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Un ''authentique primitif''
Kevin Moore   Jacques Henri Lartigue - L'invention d'un artiste
Textuel - L'écriture photographique 2012 /  35 € - 229.25 ffr. / 330 pages
ISBN : 978-2-84597-449-4
FORMAT : 16,0 cm × 21,0 cm

L'auteur du compte rendu : Alexandra Person est diplômée en histoire de l'art (Master I,II Université Paris-IV la Sorbonne). Elle a plus particulièrement étudié l'art officiel et la propagande sous la colonisation française. Elle participe actuellement à la gestion d'une collection privée d'art moderne et contemporain.
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Malgré une reconnaissance tardive, Jacques-Henri Lartigue (1894-1986) demeure à ce jour un photographe mythique du XXe siècle. Réalisant sa première photographie à l’âge de huit ans, il symbolise à lui seul l’innocence du talent et l’enfance de la photographie. Près d’un demi-siècle après sa découverte au Museum of Modern Art (MOMA) en 1963, Kevin Moore ébranle cette vision naïve en privilégiant la voie de l’historiographie. Pour l’auteur, «nous sommes face à deux pays, deux moments, deux contextes. Il y a en réalité deux Lartigue : le premier se forme en France à la Belle Époque, le second se transforme aux États-Unis». Avec force détails, il puise à la fois dans le passé familial et dans l’histoire de l’art américain des arguments irréfutables qui révèlent l’inanité d’un récit légendaire.

À la lumière de cet ouvrage, force est de constater que la miraculeuse vocation de Lartigue, largement répandue et jamais rectifiée de son vivant, résulte réellement d’une transmission. Initié par son père à la photographie amateur en vogue en France à la fin du XIXe - début du XXe, Lartigue est déjà familiarisé aux techniques et aux exigences du medium lorsqu’il réalise sa première photographie avec son propre appareil en 1902. Analysant ce puissant phénomène d’acculturation, lié à la grande place qu’occupait la photographie au sein de la famille, Kevin Moore détaille avec soin certaines compositions antérieures à 1910 et note qu’elles portent encore la marque des enseignements de la figure tutélaire du père.

Alors que Lartigue appartient à une génération entière d’amateurs anonymes, c’est en tant qu’«authentique primitif» de la photographie qu’il va être révélé au grand public, selon la célèbre formule de John Szarkowski (1925-2007), théoricien, conservateur et commissaire de l’exposition ''The photographs of Jacques-Henri Lartigue'' au MOMA en 1963. Fort des similitudes qu’il établit entre la maîtrise de l’instantanéité chez Lartigue et l’esthétique dominante du snapshot incarnée par le photographe Garry Winogrand (1928-1984), John Szarkowski isole le travail de Lartigue de son véritable contexte en niant l’origine historique et spatiale de sa création. Intégrant cette mystification au cœur des problématiques liées au manque de légitimité artistique dont souffre toujours la photographie dans les années soixante, l’auteur démontre que sur la seule base de critères formels, d’ailleurs empruntés à l’expressionnisme abstrait – le mouvement, l’informe, le ratage - la photographie américaine crée un artiste, dont elle se proclame l’héritière.

Toujours porté à scénariser sa propre existence dans ses fameux albums, Lartigue fut complice de cette invention. Loin de l’ingénuité emblématique de son succès, ce passionnant travail de recherche s’attache à décrypter les réelles facettes d’une production totalement maîtrisée et d’un jeune homme capable d’autodérision sur son propre milieu. C’est avec un regard neuf qu’il nous est ainsi possible d’apprécier toute l’acuité avec laquelle Lartigue savait saisir l’instant suspendu, ce moment «de stase au cœur du mouvement», qui fait la magie de cette œuvre exaltante.


Alexandra Person
( Mis en ligne le 21/12/2012 )
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