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Un Germain hellénophile aux origines de l’histoire de l’art | | | Edouard Pommier Winckelmann - inventeur de l'histoire de l'art Gallimard - Bibliothèque des histoires 2003 / 16.50 € - 108.08 ffr. / 288 pages ISBN : 2-07-070457-2 FORMAT : 14x23 cm
L'auteur du compte rendu : Sébastien Dalmon, diplômé de lI.E.P. de Toulouse, est titulaire dune maîtrise en histoire ancienne (mémoire sur Les représentations du féminin dans les poèmes dHésiode) et dun DEA de Sciences des Religions à lEcole Pratique des Hautes Etudes (mémoire sur Les Nymphes dans la Périégèse de la Grèce de Pausanias). Ancien élève de lInstitut Régional dAdministration de Bastia, il est actuellement professeur dhistoire-géographie. Imprimer
Edouard Pommier, inspecteur général honoraire des musées de France, cumule des compétences dhistorien de lart et de germaniste. Il était donc tout désigné pour nous offrir un ouvrage sur Johann Joachim Winckelmann (1717-1768), dans lequel beaucoup ont coutume de voir le fondateur de lhistoire de lart.
Cet ouvrage est en fait un recueil darticles (qui forment chacun un chapitre) parus dans diverses revues ou actes de colloques de 1989 à 2001. Il représente donc près de 12 ans de réflexion du même homme sur ce personnage singulier quétait lauteur de lHistoire de lart de lAntiquité, célébré déjà de son vivant, mort tragiquement assassiné à Trieste par un cuisinier qui convoitait les médailles dont les souverains autrichiens lui avaient fait présent lors de son passage à Vienne.
Edouard Pommier tente de jeter un éclairage sur la présence, dans la vie même et dans les écrits de son personnage, dun certain nombre de notions qui sentrecroisent, mais qui permettent débaucher «lesquisse dun système Winckelmann» (p.12). Pour cela, il repense la présentation de ses articles dans un ordre qui nest pas celui de la chronologie selon laquelle il les a écrits. Louvrage comporte aussi une chronologie sommaire de la vie et des uvres de Winckelmann, ainsi quun cahier iconographique de huit pages (comportant douze images en noir et blanc) inséré au milieu du livre.
Le parcours commence par un chapitre sur la religion. Winckelmann a suivi, en ce domaine, une évolution étonnante : il est passé dun protestantisme très strict, nuancé de piétisme, au catholicisme. Cette conversion, qui a lieu en 1754, ne lui a pas seulement ouvert les portes des bibliothèques et des collections romaines, et apporté lappui des cardinaux, mais lui a permis aussi de participer du pouvoir culturel de Rome. Il avait désiré passionnément aller dans la Ville éternelle pour parler de la Rome antique, mais ce chemin passait par la Rome pontificale. Sa conversion est donc empreinte dun certain opportunisme, mais il garde de ses origines une profonde aspiration à la tranquillité, à la paix divine et au calme spirituel (traductions imparfaites du terme allemand Stille), malgré une certaine coloration païenne de sa pensée, qui célèbre une certaine «religion de lart» et de la beauté.
Le deuxième chapitre explore le thème de la grâce, objet dun court essai que publia Winckelmann en 1759. De cette notion que tant de livres de la Renaissance et du classicisme se sont épuisés à définir, on ne peut dire, semble-t-il, quune chose : quelle se révèle à travers une forme, un geste, un mouvement, une musique qui émanent dun être humain, comme un affleurement clairement perceptible de la transcendance, comme un signe qui parle du divin, de linfini et de léternel, dune manière qui ne soit ni autoritaire ni effrayante, mais à la fois émouvante et rassurante. Lintérêt porté par Winckelmann à la grâce est une émanation immédiate de cette indéracinable présence en lui du fait religieux, qui se manifeste au moment et dans la suite de sa conversion.
La grâce conduit naturellement Edouard Pommier à étudier ensuite dans un troisième chapitre le sentiment du beau. Winckelmann, dans une lettre de juillet 1758 à propos du fameux Torse du Belvédère, pose une question pour lui fondamentale : de quoi parle-t-on quand on dit quune chose est belle ? Il écrit : «Il ne suffit pas de dire quune chose est belle : il faut aussi savoir dans quelle mesure et pourquoi elle est belle» (p.95). Il savait quil était difficile de parler du beau, mais quil avait pourtant vocation à le faire. Il montre dabord que la capacité à éprouver le sentiment du beau nest pas un don que tous les hommes auraient reçu ; car le beau, dans luvre dart, se manifeste au moment où cesse le pouvoir de la parole du poète.
De ces considérations sur lesthétique, on passe enfin dans le quatrième chapitre à la question centrale de lart. Winckelmann marque incontestablement une rupture entre la conception traditionnelle de la description des «Vies» dartistes (celle de Vasari) et lhistoire de lart naissante. Il a eu, sur ce point, une conscience aiguë de son rôle novateur. Au moment où il entreprend son uvre majeure, lHistoire de lart de lAntiquité, qui est finalement publiée en 1764, il se répand en critiques ironiques, acerbes et parfois injurieuses contre la longue lignée des rédacteurs de «Vies». Il ne veut voir dans ces textes quun assemblage danecdotes futiles, dérudition pédante et de bavardages inintéressants et inutiles autour des biographies de peintres, sculpteurs et architectes italiens.
Les deux chapitres suivants sattachent à présenter la démarche originale de Winckelmann, qui tend à restituer les chefs-duvre dans leur contexte historique. Il sagit en effet détudier les conditions dapparition, de développement, dépanouissement et de décadence de cette faculté créatrice et de les ordonner sur léchelle des temps, mais non de répertorier les caprices et les aventures des artistes eux-mêmes. Winckelmann sintéresse peu à la Renaissance italienne ; sa prédilection va plutôt à lAntiquité, qui devient le paradigme absolu, le monde originel paré de toutes les vertus. On voit aussi se dessiner un autre débat fondamental, sur la possibilité ou les limites de limitation. Pour Winckelmann, il importe plus de retrouver la démarche des anciens Hellènes que de copier servilement leurs modèles, même sil admet que limitation des Anciens est préférable à celle de la nature. Cest cependant un modèle qui ne laisse que la possibilité décrire son histoire, voire den faire lobjet dune nouvelle religion, mais sans espoir de la faire revivre.
Selon lui, cest la liberté inhérente à la démocratie grecque qui a été la condition primordiale de la floraison des arts et du culte de la beauté. Son néoclassicisme a donc une grande audience dans la France des Lumières, et surtout sur les hommes de la Révolution, qui rêvent de voir dans la jeune République une nouvelle Athènes dominant politiquement, idéologiquement et culturellement lEurope. Cependant, certains des admirateurs de Winckelmann, comme Quatremère de Quincy, ne cèdent pas à ce mirage nationaliste, et y dénoncent même une manipulation et un gauchissement de lhéritage du savant allemand.Celui-ci est dailleurs revendiqué dune certaine manière par la réaction. En effet, plusieurs souverains de la Sainte Alliance ont apporté leur souscription à son monument commémoratif à Trieste, achevé en 1822 et inauguré en 1833. Lhommage tacite de Rome avait même été beaucoup plus rapide : les travaux, commencés en 1774, aboutirent en 1784 à linauguration du musée du Vatican, où lon peut encore méditer, à linstar de Winckelmann, sur les chefs-duvre antiques que sont le Torse, le Laocoon et lApollon du Belvédère.
Sébastien Dalmon ( Mis en ligne le 02/02/2004 ) Imprimer | | |
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