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Poches -> Littérature |
| Sofi Oksanen Purge Le Livre de Poche 2012 / 7.60 € - 49.78 ffr. / 430 pages ISBN : 978-2-253-16189-9 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication en août 2010 (Stock)
Traduction de Sébastien Cagnoli Imprimer
Il sagit dun ouvrage dense dont la portée littéraire, sociale et politique dépasse de loin lhorizon estonien où se déroule le récit. Traduit du finnois par Sébastien Cagnoli, il a obtenu en 2010 le Prix du Roman Fnac, le Prix Fémina du roman étranger et le Prix du livre européen.
À travers limprobable rencontre entre deux femmes que séparent deux générations, Purge rend compte dun demi siècle doppression et doccupations successives subtilement transposées au niveau du corps féminin. Entre Zara, prostituée pour quelques bas de soie de plus, et Aliide, respectable veuve qui a vendu son âme à loccupant moyennant protection, la différence sestompe peu à peu. Lune et lautre ont connu la souffrance et lhumiliation infligées par les hommes. Lune et lautre veulent vivre, coûte que coûte. Seules les modalités changent au fil du temps. Le lecteur découvre les composantes contradictoires dun passé plus ou moins proche, peu avouable, et les secrets intimes imbriqués aux mensonges dÉtat dhier et daujourdhui. Sofi Oksanen fait valser à son gré différentes périodes de lHistoire : le présent et les fréquents retours en arrière sentrecroisent ou se télescopent sans embrouiller le fil de son propos.
Outre cette étonnante maîtrise, ce qui frappe le plus est la grande liberté décriture. Celle-ci transparaît dans la construction de louvrage, découpé en chapitres et phrases de longueur variable, avec ou sans verbe, lusage non linéaire des repères chronologiques et surtout le style, abrupt et précis. Les récits alternent avec les dialogues, sans transition. La jeune auteure na pas froid aux mots. Aucun ne sera assez cru ou assez dur pour dire la violence des agressions subies. Inutiles sont les fioritures. Le langage direct privilégie le verbe et la concrétude des faits et des choses, depuis le vol dune mouche des premières pages jusquau bruit de «bris de verre et du bois» des dernières, en passant par la confection de conserves ou de savon dans la marmite : «Elle était dans la maison dAliide Truu. Le papier peint était bosselé, les raccords encollés de travers. Entre le papier peint et la tapisserie flottait une mince toile daraignée, dans la toile pendouillait une mouche morte. Zara écarta la tapisserie du doigt, laraignée séchappa den dessous (
)», peut-on lire par exemple, à limage du vide interne dont la jeune femme semble porteuse. Protégée ou captive dAliide ? Limage de laraignée nest pas neutre. Sur cette ambivalence repose la particularité de la confrontation.
Rares sont les écrits empreints dune telle sensorialité. Cet aspect à lui seul mériterait un développement approfondi. Sofi Oksanen livre un monde olfactif qui finit par imprégner le lecteur de son intensité : odeurs doignon, de vomi, daisselles, de «Popov»
Monde tactile où le rugueux voisine avec le poisseux, le froid avec le mouillé, le caressé avec lécrasé, le cuir des bottes et des manteaux
Un monde sonore aussi, où la prouesse du traducteur laisse par moment entendre le raclement de sons gutturaux : les sols et les seaux grincent, les pantoufles crissent, les journaux bruissent
Les mots sespacent ou senchaînent selon un rythme parfois difficile à soutenir. Lattachement au visuel, enfin, teste lespace entre la réalité la plus tangible et lillusion que crée son reflet brillant ou scintillant sur une étoffe, un bas, une lèvre ou un fruit mûr. Chaque détail compte et tient lieu dintériorité. La morve remplace le chagrin. En guise de pitié soffre la nourriture. La méfiance colore la relation daide.
Purge est un livre beau et rude, implacable et puissant, qui pose à tout moment la question de la limite dont le lecteur se fait complice ou pas. Où finit la Résistance, où commencent les compromissions ? Jusquoù peuvent aller limpératif de liberté et labsolue soif de jouissance immédiate ? Sous couvert dexemplaire citoyenneté se dévoilent la quête davantages personnels, le déni de réalité, le reniement de lun, barré, sacrifié, au profit dune emprise sur un autre, arbitrairement ou passionnément élu au prix de transgressions répétées.
Monika Boekholt ( Mis en ligne le 25/04/2012 ) Imprimer | | |
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