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Poésie de l’amertume
John Maxwell Coetzee   L'Eté de la vie
Seuil - Points 2011 /  7,50 € - 49.13 ffr. / 308 pages
ISBN : 978-2-7578-2464-1
FORMAT : 11cmx18cm

Première publication française en août 2010 (Seuil)

Traduction de Catherine Lauga du Plessis

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Prix Nobel de littérature 2003, J. M. Coetzee nous livre avec L’Eté de la vie une curieuse et fascinante autobiographie sous forme de roman. Dans la forme, d’abord : l’auteur prend le parti de s’imaginer mort, et d’inventer un jeune universitaire anglais, qui, pour retracer une période de la vie de l’écrivain, va enquêter auprès de cinq personnes qui ont rencontré John Coetzee quand il avait la trentaine, au moment de ses premiers pas d’écrivain. Le livre prend donc la forme de témoignages sur Coetzee de la part de ces contemporains qui nous livrent longuement le regard qu’ils ont posé sur lui à l’époque où ils l’ont côtoyé.

Nous rencontrons d’abord Julia, voisine assez proche de John Coetzee, qui le rencontre banalement en faisant ses courses dans un supermarché ; entre la voisine et l’écrivain se met en place une relation adultère (la femme est mariée) que Julia décrit comme dépourvue de passion, aussi bien sur le plan intellectuel que sensuel. «Je n’ai jamais senti qu’il était avec moi, moi comme une personne réelle. On aurait plutôt dit qu’il avait affaire à une image érotique de moi qu’il avait en tête ; peut-être même à une image de la femme avec un grand F. … Dans sa manière de faire l’amour, je pense aujourd’hui qu’il y avait quelque chose de l’ordre de l’autisme». Julia côtoie également le père de Coetzee, qui vit avec l’écrivain. Même constat de fadeur, d’absence de personnalité dans le personnage du père, qui semble être l'ombre triste et grise de son fils. «Je dois vous dire que d’emblée j’ai trouvé que cet homme était d’une tristesse à la limite du supportable… il me faisait pitié, profondément pitié…». Bien que celle-ci quitte son mari, la relation avec Julia s’éteindra d’elle-même, au bout de quelques mois, sans qu’aucun des deux protagonistes ne semble en souffrir, avec cette absence de passion qui la caractérisait.

Vient ensuite Margot, une cousine de Coetzee qui aurait pu être un amour de jeunesse ; l’écrivain et sa cousine se retrouvent lors d’un repas de famille, et profitent de l’après-midi pour partir tous deux en escapade, dans un endroit où Coetzee souhaite acheter pour son père une maison qu’il veut montrer à sa cousine. Là encore, l’atmosphère entre les deux cousins est triste, austère, comme si aucun des deux ne souhaite briser une carapace qui les entoure et les empêche de communiquer réellement. L’endroit montré par Coetzee est si lugubre et solitaire que Margot réussit à le dissuader de son projet. «La maison est un cube sans caractère… Les peintures sont en piteux état… Est-ce qu’il a réellement l’intention de mettre son père au rancart ici, dans cette maison moche, dans ce patelin qui se meurt ?...». Au retour de cette expédition morose, la camionnette aussi délabrée que son propriétaire tombe en panne. Là encore, ce qui pourrait rapprocher les deux cousins devient règlement de compte acerbe, sans aucune tendresse entre eux. «… elle est amère parce qu’elle attendait beaucoup de John, et il l’a laissée le bec dans l’eau. Qu’avait-elle espéré de son cousin ? Qu’il rachèterait les hommes Coetzee». Encore une fois, de cette rencontre ne reste de Coetzee que l’image d’un homme terne, sans relief, incapable d’affirmer ses sentiments, et qui ne va pas au bout de ce qu’il désire.

Troisième rencontre sur le chemin de cette étrange autobiographie : Adriana, danseuse brésilienne que Coetzee connaît par l’intermédiaire de sa fille, à qui il donne des cours d’anglais. Une étrange relation se noue entre ces trois personnes (l’écrivain, la danseuse et la fille) : Adriana pense que Coetzee veut courtiser sa fille, qui semble très amoureuse de lui, mais Coetzee est en fait attiré par la mère, qui repousse ses avances de façon méprisante. L’écrivain va même jusqu’à s’inscrire dans un cours de danse qu’Adriana donne ; là encore, la médiocrité de Coetzee resurgit. «D’autant plus qu’il n’avait pas le sens de la danse, aucune aptitude. J’ai vu cela tout de suite, à sa façon de marcher… Il se bougeait comme si son corps était un cheval qu’il montait, un cheval qui n’aimait pas son cavalier et qui regimbait». Adriana pose également sur Coetzee en tant qu’écrivain un regard sans concession : «… mais était-ce vraiment un grand écrivain ? Parce qu’à mon avis, manier les mots avec talent ne suffit pas pour être un grand écrivain. Il faut aussi être un grand homme. Ce n’était pas un grand homme. C’était un petit homme, un petit homme insignifiant». Comme avec Julia, la relation s’arrêtera, du jour au lendemain : «Il nous a laissées tranquilles. La sublime passion qu’il proclamait ne volait pas bien haut en fin de compte».

Quatrième protagoniste du livre : Martin, un collègue de Coetzee, enseignant à l’Université du Cap : ils se rencontrent lors de l’entretien qu’ils ont tous les deux pour être embauchés à l’université ; le regard que Martin pose sur Coetzee est plus professionnel, moins affectif ; son jugement est plus indulgent, il parle de Coetzee comme d’un «… universitaire tout à fait compétent, mais ce n’était pas un professeur remarquable…» ; il nous fait part de «sa réticence à sonder les sources de son inspiration, comme si trop de conscience de soi pouvait être une entrave…». Coetzee apparaît comme un enseignant sérieux, mais avec qui il était difficile de se lier et d’avoir une relation plus intime. Enfin, ultime témoin de cette période de la vie de Coetzee, Sophie, une de ses collègues de l’Université du Cap également, avec qui il a eu une brève liaison. Sur le plan professionnel Sophie décrit elle aussi John comme «… bon. Pas impressionnant, mais compétent. Ses cours étaient bien préparés». Il ne s’engage pas sur le plan politique «Ce n’était pas un militant. Ses opinions politiques étaient trop idéalistes, trop utopiques pour ça. En fait, la politique ne l’intéressait pas du tout. Il méprisait la politique. Il n’aimait pas les écrivains politisés…». Sur sa relation avec Coetzee, Sophie pose un regard amusé, dépourvu de chaleur : «Avec le recul, aujourd’hui notre relation me paraît, en essence, comique. Comico-sentimentale».

D’une femme à l’autre, d’un ami à l’autre, Coetzee pose sur sa vie un regard totalement dépourvu de condescendance et même d’indulgence. Sans complaisance aucune, il se voit comme un amant terne et dépourvu de passion, de «présence» même. Même son statut d’écrivain ne le satisfait pas, il parle de sa «promptitude à se lancer dans des projets mal conçus ; la hâte avec laquelle il abandonne un travail de création pour une activité qui ne demande aucune réflexion». Ce roman autobiographique d’un outsider, d’un naufragé par moments, contient de fulgurantes réflexions sur les relations entre hommes et femmes, sur le statut de l’écrivain, sur la vision politique de la nation sud-africaine. C’est un roman d’une lucidité et d’une amertume extraordinaires, d’un auteur qui ne triche avec aucune des bassesses de ce qui fait la vie d’un homme, fût-il Prix Nobel de Littérature.


Michel Pierre
( Mis en ligne le 16/09/2011 )
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