Collectif Le Carreau du Temple Ed. Nicolas Chaudun 2014 / 35 € - 229.25 ffr. / 191 pages ISBN : 978-2-35039-158-8 FORMAT : 21,6 cm × 22,2 cm
L'auteur du compte rendu : Archiviste-paléographe, docteur de l'université de Paris I-Sorbonne, conservateur en chef du patrimoine, Thierry Sarmant est responsable des collections de monnaies et médailles du musée Carnavalet après avoir été adjoint au directeur du département des monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Il a publié, entre autres titres, Les Demeures du Soleil, Louis XIV, Louvois et la surintendance des Bâtiments du roi (2003), Louis XIV. Homme et roi (Tallandier, 2012), Fontainebleau. Mille ans d'histoire de France (Tallandier, 2013). Imprimer
Gros temps sur le patrimoine parisien ! Églises paroissiales, place de la République, serres dAuteuil, piscine Molitor, Samaritaine, on ne compte plus les polémiques intéressant la conservation ou la transformation des monuments de la capitale. Les destructions pures et simples ne sont plus seules en cause, comme dans les siècles passés, mais aussi les restaurations et les restructurations infidèles à lesprit des lieux.
Dans ce contexte morose, la rénovation du bâtiment qui fait lobjet du présent ouvrage a fait assez peu de bruit les bonnes nouvelles trouvent moins décho que les mauvaises. Il sagit pourtant dune parfaite réussite : le Carreau du Temple, marché couvert jadis dévolu à la friperie, renaît pour abriter une série de salles de sport et de spectacle. Larchitecture de fer et de verre du XIXe siècle se marie harmonieusement avec le chêne clair des aménagements intérieurs conçus pour les nouveaux usages de lédifice. Au rez-de-chaussée, le remplacement des murs de brique par des parois vitrées ouvre la halle sur le quartier et fait ressortir laudace des structures métalliques ; en sous-sol, des volumes contemporains dune belle tenue font de lensemble une création autant quune restauration. Les architectes ont su tirer les leçons de restitutions trop sèches tentées lors dopérations analogues.
Lironie du sort veut que cette opération modèle prenne place en un des sites parisiens qui ont été le plus martyrisés par lhistoire : lenclos du Temple. Pendant sept siècles, ce vaste domaine des Templiers fut un élément majeur du paysage de Paris. Le Donjon et la tour de César, dominant la rive droite, dialoguaient avec les tours de Notre-Dame ; léglise reproduisait les dispositions du Saint-Sépulcre de Jérusalem ; lhôtel du grand prieur, reconstruit sous Louis XIV, était un des plus luxueux palais de la capitale ; lenclos lui-même était une ville dans la ville.
Tout cela disparut en quelques décennies. Léglise fut détruite en 1796. Lenceinte fut démolie à partir de 1800 et lenclos loti. Le donjon, coupable davoir servi de prison à la famille royale pendant la Révolution, fut abattu entre 1808 et 1810. Lhôtel du grand prieur disparut à son tour en 1853 pour laisser la place au square du Temple. Rien dans le parcellaire actuel du quartier ne rappelle lancien enclos et ses bâtiments.
Lactuel Carreau est lhéritier dun «marché au vieux linge» construit entre 1809 et 1811 sur la partie septentrionale de lenclos. Ces premières halles furent remplacées en 1865 par un très vaste édifice dû à larchitecte Jules de Mérindol, qui sinspirait étroitement des halles de Baltard. Surdimensionné, le bâtiment de Mérindol fut démoli aux trois quarts dès 1901 : le Carreau daujourdhui correspond à la portion subsistante, dont la conservation apparaît comme quasi-miraculeuse.
Les auteurs du beau volume collectif publié par les éditions Nicolas Chaudun retracent les avatars de ce morceau du «vieux Paris», depuis larrivée des Templiers jusquà la consultation qui a précédé le chantier de rénovation du Carreau. On y voit comment archéologie, histoire politique, histoire de larchitecture et sociologie peuvent concourir pour aboutir à une compréhension fine des enjeux urbanistiques. Il reste à espérer que la leçon du Carreau inspire les acteurs des autres chantiers qui se profilent. Entre spéculation immobilière et hostilité idéologique envers la «ville-musée», le patrimoine de Paris est plus menacé que jamais.
Thierry Sarmant ( Mis en ligne le 01/07/2014 ) Imprimer |