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Humiliés et offensés
Tahar Ben Jelloun   Jean Genet, menteur sublime
Gallimard - Folio 2013 /  6.60 € - 43.23 ffr. / 250 pages
ISBN : 978-2-07-045045-9
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Première publication en octobre 2010 (Gallimard - Blanche)
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On aime en France fêter les anniversaires et l'on a entendu reparler de Jean Genet (1910-1986) pour cette raison fin 2010 et début 2011. Il y a plus de 100 ans que Jean Genet naissait et un quart de siècle qu’il nous quittait le 15 avril 1986 (même jour que Beauvoir qu’il ne portait pas dans son cœur, souligne ironiquement Ben Jelloun).

Et quelle complicité curieuse unissait «le voyou des lettres françaises» et Tahar Ben Jelloun dès 1974 ! L’un est un écrivain connu et reconnu (immortalisé par Sartre dans son célèbre et contesté Saint Genet en 1952) quand l’autre débute en 1973 avec un texte fort (Harrouda) séduisant Genet qui décide aussitôt de le rencontrer. Genet a sa réputation derrière lui en 1974 : des romans importants publiés chez Gallimard (Notre-Dame-des-fleurs, Journal du voleur, Miracle de la rose, etc.), une personnalité attachante mais complexe, non dénuée d’excès et d’engagements politiques radicaux, une homosexualité revendiquée, une implication réelle pour le problème israélo-palestinien, etc.

Ben Jelloun peut paraître à côté plus fade et plus diplomate mais qu’importe, les deux hommes se trouvent et c’est cette amitié attachante que relate aujourd’hui l’écrivain (qui a maintenant l’âge de Genet lorsqu’il disparaissait) en brossant le portrait d’un homme et d’une époque. De 1974 à 1984, dix ans de rencontres, de travaux communs, de polémiques et de voyages permettront à Ben Jelloun de s’imprégner du personnage Genet et ce dernier de compter sur un ami fidèle ! Mystère sur les deux dernières années de la vie de Genet où les deux hommes ne se voient guère. Ellipse rapide de Ben Jelloun qui prétexte plusieurs voyages de sa part et la certitude que Genet allait réapparaître, comme il le faisait souvent, en disparaissant du jour au lendemain avant de revenir et d’appeler son ami.

Tout d’abord, rendons hommage à Tahar Ben Jelloun qui a su s’effacer pour remettre en scène son ami Genet dans un récit à la fois honnête et précis sur certains faits que l’on rapporte à l’auteur du Captif amoureux. Le lecteur assiste, dans une chronologie respectueuse des dates quoi que mises dans un ordre volontairement aléatoire, à la rencontre de deux générations, mais aussi de deux styles d’écrivains, voire d’hommes ! Ben Jelloun ne revient quasiment pas sur l’œuvre genetienne qui précède leur rencontre, et qui pourtant le rendra célèbre. Malgré un réel mépris pour sa propre production littéraire, Genet dans ces années écrira beaucoup sur les problèmes politiques du jour tout en s’engageant concrètement auprès de certaines minorités (en témoigne le fameux texte Quatre heures à Chatila sur le massacre de Sabra et Chatila survenu en 1982 alors que Genet se trouvait sur place).

L’immigration en France, l’élection de Giscard, la révolution iranienne avec Khomeiny, les actes violents de la Bande à Baader ou des Blacks Panthers et surtout le problème israélo-palestinien où il défendra corps et âme les palestiniens, rien n’échappe à l’écrivain qui n’hésite pas à prendre position, sans concession aucune. C’est donc à la fois l’homme public qui s’investit pour des causes souvent perdues et qui verra la foudre s’abattre sur lui notamment après la publication de son article «Violence et brutalité» dans Le Monde en 1977, et l’homme privé, ami de Ben Jelloun, qui montrera toute sa mauvaise fois, ses contradictions et ses petites trahisons. Sartre avait bien vu en sous-titrant son essai sur Genet, Comédien et Martyr, l’écrivain ne tenant que rarement parole ou évitant de revenir sur ses propres contradictions… C’est ce que Ben Jelloun affirme assez clairement, faisant de Genet ce comédien permanent.

Genet était un météorite en fait, un homme de lettres qui allait chez Gallimard pour récupérer son argent en liquide, qui vivait d’hôtels en hôtels, fuyait le fisc, ne possédant ni sécurité sociale, ni logement à son nom, entretenant quelques amours platoniques et libres, disparaissant de longs mois, puis réapparaissant à Paris le tant d’occuper un studio prêté, etc. Ben Jelloun souligne très bien l’aspect insaisissable de l’écrivain et résume à la fin du livre l’homme privé qu’il était : «Genet était un «agitateur», un comédien doué pour faire passer le message même quand les médias faisaient la sourde oreille. Il n’avait rien à perdre. Toute sa vie, il l’a passée à fuir, à éviter la police, à jouer au plus malin avec les contrôleurs tous azimuts, il n’avait pas de domicile, pas de garde-robe, pas de hobby, pas de réputation à sauvegarder, pas de famille, pas de racines. Il a tout rejeté et a fait de sa vie une éternelle insatisfaction, celle d’un rebelle-né jamais content».

Auteur courageux et défenseur acharné des humiliés et des offensés du monde entier, il s’en désintéressait dès qu’il pensait le problème résolu. En cela, Jean Genet fait partie de ces derniers écrivains contestataires modernes qui alliaient liberté de penser avec un mode vie qui s’y prêtait entièrement. Le livre de Ben Jelloun est tout à fait astucieux sur ce plan. Il rend ainsi un hommage au vieux Genet, au dernier Genet qui va s’éteindre, seul, en 1986, à cet homme qui s’entourait en permanence de personnes influentes (affectivement ou socialement), et qui ne s’attachait plus à construire une œuvre. Un écrivain à lire aujourd'hui, certainement ; en tout cas, le dernier, selon Jelloun, qui alliait si parfaitement écriture et engagement, mais surtout indignation et prise de position.


Henri-Georges Maignan
( Mis en ligne le 08/07/2013 )
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