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Le port de l'Autre
Pascal Blanchard   Gilles Boëtsch    Collectif   Marseille Porte du Sud - Un siècle d'histoire coloniale et d'immigration
La Découverte 2005 /  45 € - 294.75 ffr. / 239 pages
ISBN : 2-7071-4575-0
FORMAT : 25,0cm x 32,0cm

L’auteur du compte rendu : Mathilde Larrère est maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université Paris XIII et à l'IEP de Paris.
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Après le Paris noir, le Paris arabe et le Paris Asie, Pascal Blanchard abandonne la capitale pour la cité phocéenne. En association avec l’anthropologue Gilles Boëtsch, c’est autour de Marseille qu’il nous livre un siècle d’histoire coloniale et de l’immigration. La ville, de fait, s’y prête bien : port vers l’Orient et le Maghreb, ville-transit, ville mosaïque, arabe, noire, levantine et asiatique... L’approche des auteurs est centrée sur l’iconographie, qui domine l’ouvrage et en fait, avant tout, un livre illustré.

Il se découpe en huit chapitres de construction identique. Quatre pages d’introduction, rédigées par les auteurs, ouvrent le chapitre, avec de petites illustrations dans les marges. Suivent une dizaine de doubles pages qui font la part belle à l’image et précisent certains points, ou s’attardent sur quelque lieu, événement ou personne. Une conclusion est laissée à un auteur invité - non sans quelques redondances parfois.

Le découpage est chronologique. 1905–1913, Marseille s’impose comme la capitale de l’empire naissant, ce dont témoigne l’intensité des échanges de biens et de personnes, et ce que célèbre la grande exposition coloniale de 1906 - sur laquelle l’introduction puis les pages suivantes s’attardent longuement, ce qui n’étonnera pas de la part de l’auteur de Zoos Humains (La découverte poche 2004). La ville attire également une immigration croissante, d’origines diverses, arabe et levantine principalement, qu’elle intègre difficilement. 1914–1919 : le temps de la guerre est celui de l’arrivée des troupes coloniales qui transitent par Marseille et s’y posent un temps, non sans susciter quelque rejet de la part de la population locale. 1920–1938. Marseille vit son apothéose coloniale : plus que jamais, la ville impériale, orientale, se superpose à la Marseille des provençaux, ce qu’une nouvelle exposition vient célébrer. Mais cette activité coloniale se double nécessairement d’une activité anti-coloniale particulièrement virulente. L’immigration s’accentue également, pour pallier le déficit démographique. Venus du Levant, d’Arménie, ou d’Afrique subsaharienne, les migrants, travailleurs ou réfugiés, peinent à trouver leur place dans une ville qui les rejette.

1939–1945 : dans le port phocéen, diverses populations s’attardent, en attente d’un départ, d’un emploi ou d’une libération : troupes coloniales, réfugiés de 1940, travailleurs coloniaux recrutés par Vichy à la demande allemande, marins et dockers au chômage, troupes alliées débarquées pour libérer la France. La ville est surpeuplée et ne parvient pas à faire décemment face. 1946–1962 : Marseille subit les contrecoups d’un empire qui s’ébranle. Le «port de l’Union française» est à nouveau une ville de transit, par où passent la plus grande partie des deux millions de travailleurs immigrés, mais aussi des centaines de milliers de migrants à destination d’Israël ou du Levant, ainsi que de nombreux rapatriés d’Indochine puis d’Algérie. Pour la population immigrée qui choisit de rester à Marseille, les conditions de vie se durcissent : crise du logement (avec la naissance des bidonvilles), surveillance policière quasi constante et racisme latent sont de règle. 1963–1975 : l’afflux des rapatriés d’Algérie donne à Marseille une nouvelle culture pied-noire ; parallèlement, la nouvelle composition de l’immigration du travail en France renforce la communauté maghrébine, sur laquelle les autorités accentuent leur contrôle et que les politiques urbaines tendent à rejeter hors la ville, dans des cités de transit et des bidonvilles. Cette mise à l’écart, de plus en plus dénoncée, s’accompagne d’une montée du racisme, qui culmine lors de la flambée de violence de 1973. La vie des immigrés en France est rythmée par le non droit, et Marseille est le pivot de cette «politique», ce que révèle la découverte d’un centre d’hébergement illégal dans un hangar du môle d’Arenc où sont détenus des étrangers sous le coup d’une expulsion, hommes, femmes comme enfants.

