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Beaux arts / Beaux livres -> Histoire de l'art |
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De l’art moderne à l’art contemporain : les révolutions révolues du XXe siècle | | | Daniel Soutif Collectif L'Art du XXe siècle - De l'art moderne à l'art contemporain. 1939-2002 Citadelles & Mazenod - L'art et les grandes civilisations 2005 / 199 € - 1303.45 ffr. / 631 pages ISBN : 2-85088-084-1 FORMAT : 26,0cm x 32,0cm
L'auteur du compte rendu : Outre des collaborations régulières avec des galeries ou dans la presse, Jérôme Poggi travaille dans le champ de lart contemporain au sein dune structure quil a créée, Objet de production. Il enseigne à lEcole centrale de Paris, à la London University et dans plusieurs universités américaines à Paris. Ingénieur-économiste de lEcole centrale de Paris, diplômé de lEHESS et titulaire dune maîtrise dhistoire de lart (Paris I), il prépare un doctorat sur «le commerce de lart moderne à Paris sous le Second Empire». Imprimer
Les amateurs de beaux livres et dhistoire de lart attendaient depuis longtemps le nouveau volume que les éditions Citadelles & Mazenod consacrent à lart du XXe siècle, dans la prestigieuse collection «Lart et les grandes civilisations». Après avoir confié au professeur Jean-Paul Bouillon un premier volume, sorti en 1996, consacré à la période 1900-1939, cest Daniel Soutif que lon a invité à clore le siècle. Le XXe siècle est maintenant définitivement révolu, derrière nous, avec ses révolutions, avant-gardes et ruptures désormais consommées.
Daniel Soutif, aujourdhui directeur du centre dart de Prato près de Florence, a fait appel à treize spécialistes, parmi les meilleurs dans leur domaine peinture, sculpture, nouveaux médias, graphisme (Catherine de Smet), architecture (Carlotta Daro) - pour tenter de dresser un panorama pluridisciplinaire des années 1939-2002, tout du long des 600 pages du volume. Vaste entreprise dautant plus ardue que ses bornes délimitent une période hétérogène au cours de laquelle la notion même dart se transforme radicalement. Ce quil est convenu dappeler «lart contemporain» rompt brutalement avec «lart moderne», autour des années 1960. Cest cette rupture qui constitue largument dun volume qui sorganise dès lors comme un triptyque : avant, pendant, après.
Lavant, cest la fin de lart moderne, ou plutôt «les fins de lart moderne» pour reprendre le titre subtil de cette première partie. Une fin qui, en Europe, prend des airs de décadence, du «déclin fécond» du surréalisme comme lécrit Didier Semin à la mise à la mort de la peinture opérée par les nouveaux réalistes selon Denys Ryout, tandis quelle connaît une forme dapothéose aux Etats-Unis avec lexpressionnisme abstrait et ses suites (Eric de Chassey). Intervient alors la rupture, celle du basculement de lart moderne à lart contemporain, fixé plus ou moins arbitrairement au 20 juin 1964, date de linauguration de la Biennale de Venise qui verra pour la première fois un artiste américain, Robert Rauschenberg, recevoir un Lion dor. La magnifique affiche de cette XXXIIe biennale occupe, souveraine, toute la page 209 de louvrage, marquant le début de la deuxième partie du volume, intitulée lavènement de lart contemporain. Logiquement, il revient à lart américain dinaugurer cette nouvelle ère, à commencer par le popart suivi de lart minimal et conceptuel (Jean-Pierre Criqui). Alors quYves Klein, Martial Raysse, Arman, Niki de Saint-Phalle ou Raymond Hains sont chargés de clore lhistoire de lart moderne, ce sont leurs contemporains américains Rauschenberg, Lichenstein, Warhol, Rosenquist qui ont lhonneur douvrir une nouvelle ère. Pour injuste que puisse paraître une telle césure, elle dit bien que lhistoire de lart nest pas seulement esthétique mais aussi économique et politique. Heureusement, deux chapitres dus aux plumes de Didier Semin et Véronique Goudinoux donnent toute leur place aux avant-gardes européennes dans lart des années 60 quelles soient françaises, italiennes, allemandes, ou belges (Figuration narrative, BMPT et Supports/surfaces, Arte Povera, Fluxus, etc). A ces trois chapitres historiques succèdent des chapitres thématiques, plus transversaux, qui abordent les questions despace (Gilles Tiberghien), de mémoire (D. Semin), de genre (Elisabeth Lebovici) ou de medium (la photographie par Soutif, la vidéo par Stefano Pezzato, le son par Eric de Visscher).
Après lavènement de lart contemporain, cest son assomption, « ubilatoire» pourrait-on dire, qui commence à partir de 1982, date de la documenta VII de Rudi Fuchs et de la fameuse exposition berlinoise Zeit-Geist, qui marqua de façon emblématique le retour dune peinture figurative libérée «des freins répressifs de lintellect qui a régné sur lart dominant de la dernière décade». Ses formes une fois réinventées, lart contemporain réinvente ses frontières souvrant au monde et aux continents, «dEst en Ouest et du Nord au Sud» (texte de Jean-Hubert Martin, auteur de lhistorique exposition Les magiciens de la terre en 1989), accordant (enfin) une place (presque) entière aux femmes dans le royaume (sexiste) de la création (Elisabeth Lebovici), intégrant lespace réel à lespace symbolique de loeuvre, redéfinissant la place du spectateur dans le processus artistique, abolissant les frontières entre les médiums et les formes culturelles. Signe de cette ouverture de la notion dart, cest la Documenta de 2002 qui est choisie pour clore la période et ouvrir sur un siècle qui commence.
La qualité de cette histoire de lart de la seconde moitié du XXe siècle ne se limite pas mais à son impressionnant sommaire. Il convient de souligner lexceptionnelle iconographie qui la rythme. Bien plus quillustrer les textes, les 500 images du livre offrent une seconde lecture, visuelle celle-ci, de cet art du XXe siècle. Lecture subtile, dune grande sensibilité et intelligence, que stimulent un choix iconographique et un art de la mise en page dune grande efficacité. Certaines images, reproduites en pleine page, disent plus que tout discours. Il en est ainsi de lOmbre de Picasso qui plane sur toute la première partie ou de lAigle de Baselitz qui bouleverse toutes les conventions pour ouvrir la dernière partie de louvrage. Certaines confrontations dimages font preuve dun art de lellipse redoutable : le face-à-face dune photographie de Larry Clark de 1972 et de Beat Streuli de 2003 évoque en deux images une histoire générationnelle que des milliers de pages de sociologues, psychanalystes, historiens ne sauraient dire. Alors que la plupart des histoires de lart confèrent aux images une valeur démonstrative, celle de Daniel Soutif respecte la puissance évocatrice et poétique des uvres, même reproduites, comme en témoigne lultime image du livre : Pi, suite à la fois arithmétique et baroque de François Morellet, qui entraîne le lecteur dans une véritable fugue de néons rouges, au gré de quelques notes qui échappent à tout classement pour résonner dans le monde du sensible et de limaginaire au-delà de la dernière page...
Jérôme Poggi ( Mis en ligne le 23/11/2005 ) Imprimer | | |
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