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L’Afrique au secours de l’art contemporain dominant
Jean-Loup Amselle   L'Art de la friche - Essai sur l'art africain contemporain
Flammarion 2005 /  21 € - 137.55 ffr. / 214 pages
ISBN : 2-08-210447-8
FORMAT : 14x22 cm

L'auteur du compte rendu : Claire Grace est diplômée de Brown University (Etats-Unis) où elle s'est concentrée sur le croisement entre l'art et la justice sociale. Elle a organisé plusieurs expositions d'art contemporain ("Intersections" qui a réuni quatre peintres du Mali) et elle travaille actuellement auprès des commissaires de l'exposition itinérante «Africa Remix», qui s'ouvrira au Centre Pompidou en mai 2005.
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Avec son nouveau livre L’Art de la friche, essai sur l’art contemporain, Jean-Loup Amselle affirme sa position comme l’un des plus éminents anthropologues postmodernes en France. Spécialisé dans l’art contemporain africain, l’auteur est décidément branché sur les discours actuellement les plus en vus sur la notion d’identité culturelle dans le monde.

Livrée dans un style pétillant et agréable, son idée principale part de deux évidences trop souvent négligées : que l’art contemporain renvoie nécessairement à des enjeux politiques majeurs et que l’Afrique occupe une place centrale dans l’imaginaire occidental, particulièrement en France. C’est à partir de ces assertions qu’Amselle construit son argument. Il observe que, de part son autoréférentialité, l’art contemporain dominant, c’est-à-dire celui produit ou approuvé par l’Occident, se voit aujourd’hui comme dans un état de stérilité et de crise profonde. Face à cette impasse, l’art contemporain s’oriente vers l’Afrique comme foyer de l’énergie nécessaire à sa régénération.

La métaphore qui fournit le jeu de mot du titre prend son sens dans la signification accordée au mot «friche» dans le discours sur l’art contemporain. Dans ce milieu, la «friche» distingue un lieu désaffecté et délaissé que l’artiste contemporain s’approprie comme source d’inspiration et espace de la création de formes artistiques nouvelles. Comme les usines abandonnées dans les villes post-industrielles, l’Afrique, propose Amselle, fonctionne telle une source de «fraîcheur» et de renouveau. Bien évidemment, c’est une vision occidentale qui ne nous est pas inconnue : simple reformulation de l’Orientalisme du XIXe siècle, elle résonne avec des impressions refoulées mais déjà répandues dans la conscience occidentale. L’intérêt foncier de ce livre est qu’à travers ses sept chapitres pointus, détaillés et bien argumentés, il permet de saisir des réalités sociales qui, jusqu’ici inaccessibles, flottent comme des fantômes dans l’imaginaire culturel de l’Occident et de la France en particulier.

Le premier chapitre, «L’Afrique face à la vitrification du monde», renvoie le reflet d’un Occident aseptisé et esthétisé qui, dans une relation bien baudelairienne de «fleurs de mal congolais», repose sur le maintien de l’Afrique comme refuge d’énergie primale ou d’âme et comme antidote à la vitrification de l’Occident. «Entre Eros et Thanatos», le deuxième chapitre, explore le regard de «fascination-répulsion» que porte l’Occident sur de l’Afrique. «Doit-on exposer l’art africain» approfondit certaines critiques postmodernes qui s’appliquent aux musées occidentaux d’art africain et à la série d’expositions d’art contemporain africain déclenchée en 1989 par l’exposition charnière Magiciens de la terre. En France, cette discussion retrouve une actualité, quelques semaines avant le vernissage au Centre Pompidou de la gigantesque exposition Africa Remix et en plein débat autour du nouveau Musée du Quai Branly.

