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Poches -> Littérature |
| Jasper Fforde Le Début de la Fin 10/18 - Domaine étranger 2009 / 8.90 € - 58.3 ffr. / 498 pages ISBN : 978-2-264-04993-3 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication française en novembre 2008 (Fleuve noir).
Traduction de Jean-François Merle.
Voir aussi :
- Jasper Fforde, Sauvez Hamlet !, 10/18 (Domaine étranger), Novembre 2008, 471 p., 8,60 , ISBN : 978-2-264-04862-2. Imprimer
Il y a des héroïnes dont on ne se lasse pas, genre Thursday Next
et pourtant, dans Le Début de la fin, la belle Thursday a pris un coup de vieux
On lavait quittée en 1988 dans Sauvez Hamlet, alors quelle avait sauvé son Landen de mari, et le monde (dune apocalypse atomique quand même) après une partie de croquet mémorable contre léquipe des Tapettes de Readings (toute allusion douteuse à Oscar Wilde serait à proscrire)
La voilà de retour, quatorze années plus tard, écrivain has-been après quatre polars faussement autobiographiques, vedette cinématographique sur le déclin, championne légendaire de croquet, bourgeoisement installée dans un emploi (une couverture !) de poseuse de moquette, nantie de 3 enfants (Tuesday, Friday
et Jenny, bizarrement !) et toujours enquêtrice au sein de la jurifiction, cette police interne à la littérature.
Et le monde a un peu changé autour delle : déjà, les enfants ont grandi et elle a des soucis avec son fils, Friday, censé sauver le monde plus de 200 fois, mais qui pour le moment ne décolle pas du stade «ado attardé» et refuse de suivre son destin en entrant dans la chronogarde (une sorte de police temporelle où le père de Thursday sest illustré naguère). Elle a également des soucis avec son alter ego littéraire, Thursday 1-4, une version sensuelle et violente delle-même (heureusement upgradée en Thursday 5). Et surtout, elle se heurte à une politique stupide (mais dans le monde de Thursday il y a toujours des excédents de bêtise à écouler en ce domaine) : comme les gens lisent de moins en moins, un brave politicien, parti en croisade contre la littérature «ennuyeuse» (La Princesse de Clèves serait-elle visée ?) a décidé dinnover en mettant en place le livre-réalité, version littéraire de la télé-réalité, où les lecteurs choisissent le déroulement de l'intrigue
avec, en avant-première, le dynamitage de Jane Austen et dOrgueil et préjugés. Haro sur les classiques victoriens ! Le lecturomètre impose sa loi. Forcément, encore du boulot pour la meilleure enquêtrice de la jurifiction
et passons sur le tueur lancé à sa poursuite : détail presque dérisoire dans une intrigue déjà bien inextricable.
«Inénarrable», «improbable»
ces adjectifs auraient pu être créés pour les romans de Jasper Fforde, de même que «jubilatoire», tant lobjet est hors norme : un peu de fantastique, un peu de parodie, un brin duchronie, et surtout beaucoup de délires littéraires. Lensemble fait penser à ces gâteaux anglais qui mélangent dangereusement le sucré et le salé, les ingrédients les plus extrêmes, pour finir par donner quelque chose de goûteux. Cette fois, le gars Fforde nous fait le coup de Dumas et des 20 ans après
mais dans lunivers de Thursday Next, quest-ce que 14 années ? On retrouve donc avec délice cet univers bizarre, indéterminé, où les gouvernements thésaurisent la bêtise et ne lécoulent que ponctuellement (de fait, ce nest pas très loin de la réalité), où les héros de la littérature soffrent des vacances hors de leurs chefs-duvre, où le monde abonde en diverses réalités alternatives, peuplées de dodos clonés, de hérissons géants et de versions délirantes de soi-même
Bref, un univers subtilement littéraire (on en ressort nettement plus calé sur la littérature classique anglo-saxonne) et cordialement déjanté, même si, sur de nombreux points, il semble plus cohérent, et finalement plus raisonnable que le nôtre. Sil paraît quasi impossible dentrer dans le monde de Thursday Next sans passer par la case départ (LAffaire Jane Eyre et ses suites, toutes chez Fleuve noir et 10/18), il semble encore plus difficile de sen passer, une fois le premier tome dévoré. Un polar addictif, assurément. Ce nouvel ouvrage confirme le plaisir éprouvé jusque-là : un must pour les amateurs de polars délirants et uchroniques. Et une série qui mériterait vraiment plus décho, ne serait-ce que pour son impact pédagogique sur la connaissance des grands classiques de la littérature anglaise.
Pour les lecteurs agacés par la langueur du héros shakespearien ou pour les nostalgiques des Monty Pythons, et surtout pour ceux qui ont besoin dune bonne grosse dose duchronie, cest souverain contre le mal de la réalité.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 13/07/2009 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:L'Affaire Jane Eyre de Jasper Fforde Le Puits des histoires perdues de Jasper Fforde | | |
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