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| Walter-B. Denny Iznik - La céramique turque et l'art ottoman Citadelles & Mazenod 2005 / 59 € - 386.45 ffr. / 240 pages ISBN : 2-85088-210-0 FORMAT : 26x34 cm Imprimer
Les éditions Citadelle et Mazenod, coutumières du fait, nous offrent un ouvrage magnifique. Ce dernier opus est consacré aux céramiques ottomanes et plus précisément aux productions des ateliers de la ville dIznik, surgis de la volonté du pouvoir de donner vie à des oeuvres capables dégaler, par leur finesse et leur beauté, les coûteuses porcelaines chinoises, alors très en vogue. Louvrage est dû à Walter B. Denny, historien dart américain. Il a été rédigé en anglais, puis traduit admirablement - mais il sagit bien dune édition originale et non de la reprise dun ouvrage anglo-saxon paru antérieurement.
La richesse de louvrage est bien sûr liée au nombre et à la qualité des illustrations, à la beauté décorative de ces panneaux de céramiques, et de ces objets - plats, coupes, hanaps - parfaitement photogéniques. Lesthète qui se rend au musée apercevra certes les objets représentés ici, mais dans des conditions de présentation et déclairage souvent médiocres, il les appréhendera à distance, dans un environnement peu propice à leur rayonnement. Transfigurés par lobjectif et par la magie du gros plan, les céramiques dIznik rayonnent sur le papier glacé. Pour bien saisir la richesse de liconographie, on ne peut quinviter lecteur à se reporter aux détails présentés, en particulier, aux pages 80-84, 96-97, 130-131, 196-197.
Toutefois la qualité de louvrage de Walter B. Denny, ne se réduit pas à la richesse de liconographie, aussi magnifique soit-elle. Le texte de létude est véritablement passionnant. Il sagit en fait dune synthèse sur lart de la céramique qui prospéra entre les XVe et XVIIe siècles non loin dIstanbul, dans la petite localité dIznik. Le propos de lauteur ne requiert aucune connaissance préalable. Il est clair et précis, accessible à tous, ce qui était une véritable gageure, tant est complexe lorganisation politique, administrative et artistico-commerciale de lEmpire ottoman, qui sétendait alors de lEurope centrale au Proche Orient en passant par lAsie mineure.
Walter B. Denny nous dévoile dans cet ouvrage tous les secrets de la technique de la céramique. Mais il a su élargir son propos pour simmerger dans la société ottomane et démêler les liens complexes quentretenait le pouvoir avec les artisans céramistes dIznik. Entre ces deux pôles, le mécanisme de la commande impériale faisait intervenir de nombreux rouages intermédiaires, tels que lefficace bureaucratie impériale, les artistes-dessinateurs stambouliotes, les grands architectes. En vérité, la situation est encore plus complexe, car les céramistes dIznik ne produisaient pas seulement pour le prince mais aussi pour le marché privé. Ce débouché devint au fil du temps de plus en plus rémunérateur, et autorisait également une plus grande liberté créatrice. Pour autant, nul doute que les chefs doeuvre les plus aboutis de lart dIznik sincarnent dans les vastes assemblages de carreaux de céramiques apposés sur les parois des grandes mosquées édifiées à Istanbul et Edirne entre 1560 et 1570.
Après un âge dor au XVIe siècle sous les règnes de Süleyman Ier, Selim II et Murad III, marqué par lextraordinaire liberté créatrice des dessinateurs et des céramistes, la production des ateliers dIznik tendit à décliner à partir du XVIIe siècle. Mais ce déclin ne signifia pas pour autant un désintérêt pour les oeuvres sorties des ateliers dIznik, à lépoque de sa splendeur. En effet, plusieurs brefs chapitres passionnants sont consacrés en fin douvrage à la postérité dIznik, aux tentatives dimitation comme au destin des oeuvres originales. Une attention toute particulière est en effet portée à la diffusion des pièce hors de Turquie et à leur insertion dans les collections privées et les musées occidentaux, à Athènes, Londres, Paris, Lisbonne. Mais bien entendu, et lauteur le rappelle à maintes reprises, les plus beaux exemples de lart dIznik nont pas été exportés : les décors muraux formés de carreaux de céramiques sont demeurés sur les parois des édifices tout particulièrement religieux pour lesquels ils avaient été conçus, à Istanbul ou à proximité.
Au terme de la lecture, cet ouvrage de toute beauté se révèle donc être un appel insistant au voyage, ou plus modestement, une invitation à redécouvrir les collections dart islamique des musées français, hélas souvent présentées dans des conditions peu dignes de leur richesse et de leur qualité.
Raphaël Muller ( Mis en ligne le 15/04/2005 ) Imprimer | | |
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