Le quatrième chapitre, «Primitivisme et Postcolonialisme», s’attache à critiquer de récentes expositions de type post-colonial comme The Short Century et Unpacking Europe. Selon Amselle, ces expositions, tout en affirmant une notion de la culture comme nécessairement poreuse, contingente et métissée, auraient eu l’effet paradoxal de renforcer l’isolement de l’Afrique et de l’Europe comme unités totales. Mais ceux qui ont eu l'occasion de visiter Unpacking Europe ne partageront peut-être pas la lecture qu’en fait Amselle et resteront admiratifs de cette exposition. «Ecritures en friches» mesure le point auquel des artistes africains contemporains, jouant des stéréotypes que l’Occident porte à leur égard, recherchent des signes proprement «africains» dans une sorte d’orientalisme afrocentré.

Dans «Une Documenta Africaine», comme dans «Primitivisme et Postcolonialisme», Amselle s’attache à critiquer des expositions de commissaires postcoloniales comme Okwui Enwezor et Rem Koolhaus. Il suggère qu’en convoquant de manière démesurée le coefficient culturel des oeuvres d’art, des expositions de ce genre ont tendance à réifier la catégorie d’art «africain» ou d’art «non-occidental» et à négliger le caractère universel de l’opération artistique. Si ce chapitre reprend certains des enjeux du quatrième (Amselle aurait pu en faire un seul), les analyses ici élaborées restent néanmoins bien argumentées et provocantes.

Le dernier chapitre, «Vers la France Afriche», examine le réseau artistique français en Afrique, c’est-à-dire les centres culturels, les écoles des Beaux-Arts, les Rencontres de la chorégraphie et de la photographie, l’Afrique en création, le Festival de cinéma africain de Ouagadougou, ainsi que d’autres projets encore. A travers ces institutions, propose Amselle, la France, en raison de son supposé épuisement culturel, s’attache de façon concrète à ce que le continent africain demeure dans un état de «friche» culturelle. Ce projet, toujours selon Amselle, engendre une forme de domination plus subtile mais aussi nocive que celle des régimes coloniaux. Cette domination postcoloniale «consacre l’échec des politiques de développement économique (…) menées en Afrique depuis les indépendances et investit le domaine des arts et de la culture comme secteur censé fournir le maximum de retours sur investissement». Quoique polémique, cette lecture et d’autres dans cette section mériteraient un peu plus d’élaboration et d’illustration que celles offertes par l’auteur. Cela dit, ce chapitre, comme les autres, livre une analyse aussi instructive et convaincante que foncièrement déconcertante.

L’élément stylistique qui pourrait frapper dans ce livre est l’ambiguïté du rapport de l’auteur avec des critiques de l’école anglo-saxonne des Postcolonial Studies. Car, d’une part, c’est dans cette école de pensée que s’ancre tout le champ de réflexion d’Amselle, jusqu’à sa manière de formuler des questions et d’organiser des idées. D’autre part, et de manière un peu facile, il se précipite à critiquer les analyses de ces intellectuels post coloniaux. Si certaines de ses critiques sont justes, d’autres manquent de profondeur et de développement. Cette limitation est particulièrement gênante lorsque Amselle critique un James Clifford, dont les positions, en fin de compte, ne diffèrent pas des siennes.

Le propos du livre (la situation précaire de la «culture française») pousse à critiquer la manière hâtive dont l’auteur traîte ces penseurs anglo-saxons. D'autant plus lorsqu’on remarque l’utilisation tantôt sardonique tantôt sincère des expressions anglaises : «last but not least», «come back», «vintage», «charity business», «fashion victims» et, pour qualifier les thématiques de l’art contemporain, «trash», «stinking», «(m)art», «destroy», ainsi de suite. Certes, de par son caractère «in», ce langage gêne Mais il a au moins la vertu d’alléger un discours autrement très pénible pour n’importe quel lecteur, qu’il soit occidental, africain ou autre.

On reprochera surtout à l'ouvrage sa mauvaise qualité, notamment en ce qui concerne les illustrations – la sélection est excellente mais les reproductions sont abominables – et la mise en page – un passage de trois paragraphes figure dans deux chapitres différents Malgré ces défauts, on ne peut que recommander très vivement ce livre dont la portée est aussi pertinente que dérangeante...


Claire Grace
( Mis en ligne le 13/05/2005 )
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