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La vie, dans les livres
Blandine Le Callet   La Ballade de Lila K
Le Livre de Poche 2012 /  7.10 € - 46.51 ffr. / 354 pages
ISBN : 978-2-253-16175-2
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en septembre 2010 (Stock)
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«Ex libris veritas» : par les livres viennent l’amour et par les livres la justice. Par les livres, donc, la vérité. La Ballade de Lila K, récit d’anticipation qui s’inscrit dans la tradition de Nous autres de Zamiatine, 1984 d’Orwell, Fahrenheit 451 de Bradbury, est sans doute la meilleure chose qui soit arrivée à la production littéraire récente. L’efficacité narrative et l’intelligence comme pierres d’angle. Comme porte-voix, la vérité.

«Ex libris veritas» est une phrase que Lila a apprise au contact de M. Kauffmann, son éducateur au Centre. Le Centre est un hôpital-prison dont on a du mal à sortir. On y est aussi coupable que malade. Les pathologies psychiatriques y sont soignées sans qu’on sache très bien, au bout du compte, qui des médecins du système ou des cas sociaux méritent le nom de «fous». Kauffmann, figure déviante et émancipatrice, maintient le premier Lila vivante dans un univers où chaque «fou» est appelé à mourir, en tout cas à ne plus vivre en humain. Ce livre retrace l’itinéraire de la petite Lila, qui prendra l’énigmatique lettre K comme patronyme quand elle sera autorisée à quitter le Centre, hommage au défunt déviant professeur. Cet itinéraire se présente comme une quête pour retrouver sa petite enfance, évoquée dès la première page comme un paradis originel. Mais il importe surtout à Lila de retrouver sa mère, disparue, à laquelle on a retiré sa fille, et dont on découvre au fil des pages l’insoumission, la marginalité, la profonde humanité aussi. C’est suffisant, il semblerait, pour avoir été privée de son enfant.

Blandine Le Callet décrit une société de la surveillance, dont le Centre est la métaphore la plus juste, car les principes du Centre sont de toutes manières appliqués hors de son enceinte. Sexualité, procréation, consommation, fréquentations sont étroitement régulées, surveillées par caméra, interdites s’il le faut, permises dans le meilleur des cas, mais jamais librement actées. Une obsession hypocondriaque étreint cette société du risque zéro, du désir néant. Dans ce monde du plaisir floué, le personnage de Lila évolue sans supporter le contact physique. Par cette opacité à la chaleur humaine et sous ses lunettes de soleil, Lila développe alors le symptôme du système qui la maintient captive. L'État dans lequel évoluent nos personnages est donc un «Centre» immense sans autre frontière que celle de la Zone, cet espace effrayant où des rebelles se révoltent, consomment des substances illicites, lisent des livres, tentent de vivre en humains, ce qui n’exclue évidemment pas le recourt à la violence. Loin des remous et des émeutes, le Sensor est un vibromasseur dont l’usage est fortement recommandé par le Ministère de la Santé et le Grammabook, une version améliorée du Ipad, semble-t-il, permet de ne plus toucher les livres, dont l’encre est décrétée toxique et le contact de toute manière prohibé. Dans cette variation plutôt bien menée de Fahrenheit 451, on manipule les documents papier avec des gants, sauf quelques fous comme Kauffmann, Lila, ou Milo, le bibliothécaire dont elle tombera amoureux.

Si le concept est fort, l’écriture ne l’est pas moins. Le roman de Blandine Le Callet tient la distance et garde le lecteur sous sa coupe de la première à la dernière page. On ne lâche pas ce livre avant de l’avoir terminé, et il se lit vite, comme de ces romans puissants, dont l’efficacité du style ou la constitution du drame sont autant de prouesses que d’évidences. La stratégie énonciative fonctionne à cet égard comme un teasing : on ne sait pas qui est le «vous» auquel Lila raconte son histoire et on ne l’apprend que très tardivement dans le livre. L’omniprésence de la forme dialogique, quant à elle, ne dessert jamais l’action ou la profondeur du cadre, l’instauration des constantes psychologiques ou le creuset des personnages. Elle imprime du factuel et du vivant là où la description était attendue comme stratégie de l’établissement de cet univers futuriste. On assiste à la mise en place de ce monde imaginaire, autosuffisant, rendu anodin par le dialogue, alors même qu’il est original et envoûtant. Le chat qui change de couleurs, magnifique trouvaille carrollienne, est l’une des plus jolies inventions du roman. On aurait pu avoir des pages entières pour dessiner la ville ou expliquer le gouvernement de cet État futur : à la place et en sourdine, l’air de rien, les faits et les paroles dessinent les traits meurtris, ecchymosés, d’une société pleine d’effroi et de mystère. «La vie est pleine de mystère», répète Lila.

Certains dialogues, même, sont porteurs d’espérance, les séquences oniriques des dialogues rêvés entre Lila et M. Kauffmann les premiers. Espérance, rébellion et humanité aussi, dans l’avortement dénoncé comme eugénisme, au moment de la grossesse du personnage de Lucienne. Un parallèle s’établit d’ailleurs entre Lila et Lucienne. Toutes deux élèves de M. Kauffmann, elles sont tout comme lui en lien étroit avec la dissidence. Lila est née dans la Zone et l’enfant de Lucienne y verra aussi le jour. Le personnage de Lucienne renvoie donc autant à Lila qu’à sa mère. L’euthanasie est évoquée également, mais d’abord sur un mode plus léger, quand Fernand envisage la mort du chat. La mort revient ensuite abruptement sous le nom de «suppression» et c’est le sort réservé aux déviants de toute sorte : enfant mal formé ou individus indisciplinés, qu’on ne juge pas dignes de vivre. Lila elle-même, martyre du système, du Centre, est une héroïne en résurrection.

Ex libris amor : par les livres, l’hommage fait au livre, c’est l’amour qui se construit, parallèlement à l’ouverture au monde. C’est en scannant et en coupant des articles de presse, en participant à la censure généralisée que Lila rencontrera l’amour en Milo et la vérité à leur lecture. Non, découvre-t-elle en touchant l’encre et le papier, cette société n’est pas le Bien. Non, sa mère n’était pas folle : c’est bien la société qui l’a rendue dingue. Voilà la force du propos d’un roman d’anticipation : dénoncer ce qui vient mais qui est déjà là, et louer ceux qui résistent. La dérive a sa source mais le salut sa grâce.


Sophie Labouheyre
( Mis en ligne le 23/03/2012 )
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