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Littérature -> Récits |
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Voyage aux sources des mots | | | Eve Lerner L'Âme chevillée au corps Editions Dialogues 2013 / 16,90 € - 110.7 ffr. / 149 pages ISBN : 978-2-918135-83-8 FORMAT : 13,6 cm × 21,1 cm Imprimer
Ce «voyage aux sources des mots» est une étonnante plongée dans le franc-parler du monde populaire des années 50-60 que lauteur, Eve Lerner, restitue avec pertinence et délicatesse, émotion parfois. Muette et léthargique au grand désespoir de sa mère - «Ma pauvfille tu ne sauras jamais rien faire de tes dix doigts» - lenfant sublime son mutisme par la poésie et une exceptionnelle qualité découte. Des années plus tard, après une dépression, elle découvre sa voie, celle qui donne cohérence et trajectoire au désir : lécriture.
Issue dune famille de métallos, elle rentre à Normal Sup et, après avoir étudié la littérature américaine, devient linguiste de formation. Dans cet ouvrage, lauteur partage sa compréhension de la subtilité du langage populaire et fait revivre, au-delà des mots, une mine dexpressions imagées qui ont marqué lenfance de toute une génération.
Ainsi, avec létymologie troublante du mot drap le lecteur découvre les secrets cachés dans la kyrielle dexpressions qui en découlent et avec celle du mot enfant «le droit de se taire
Et encore» dont certains, qui «mauront tout fait [
] et jen passe et des meilleures», ont maintes fois entendu «Mais qui est-ce qui ma foutu un gamin pareil ?» ainsi que dautres appellations dorigine incontrôlée telles que «les bons à rien, les graines de voyous, etc.» tandis que pointe - déjà ! - lagacement du désuvrement de ces jeunes «à bayer aux corneilles» agrémenté du «que ça traîne dehors, les bras ballants, jusquà pas dheure avec toute la bande, là».
Tout aussi prolixe, le chapitre sur la femme ou la misogynie ambiante
qui précède ceux non moins gratinés sur laspect physique ; «Il faut voir la dégaine», lhabillage et lincongruité du maquillage qui fait son apparition avec «Du rouge à lèvres jusque sous les trous de nez» à une époque où il faut «se décrasser, se récurer» avant daller chez le toubib, et mettre une culotte propre «on ne sait jamais. Tu pourrais avoir un accident». Avant la démocratisation de la chirurgie esthétique, nos attributs sont
moins standardisés et l'on a facilement «un de ces pifs ! Oh le blase : Un vrai quart-de- Brie» qui peut saggraver par «des oreilles en chou-fleur» donc pire pour celui qui est «dur de la feuille», et la totale quand «il y voit pas la longueur du hareng saur» et tant dautres expressions imagées sur le corps, les mains, les doigts, la tête et
les mollets, instrument principal de nos déplacements «à pinces». Chacun a «la dent dure» et peu de compassion pour son prochain, surtout pas pour «Les rapiats, les grippe-sou, les riches comme Crésus». Avec son goût de lexagération («Un vent à décorner tous les cocus de la terre» pour dire «souffler fort»), ce langage populaire haut en couleur regorge dexpressions inénarrables que ce livre fait revivre !
Aujourdhui, les vestiges de ce monde ouvrier (usines, halles, quartiers, etc.) sont détruits et transformés en temples du luxe dès quils tombent dans lescarcelle des groupes financiers. Seule, la richesse de cette langue des pauvres nest pas à vendre et ne soubliera pas tant que ceux qui ont «lâme chevillée au corps» lui rendront hommage.
Marie-Claude Bernard ( Mis en ligne le 06/11/2013 ) Imprimer | | |
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