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Poches -> Littérature |
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Clochemerle sur le Gange… | | | Anne Cherian Une bonne épouse indienne Gallimard - Folio 2011 / 7.8 € - 51.09 ffr. / 505 pages ISBN : 978-2-07-044061-0 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication française en janvier 2010 (Mercure de France)
Traduction de Josette Chicheportiche Imprimer
Neel, jeune anesthésiste californien, major de sa promotion à Stanford et célibataire motivé, aurait tout pour être heureux : un boulot passionnant et rémunérateur, une maîtresse Caroline - désirable et discrète
Tout si ce nest sa famille, indienne, envahissante alors même quelle réside à quelques milliers de kilomètres.
Car Neel est indien, le genre premier de la classe, qui a réussi en ''Ameérrrrique'', le fils prodigue qui ferait le bonheur de sa maman s'il lui donnait enfin des petits enfants ! Pour résumer, Neel doit faire face à une alliance imparable, comprenant sa mère et son odieuse tante Vimla, son cousin Ashok condescendant et envieux - et même son grand-père adoré Tattappa
alliance dont la tactique, à base de harcèlement et de manipulations, doit aboutir au bonheur du fils prodigue (forcément contre son gré) et à son mariage avec une bonne épouse indienne
Et à loccasion dune visite rapide en Inde, au chevet du grand-père soi disant malade, Neel redevenu Suneel entre-temps se retrouve happé par la-dite famille et, tel le héros kafkaïen de base, engagé en 48 heures dans un mariage improbable avec Leila, victime inconsciente du stratagème. Un piège familial camouflé sous de bonnes intentions
Neel survivra-t-il au mariage arrangé ? Leila saura-t-elle saisir son rêve américain ? Lamour triomphera-t-il ? Et lequel ?
On est là dans un thème certes un peu convenu, un choc des civilisations attendu où le jeune indien américanisé se retrouve confronté à ses racines, ses traditions et transporté de sa banlieue chic jusquà son petit village dorigine réintégré de force à la société quil veut fuir. Cest une histoire de réussite et déchec, de rapport entre la réussite individuelle et lambition collective dune famille, et même dune caste. Confronté aux labyrinthiques usages indiens, Suneel se retrouve dans la peau du lapin hypnotisé par les phares, incapable de réagir. Un héros qui, par ailleurs, nest pas lui-même au clair avec son fantasme dintégration, à la fois hostile au mariage indien et peu désireux de passer lalliance au doigt de sa maîtresse américaine adorée, une secrétaire médicale indigne de sa réussite.
L'histoire classique dun personnage partagé entre deux cultures
classique, mais bien menée, discrètement drôle : loin dinfliger à son lecteur une pesante leçon de relativisme et danthropologie indienne, Anne Cherian linvite au contraire, doucement, à pénétrer lintimité dune famille indienne, ses valeurs ambiguës (entre fascination pour la culture occidentale et attachement indéfectible à la tradition indienne), ses idéaux de réussite à géométrie variable, ses rituels de mariage complexes, ses manières de vivre et de se vêtir. Le roman classique du mal être de limmigré qui a réussi et doit affronter le choc familial des civilisations. En opposant le brillant mais apathique Suneel à Leila, autre victime rétive de la tradition, lauteur joue des deux facettes de la modernité. Car une fois arrivée à San Francisco, on suit Leila dans sa découverte dune Amérique déroutante
et Neel dans sa découverte dune épouse. Double choc des civilisations !
Sujet convenu donc mais pour une lecture très agréable : un roman bien écrit et joliment traduit, un bain de fraîcheur étrangère qui nous entraîne loin des auteurs français et de leur ego violenté, tout dabord dans un petit village indien, ses conventions, ses petites tensions, ses stratégies mesquines et ses représentations du monde extérieur. Clochemerle sur le Gange. Puis dans la peau de deux jeunes mariés, coincés entre deux civilisations. Ce premier roman dAnne Cherian révèle une plume attentive aux regards, aux cultures, aux individus : allant constamment de Neel à Leila, comme deux versants dune traditions indienne qui finalement simpose, lauteur opte pour un récit teinté danthropologie, loin de Bollywood et dune vision trop stéréotypée. Une plume à suivre.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 01/06/2011 ) Imprimer | | |
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