, qui transcende le réel, etc.), poussif tant ce quil énonce est clair et évident.
Sonia Anton ( Mis en ligne le 06/10/2003 ) Imprimer | | |