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L'interdit du sens unique | | | Henri Gaudin Considérations sur l'espace Le Rocher 2003 / 20 € - 131 ffr. / 264 pages ISBN : 2-268-04839-X FORMAT : 16x23 cm
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Cros étudie larchitecture au Bauhaus de Weimar en Allemagne. Imprimer
Considérations sur lespace est un recueil de réflexions dun architecte, bien au delà du champ de sa discipline. La philosophie, plus quaucune science, innerve les textes dHenri Gaudin. Ses écrits, ses propos, comme ses architectures, présentent une singularité formelle, une ligne personnelle. Aucun ne se livre immédiatement, par une sorte dinterdit du sens unique, de la perception incontestable, du dualisme impératif du jugement. Auteur du Stade Charléty, de la rénovation du Musée Guimet, tous deux à Paris, de luniversité SaintLeu dAmiens et de beaucoup dautres uvres, il signe des bâtiments aux volumétries complexes et savamment articulées. Son écriture est vive, animée dune vigueur poétique. Contrastée, retravaillée, enrichie, distillée, sinueuse aussi. Il arrive que lon perde parfois le fil de la pensée de lauteur de La Cabane et le labyrinthe (paru aux éditions Mardaga, Liège, 1984. Réédité en 2000). Un fil dAriane un peu lâche court à travers ce livre de textes distants les uns des autres. Henri Gaudin maîtrise tant la langue quil en fait des démonstrations, des arrangements dexcellence, il aime les labyrinthes et la brume, plutôt que les palais des glaces, mirages de larchitecture.
Le texte au titre suggestif et plein «Des litres dair» ouvre ce recueil qui évoque plus quil ne cerne car lespace ne se laisse pas facilement circonscrire. Les réflexions sur la spatialité sont condensées dans des comparaisons liquides et gazeuses. «Lespace est si volatil» note lauteur (p.240), sentant là encore que beaucoup lui échappe. Cest lespace en tant que bien commun partagé qui captive Gaudin, que les faits sociaux intéressent tout autant quil se méfie de la technique et des «objets partiels» quelle fabrique (p.160). Lauteur sinquiète de la «séparation de plus en plus profonde entre lhomme et ce quil produit» (p.181) et voit un péril dans lidéologie de la technique. Il sinsurge contre la «transformation de la terre en un gigantesque terrain dépandage», «celui du capitalisme» (pp.119-120). Il dénonce les stratégies de «dépolitisation» et de «stérilisation» de laction sociale (p.164) et le conditionnement des esprits et des corps par le recours au consentement joyeux imposé par la marchandisation et la publicité. «Quau libéralisme du pavillon soppose lEtatisme du clapier, la substitution du bric-à-brac à laccumulation ordonnée ne manifeste pas moins le désengagement de la politique vis-à-vis du monde commun des faits sociaux. Lintérêt porté à la cellule au détriment de lextériorité est le symptôme des efforts de la technocratie pour se prémunir de la contestation. En réduisant le citoyen au rôle de consommateur et en sassurant de son isolement, elle le rend vulnérable.» (p.163)
Henri Gaudin ne faiblit pas dans son combat contre les illusions et les outrances du libéralisme. «Ce nest pas aux seuls totalitarismes quon peut imputer la mort des espérances. Lindividualisme qui tue lindividu sy emploie après elles.» (p.108). Insoumis au renoncement, Henri Gaudin choisit la résistance obstinée, même teintée de regrets, pour ne pas se résoudre à la tentation de labandon. «Jai une réelle admiration pour les humains qui nont pas cédé au scepticisme et qui se savent si voués à la mort quil leur est urgent de se vouer à la vie.» est la dernière phrase du livre (p.259)...
Emmanuel Cros ( Mis en ligne le 19/10/2004 ) Imprimer | | |
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