| Michael Chabon Le Club des policiers yiddish Robert Laffont - Pavillons 2009 / 21 € - 137.55 ffr. / 481 pages ISBN : 978-2-221-10879-6 FORMAT : 13,5cm x 21,5cm
Traduction d'Isabelle-D Philippe. Imprimer
Landsman est un flic, mais un flic au bout du rouleau : après avoir raté sa paternité et son mariage, il a finalement échoué dans un hôtel triste pour gens seuls, avec pour toute compagnie une bouteille et son travail. Et voilà quun crime a lieu dans ce médiocre havre de paix pour déprimés, comme si le sort venait encore débusquer Landsman jusque dans sa tanière
Et comme si cela ne suffisait pas, son ex-femme vient darriver à la tête de la police locale
Et en plus, laffaire sannonce corsée, avec pour tout indice une partie déchecs en cours et un macchabée qui se faisait passer pour un champion
Et Landsman, les échecs, il a du mal, du fait dun traumatisme de jeunesse. Du suspens chez les ploucs ? ou bien une énième déclinaison du polar sur fond déchiquier ?
Oui, mais
Laffaire ne se situe pas nimporte où : on est à Sitka Alaska métropole originale où lon parle le yiddish, une sorte de Jérusalem (ou plutôt de Tel-Aviv) glacée et venteuse, avec des Indiens en guise de Palestiniens
Cest que dans lunivers uchronique de Landsman, les Juifs européens furent, en grande partie, accueillis par les États-Unis en 1940, qui leur offrirent (généreusement !) une concession en Alaska pour fuir les persécutions
(une divergence parmi dautres dans un monde qui semble aussi ignorer le communisme
). Et comme en 1948 la communauté juive de Palestine fut quasiment massacrée par les Palestiniens, on doit conclure que Sitka est le dernier refuge national des Juifs, et laboutissement, frigorifié, du rêve sioniste. Sauf que la concession est temporaire, et que les USA entendent bien sen assurer.
Tout cela narrange pas les affaires de Landsman, qui va devoir arpenter sa ville et ses quartiers, avec ses communautés diverses de conservateurs, de bandits, de fanatiques ou de libéraux, nanti de son cousin et collègue Berko, à la recherche dun quelconque indice
Mais comme de bien entendu, ce petit meurtre na rien de crapuleux et laffaire se corse peu à peu lorsque lon découvre lidentité de la victime. Car à Sitka, le monde tourne à lenvers : les rabbins sont devenus des parrains, et il ne fait pas bon se frotter de trop près à la religion. Drôle de temps pour être juif.
Le décor est original, très original et pour le coup, voilà une uchronie inattendue, avec ce charme supplémentaire que Michael Chabon ne se limite pas à lhypothèse de départ, mais promène ses héros, et ses lecteurs, dans cet univers yiddish improbable, avec son argot, ses problèmes, sa géographie exotique
Une immersion complète, jusque dans la langue, parsemée de termes yiddish, et qui suppose lusage du lexique placé à la fin de louvrage. Cela donne une longue entrée en matière, aux trousses de Landsman, et limpression dune intrigue qui se traîne (on commence à entrer dans le vif de lenquête à la 150ème page !)
Pour être franc, ce nest pas le meurtre qui fait lintérêt du roman, mais bien cet univers bariolé et bizarroïde. Si Berko et Landsman couple improbable dun indien juif et dun flic suicidaire ont une charge, cest plutôt celle de guide dans les fonds et les bas-fonds dune ville et dun monde imaginaires. Récompensé par le prix Hugo qui couronne les grands ouvrages de SF Le Club des policiers yiddish relève de luchronie, et de la plus travaillée. Un objet littéraire étrange, au charme entêtant, alternatif.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 26/01/2009 ) Imprimer
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