|
Littérature -> |
| Gerard Reve Mère et fils Phébus 2005 / 19.00 € - 124.45 ffr. / 230 pages ISBN : 2752901062 FORMAT : 12x21 cm
Traduit du néerlandais (Pays-Bas) par Marie Hooghe Imprimer
Depuis 1948, lécrivain néerlandais Gerard Reve entretient une réputation sulfureuse au fil dune uvre dont la qualité ne fléchit pas. Son roman «le mieux dérangeant», comme il est annoncé en quatrième de couverture, Mère et fils (1981) vient dentrer dans le catalogue de léditeur Phébus. Profitons-en au passage pour donner ici le coup de chapeau quil mérite au travail de Marie Hooghe, la traductrice de ce livre, grâce à laquelle le public français découvre depuis longtemps déjà, auprès de différents éditeurs, le meilleur de la littérature des Pays-Bas et de la Belgique néerlandophone
Reve est né en 1923 et son parcours na rien dun long fleuve tranquille. Dascendance aristocratique, il passera tôt au communisme, connaîtra douze métiers et treize misères, et publiera dès lâge de vingt-cinq ans des textes dans lesquels il clame fort tapageusement son homosexualité. Il souffrira aussi, comme il lévoque parfois dans des termes très durs, des diffamations à propos de lattitude et des accointances prêtées à son père durant la Seconde Guerre Mondiale.
Mère et fils relate, sur le mode de la confession autobiographique, la conversion contrariée et contrariante de lauteur au catholicisme. Il est vrai que voir entrer dans le giron de lEglise une brebis aussi égarée et turbulente que Gerard Reve a dû inspirer à plus dun membre de la hiérarchie cléricale et autre crapaud de bénitier un sursaut dinquiétude. Se trouvait-on en effet face à un nouveau coup déclat du trublion ou à une réelle et sincère révélation ?
Dune écriture passant très habilement de la souplesse à la rigueur, de la douceur à la brutalité, de la candeur au cynisme, Reve tente de débrouiller les paradoxes, les doutes et les questionnements qui lanimèrent tout au long du cheminement qui le conduisit finalement à recevoir le baptême. En tout cas, malgré la vie dissolue quil reconnaît mener, entre alcoolisme, pédérastie et dérive sociale, sa rencontre avec Dieu et le message biblique semblent aller de soi : «Lorsque jétudiai les dogmes, ils ne me parurent nullement étrangers. Au contraire, je constatai avec une émotion allant parfois jusquaux battements de cur quils métaient singulièrement familiers : cétaient des choses que javais toujours portées en moi, toute ma vie, au tréfonds de mon être ; je ne les avais jamais exprimées ouvertement ni consignées par écrit, mais javais limpression que mon for intérieur se regardait à présent dans un miroir. Ce nétait pas lautre que javais découvert, mais ce qui métait le plus intime : moi-même. Certains articles de foi étaient imprimés sur le papier dans des termes quasi mot pour mot identiques à ceux que javais déjà prononcés en pensée, dans le purgatoire secret de mes nuits dinsomnie.»
Cest un homme nayant pas à proprement parler le sentiment de devoir renier dun bloc ce quil est (ou fut) qui se raconte ici. Lhistoire donc dune âme torturée qui épouse la cause supérieure à laquelle elle sétait toujours soumise, à sa façon et sans vraiment en prendre profondément conscience
A sa façon, oui, il faut bien ladmettre. Car ladoration de Reve pour la Vierge Marie se manifeste, entre autres façons, par des séances de masturbation à genou sur le dallage froid de petites églises désertes. Et son christianisme naissant, qui devrait lui insuffler lamour du prochain, ne lempêche pas davoir à légard dune de ses relations des velléités de proxénétisme.
Mais, plus que cela, cest la pose «artiste», assez arrogante et sûre de son bon droit, qui dérange le plus dans le personnage campé. Ainsi le style dérape-t-il à certains moments : dhabitude particulièrement léché, il peut prendre une malsonnante tournure de «langue de pute», notamment quand Reve règle ses comptes avec quelques collègues écrivains de renom ces Simon V. Cees N. ou Harry M., dont il nhésite pas à révéler les travers et quil singénie à mal dissimuler derrière leurs initiales, parfois encore plus criardes que leur patronyme imprimé en toutes lettres.
Mais le lecteur qui pardonnera à Reve ces péchés véniels savourera un troublant et jouissif bonheur de lecture qui, jusquà lultime dialogue avec lEvêque Lambert S., ira croissant. Peut-être même se découvrira-t-il des fantasmes «revistiques», adjectif forgé sur le nom de lécrivain et daprès ses propres dires passé dans la langue néerlandaise, dont le sens est à aller débusquer dans quelque recoin de ce texte éminemment provocant.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 05/09/2005 ) Imprimer | | |
|
|
|
|