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Poches -> Littérature |
| Mikaël Hirsch Le Réprouvé J'ai lu 2011 / 5,60 € - 36.68 ffr. / 158 pages ISBN : 978-2-290-03753-9 FORMAT : 11cmx18cm
Première publication en août 2010 (L'Editeur) Imprimer
Céline personnage de roman. Le risque nétait pas mince, pour un auteur né en 1973, de donner vie et verbe au damné du 25 ter chemin des Gardes, souvent plagié, jamais égalé raison pour laquelle Mikaël Hirsch sen tient sobrement au pastiche de sa conversation. Cette appréhension, du reste, est un des sujets du Réprouvé : différée aux dernières pages de ce livre («la ligne droite me terrorise»), la rencontre avec lauteur du Voyage est elle-même un long périple à moto vers «les profondeurs de la brousse enténébrée», mise en abîme qui sachève à Meudon, à la nuit tombée. «Je ny vois rien et me laisse guider par la route», admet Gérard Cohen, factotum chargé par Gallimard de porter en main propre son courrier au «Mingus de la littérature», pour sassurer quil louvrira. Hypothèse absurde, qui confine au bizutage, car Cohen a quelques motifs de se croire juif, et quelque espoir dêtre écrivain. Sorti de la rue Sébastien-Bottin à 10 heures, il faudra la journée entière et plus de cent pages au Chaperon rouge, au travers dun dédale urbain et mental peuplé de jazzmen et de prostituées, pour entendre la «bête encagée» laccueillir avec ces mots : «Vous avez fait tout ce chemin là, sous la pluie, uniquement pour mapporter ces foutus papiers !»
Cohen na pas été arrêté, sous lOccupation, parce quil avait monté lescalier dun claque, son échelle de Jacob à lui. Et cest entre de mêmes cuisses, dix ans plus tard, quil retarde rituellement le moment daffronter lobscure révélation célinienne. Car lhomme, pas plus que ses livres, ne vous laisse intact. Mais le petit «bâtard sinisé» sortira vivant de la tanière du Minotaure bouffeur de juifs, dévidant son fil dAriane avec «la sensation de défaire louvrage patiemment crocheté». Sans compter, tout dabord, les plumes quil vient dy laisser : sa naïve illusion dêtre au monde. «Jai beau faire des efforts, mentir, me cacher. Tout nest que travestissement. Je suis comme amputé des hommes.» Ainsi, le mal du Dr Destouches était contagieux. Le réprouvé, cest aussi bien Cohen, avec la «certitude viscérale de [sa] propre étrangeté», sa honte de navoir été quà demi juif, à demi résistant, à demi homme : «Je suis un animal dont on caresse lencolure, rien quun élément du décor.» Variation sur un thème existentialiste. Ce 6 décembre 1954, le prix Goncourt vient justement dêtre attribué à Simone de Beauvoir pour «Les Mandarines», comme dirait son copain qui ne prend rien au sérieux
Mikaël Hirsch, «employé fictif et allocataire de divers subsides» nous apprend son éditeur, est le petit-fils du directeur commercial du «gros matou gallimardeux». Son talent consiste à montrer un «emmuré vivant», animal «pétri de trouille» dans sa Guyane de banlieue, «vieille ordure» cernée par linvasion du jazz, de Sagan et de Robert Lamoureux, plus sûrement condamné par la mode que par la justice. Quun reptile antédiluvien au même titre que Léautaud, guest star dans ce récit ait pu subsister sous la République quaternaire, tel fut sans doute le déclic de Mikaël Hirsch. Anachronisme vivant, Céline est ici lincarnation dun passé qui ne passe pas, que Cohen ne cesse de remâcher et quil va bien falloir avaler.
Relégué tout au bout de ce récit, Céline en est le point de fuite, dans son antre où lon narrive jamais. Lhomme est allé trop loin, si loin «au cur de locéan glacial» quil est illusoire de penser latteindre, dans tous les sens du terme. Thésée alors devient Orphée au cur de lHadès : venu reprendre ce qui reste dart en Céline, il na trouvé que «la tambouille ignoble des mots». Hirsch sy risque pourtant. Pour restituer à petites touches une époque quil na pas connue, ses caveaux, ses vespas, ses bas-nylon, ses pavillons Baltard, ses salles Gaumont, sa mort de Colette, il ajuste de courtes phrases taillées en pavés, jointoyées dimparfait mythologique. Les années 1950, cet Érèbe daprès-guerre, marinent dans leur jus : «la chambre sentait la chicorée Leroux et le vétiver»
Ne sont de trop quune poignée de notes qui feignent de transformer en document ce roman initiatique, judicieusement placé sous les auspices de Conrad. Labyrinthe à lissue duquel Cohen peut enfin envisager de «rendre les armes anciennes» et «signer larmistice intime». Nulle preuve nest exigible pour vivre, encore moins pour écrire. Le réprouvé, lui, aura au moins appris cela.
Olivier Philipponnat ( Mis en ligne le 16/09/2011 ) Imprimer | | |
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