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L’homme invisible
Sylvie Germain   Hors champ
Le Livre de Poche 2012 /  6.10 € - 39.96 ffr. / 190 pages
ISBN : 978-2-253-16738-9
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en août 2009 (Albin Michel)
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Le roman s’ouvre un dimanche ; il se clôt le samedi suivant. La semaine qui s’écoule verra le personnage principal, Aurélien, disparaître littéralement aux yeux du monde. Aurélien a quarante-neuf ans ; très séduisant pour son âge, intelligent, il travaille, vit une belle histoire d’amour avec Clotilde, est sur le point d’accepter de faire un enfant avec elle. Une vie semble-t-il «réussie», en somme. Pourtant, une sorte de spleen discret mais tenace saisit Aurélien. En écho avec ce sentiment, les gens qui l’entourent – que ce soit les passants comme ses collègues de travail, sa propre mère comme Clotilde – semblent ne plus faire attention à sa présence. Bousculé dans la rue, oublié lors de la rituelle pause café au bureau, snobé par ses voisins d’habitude diserts, voici Aurélien quasiment ignoré par Clotilde elle-même lors d’une soirée entre amis qui a lieu chez elle. Sur les photos, comme sur ses reflets dans les miroirs, Aurélien devient de plus en plus flou, passant de la figure humaine incarnée et mouvante à une silhouette à peine esquissée, digne des sculptures de Giacometti.

Sylvie Germain se place ici sur le terrain du fantastique, au sens canonique du terme (c’est-à-dire «todorovien») : elle fait vaciller discrètement et selon un crescendo étudié la réalité quotidienne, la fait proprement «hésiter». Sur les raisons de ce passage «hors champ», nous ne saurons rien, du moins de manière tangible. Le lecteur peut subodorer quelques pistes : crise de la cinquantaine, allégorie de la dépression, incertitude sur les origines (Aurélien est né de père inconnu, ses grands-parents polonais ont disparu dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale), misère de l’homme dans la société capitaliste contemporaine, privé de sens et de vie spirituelle… A moins qu’il ne faille chercher du côté de Joël, le demi-frère d’Aurélien, cloué depuis des années sur un fauteuil et réduit à l’apathie à la suite d’une agression : le premier événement notable du roman est la panne de l’ordinateur d’Aurélien, alors que celui-ci venait de finir de taper et de mettre au propre le vieux journal intime de Joël, interrompu par le drame. Y aurait-il une forme de malédiction qui se serait ici nouée, dans l’impossibilité de la transmission et la perte de la mémoire ?

Le canevas était prometteur. Pourtant, Sylvie Germain peine à nous convaincre et à nous attirer dans son récit. Plusieurs problèmes semblent en effet faire obstacle à notre adhésion. D’une part, la narration hésite sans cesse entre point de vue interne et point de vue omniscient, ce qui place le texte dans un entre-deux inconfortable et peu efficace sur un strict plan d’efficacité romanesque. Des problèmes de cohérence et de «vraisemblance» (si l’on peut oser ce terme en régime fantastique !) se posent également : comment comprendre qu’Aurélien, réduit à un état quasi impalpable et invisible vers la fin du texte, n’ait pas la force de tourner une clef dans une serrure et de boire un verre d’eau, alors que quelques pages plus loin il parvient à voler une nappe dans un restaurant ou à soulever des sacs de linge dans une laverie d’hôtel ?

Enfin, le texte apparaît souvent lourdement symbolique, notamment dans le traitement du motif de l’effacement et de l’évanouissement au monde ; tout est sans cesse souligné, assez maladroitement. Ainsi, par exemple, ce voisin de Clotilde, près duquel vient de passer le «fantôme» d’Aurélien, qui s’écrit : «Tiens, […] c’est bizarre, ce courant d’air !». On ne saurait être plus explicite, tout comme sont très explicites les scènes dans lesquelles Aurélien est confronté à un clochard dans le métro, puis à Joël : le marginal et le malade, deux oubliés de la société, deux êtres déjà morts aux autres, qui se fondent littéralement dans le décor, tout comme le fait le protagoniste. De même, Aurélien ne craint pas de prendre le temps de produire des réflexions méta-narratives, alors qu’il est en pleine déliquescence figurale : voilà l’écrivain qui se substitue maladroitement et ouvertement à son personnage, réduit à l’état de ventriloque : «Finalement, conclut Aurélien, les personnages aussi sont des virus, des virus à haute teneur en folie et en sagacité que l’on chope selon la sensibilité que l’on a».

Alors qu’elle veut demeurer dans l’inexplicable et dans le non-dit, Sylvie Germain souligne donc, bien souvent, ses intentions et s’attache à des descriptions symboliques, comme si elle craignait de perdre son lecteur et de ne pas se faire suffisamment comprendre. Inversement, la métaphore visuelle alléchante annoncée par le titre est pour ainsi dire absente (à l’exception de quelques descriptions de photographies et de reflets) alors qu’elle aurait pu conduire à un vertigineux roman des apparences et à une réflexion sur la nature évanescente et fantomale des images contemporaines. Souffrant de la comparaison avec les textes étranges de Marie NDiaye ou bien encore avec La Moustache d’Emmanuel Carrère (sur un sujet proche), Hors champ est une tentative de récit fantastique plutôt décevante.


Fabien Gris
( Mis en ligne le 24/09/2012 )
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