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Beaux arts / Beaux livres -> Peinture & Sculpture |
| Hilary Spurling Collectif Matisse et la couleur des tissus Gallimard 2004 / 46.50 € - 304.58 ffr. / 214 pages ISBN : 2-07-011788-X FORMAT : 27x30 cm
Un catalogue édité à loccasion de lexposition au Musée Matisse du Cateau Cambrésis du 23 octobre 2004 au 25 janvier 2005, au Royal Academy of Arts de Londres du 5 mars au 30 mai 2005, au Metropolitan Museum of Art de New York du 23 juin au 25 septembre 2005.
L'auteur du compte rendu : Béatrice Brengues a une formation d'historienne de l'art, elle s'intéresse aux arts décoratifs du XXe siècle et poursuit des recherches sur le sculpteur Joachim Costa. Elle travaille parallèlement à Drouot chez un commissaire priseur. Imprimer
Vous reprendrez bien une tranche de Matisse ? Certains artistes sont dune telle richesse que lon est un peu obligé de les aborder petit bout par petit bout... Et ce bourgeois tranquille à lallure replète nous surprend encore en livrant ici une de ses facettes inédites : le collectionneur de tissus. Né dans une famille de tisserands du Bohain, Matisse recherche toute sa vie des textiles de tous horizons, sources intarissables dinspiration, dont il transcende, dans ses oeuvres, la qualité ornementale.
Ce livre est un bon prétexte pour ses auteurs à exposer lidée du décoratif dans lart moderne. Condamné par de nombreux théoriciens de lart de lépoque -on se souvient de Ornements et crime de Adolf Loos - le décoratif semble bien être antimoderne. Mais chez Matisse, cest un véritable crime passionnel et lessence dun art riche et gai dont il sait tirer les différents ressorts au fil de son oeuvre. Le motif lui permet dans un premier temps de flirter avec labstraction de lespace représenté en le suggérant tout en le décloisonnant. Il va au-delà de la délimitation physique des choses par le mélange des plans et des objets : les fleurs dun papier peint répondent alors à celles concrètes dun bouquet, elles déconstruisent la composition et créent un monde imaginaire. Plus tard, dans les années 20 et 30, fleurs, arabesques et rayures sont décrites avec plus de détails, elles sont un fond et une ambiance et élargissent le champ symbolique avec sagesse. Dans les dernières années de sa vie, le pattern devient le sujet même de la toile, sa peinture se fond en graphisme. Dans une grande simplification de moyens, ses gouaches découpées aux formes végétales révèlent, par la compréhension de leur sens intérieur, la métaphysique des fleurs.
Dans un texte très argumenté, lhistorien dart Rémi Labrusse explique lintérêt de Matisse pour les théories dAloïs Riegl sur la nature ornementale de lart islamique et plus généralement la recherche dun «sentiment abstrait de la beauté». Lectures, voyages, visites dexposition, échanges avec dautres artistes notamment néo-impressionnistes en attestent. Matisse est un collectionneur hors pair détoffes et de tapis orientaux dont il réunit infatigablement de très belles pièces. Elles sont un moteur plastique euphorisant qui permet au peintre de maîtriser les effets de répétition rythmique et de surface optique. En effet, cest bien la façon dont il les a utilisées qui est importante et non pas leur qualité intrinsèque. Lorientalisme de Matisse tient plus à ses principes graphiques quau pittoresque de ses tentures et de ses costumes. Ann Dumas raconte (p.81) la destinée dune toile de Jouy aux grosses fleurs bleues «aperçue en 1903 de limpériale dun omnibus quelque part sur la rive gauche, devenue un talisman» pour lartiste et que lon retrouve à chaque toile dans un situation nouvelle et sans rapport avec sa qualité détoffe traditionnelle du XVIIIe siècle. Sa curiosité le pousse vers ce que lon peut interpréter comme une forme de primitivisme : broderie roumaine, tissus indiens, chinois, arabes, costumes turcs ; les arts populaires habillent lart moderne.
Malgré une science approfondie des tissus, Matisse ne pratique pas la création textile à linverse dautres artistes de lépoque comme Dufy ou Delaunay. Hilary Spurling mentionne seulement (p.17) la création en 1919 dun manteau brodé dans latelier de Paul Poiret pour le compte de Diaghilev. Il faut attendre la fin de sa vie, pour que, porté par le grand projet de la chapelle de Vence, il sattelle à une série de vêtements liturgiques dont il réalise six chasubles. Là, plus que dans nimporte quelle autre oeuvre de la fin de sa vie, linfluence des kubas africains et paréos tahitiens quil a découverts peu de temps avant, se fait sentir. Dominique Szymusiak, conservatrice du Musée du Cateau Cambressis, tisse la trame de ces chefs-doeuvre (pp.62-69). En tenant compte du cadre de la chapelle où les vêtements sont portés, il définit avec le père Couturier la symbolique liturgique des couleurs, il mélange les effets de matière pour des motifs généreux et épurés. Ces chasubles transcrivent une plénitude et une sérénité si communicatives que lon comprend aisément pourquoi la queue est tous les jours si longue devant lOrangerie du Luxembourg (Exposition temporaire Matisse une seconde vie jusquau 17 juillet) et pourquoi cela vaut la peine dy aller !
Dailleurs, même si ce catalogue nest pas celui de cette exposition, il nen offre pas moins des clés utiles à sa compréhension et une grille de lecture originale et pertinente appuyée par une documentation choisie. La collection de tissus de Matisse montrée pour la première fois éclaire dun jour nouveau des oeuvres devenues cartes postales. Un ouvrage stimulant.
Béatrice Brengues ( Mis en ligne le 27/04/2005 ) Imprimer | | |
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