| Joseph Kanon Alibi Belfond 2006 / 21.50 € - 140.83 ffr. / 463 pages ISBN : 2-7144-4195-5 FORMAT : 15,5cm x 24,0cm
Traduction de Michèle Valencia. Imprimer
Américain, Joseph Kanon (né en 1946) a fait une carrière déditeur. Après Los Alamos (qui lui a valu le prix Edgar récompensant un premier roman, édité chez Flammarion en 1998), ladaptation au cinéma de LAmi allemand (par Steven Soderbergh, avec G. Clooney) en a fait un auteur reconnu.
Alibi nous plonge à Venise au lendemain immédiat de la Seconde Guerre mondiale ; le narrateur, Adam Miller, jeune officier américain à peine démobilisé, arrive dAllemagne où il a participé au travail de dénazification. Il rejoint sa mère, Grace, veuve, qui vient de louer à une marquise ruinée un palais sur le grand canal. Une petite société de happy few lentoure, américains et vénitiens qui ont passé la guerre, loccupation allemande et ont survécu à des prix quils veulent oublier. Chacun souhaite retrouver la douce atmosphère de dolce vita insouciante davant guerre. Grace envisage dépouser un médecin italien, Gianni, projet qui déplait fortement à Adam qui voit en Gianni un coureur de dot. Mais le roman bascule soudain lorsquune jeune femme, Claudia, dont séprend Adam, lui affirme que Gianni cache un sombre passé de collaborateur, et quil a dénoncé son père sur un lit dhôpital aux nazis. Poussé par la curiosité et la jalousie, aiguillonné par lamour, Adam se jette et se perd dans une enquête sur le passé de Gianni. Aidé par ses relations dans larmée américaine, il tente de remonter des pistes vénitiennes, dans une ville qui ne songe quà sortir de la guerre et aller vers loubli des jours noirs, loin des souvenirs sombres qui font fuir les touristes. Dans le décor vénitien, fidèle à lui-même, entre canaux et gondoles, du Harrybar au Gritti et au Danieli, toute une Venise pour riches américains se déploie ostensiblement, la Venise des cartes postales, des illusions heureuses, Venise des masques, toute maquillée pour le théâtre hier, le cinéma aujourdhui.
A larrière plan se jouent dautres histoires : celles des Vénitiens, des choix pendant la guerre, des maisons vides du ghetto en 1945, dune guerre civile à peine éteinte. Autant de réalités volontairement ignorées des bals et des fêtes qui reprennent. Joseph Kanon campe de façon efficace les ambiguïtés de cette période. On suit volontiers Adam au fil des révélations successives, dans une intrigue bien construite, et efficace, riche de rebondissements. Lintrigue se noue le long des canaux à leau glauque, dans une Venise de lombre et de la nuit, fidèle aussi à la tradition séculaire du secret qui fut longtemps la politique de la Sérénissime. Une des réussites du roman est là, dans latmosphère de ces secrets tus, puis découverts, atmosphère sombre et lisse. Nous suivons les personnages perdus dans le dédale des canaux et des ruelles en impasse soudaine, comme dans les déductions erronées, et, lorsque le roman se termine, leau se referme, dans cette ville où lon nentre que par la lagune, en bateau ou en train.
Joseph Kanon a une écriture cinématographique et l'on imagine volontiers que ce roman policier pourrait devenir un film hollywoodien. En attendant : un agréable moment de lecture.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 05/05/2006 ) Imprimer | | |