1976–1995 : Marseille est en crise, crise politique avec l’explosion des partis d’extrême droite, crise économique suite au choc pétrolier, crise urbaine avec le développement de la ville, son surpeuplement et l’explosion des ghettos sociaux et ethniques à ses marges, cependant que son centre, entre la gare et le vieux port, devient une place marchande où tout le Maghreb vient s’approvisionner. En dépit de la présence d’autres populations d’origine immigrée, c’est en effet la présence maghrébine qui domine la vie de la cité, focalise les regards. Au racisme répond la première marche des Beurs qui débouche sur la création de SOS Racisme. Si la municipalité peine à bâtir une cohésion sociale et urbaine, c’est dans la culture rap de IAM, les romans noirs d’Izzo, les bancs des supporters de l’OM ou les films de Guédiguian que la diversité culturelle parvient à s’affirmer. Enfin, 1996–2005, l’ultime chapitre pose la question de l’identité marseillaise et d’une possible originalité – et réussite – phocéenne dans l’intégration.

Au-delà des découpages chronologiques, l’ouvrage donne à voir des permanences. Comme la présence de nombreuses populations originaires du sud, l’importance toujours accrue des flux de population : arrivée et retour au pays des travailleurs immigrés, des soldats coloniaux «volontaires», arrivée des réfugiés, d’Arménie au début du siècle puis d’Algérie, départ des juifs vers Israël… Cette ville étape a, de tous temps, été la ville des camps, camps d’accueil, d’hivernage des troupes, d’entraînement des soldats débarqués, camps de transit des travailleurs, camps d’internement des expulsables, camps de fortune le plus souvent, tentes et lits de camps, préfabriqués et tôles ondulées, au mépris des normes sanitaires, de l’hygiène, de l’intimité et du confort. C’est aussi l’histoire d’un siècle de métissage, d’apparition de «petits Harlem» dans Marseille, de quartiers arabes, d’échoppes orientales. Un siècle de confrontation des cultures, avant qu’elles ne trouvent à se mêler. Un siècle d’accueil de «l’autre», mais aussi de rejet, un siècle de racisme, des expositions coloniales aux violences des années 70. Un siècle de réaction à ses rejets, d’anticolonialisme, d’antiracisme. Une permanence que montre bien l’iconographie, finalement fort uniforme de 1905 à 2005.

L’ambition de l’ouvrage est donc d’aborder tout à la fois colonisation et immigration, double approche que justifie au demeurant l’imbrication des deux phénomènes, de traiter des flux comme des ancrages, d’aborder toutes les communautés du sud, arabe, africaine, orientale, et asiatique. Cependant, il ne se sert pas de Marseille comme d’un prétexte pour ces histoires. La ville y est un sujet à part entière. Les auteurs nous conduisent dans ses quartiers (un plan aurait été bien venu pour qui n’est pas familier avec la géographie marseillaise !), analysent la politique municipale, l’originalité politique, la spécificité culturelle, pour se poser la question d’une voie marseillaise pour l’intégration.

Evidemment, l’ampleur des thèmes abordés se retrouve un peu à l’étroit dans la faible place laissée au texte, et le propos tend parfois au raccourci, à l’allusif, ou à la surcharge informative. On pourra aussi regretter qu’à trop isoler, dans le texte et dans l’image, la Marseille arabe, levantine ou asiatique des autres Marseille (provençale, bourgeoise, italienne, corse), les auteurs ne fassent finalement le jeu de ce que pourtant ils dénoncent : la mise à l’écart des populations du sud, la ségrégation mais en même temps la focalisation du regard et les fantasmes qu’elle véhicule. Le livre évoque la mosaïque marseillaise, mais à trop se centrer sur certaines de ses couleurs, la démarche se révèle trompeuse, et, peut-être, dangereuse.

On déplorera surtout que, pour un livre centré sur l’image, celle-ci ne soit jamais qu’illustrative. Affiches et photographies, pourtant fort variées, intéressantes, ne font quasi jamais l’objet d’un commentaire historique. Tout juste légendées (avec mention de leur date, leur auteur et l’identification de ce qui est représenté), elles sont livrées telles quelles au lecteur, sans contextualisation, confrontation les unes avec les autres, explicitation des représentations véhiculées, des imaginaires. Seules deux doubles pages sont consacrées à des photographes de la Marseille du sud (Yves Jeanmougin et Jacques Windenberger) et une autre décrit l’exotisme publicitaire. Sinon, l’iconographie n’est malheureusement que strictement décorative, et tourne un peu, elle aussi, à l’«exposition coloniale»…


Mathilde Larrère
( Mis en ligne le 23/12/2005 )
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