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Poches -> Littérature |
| Kari Hotakainen La Part de l'homme 10/18 2013 / 7.10 € - 46.51 ffr. / 284 pages ISBN : 978-2-264-05595-8 FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm
Première publication française en février 2011 (JC Lattès)
Traduction d'Anne Colin du Terrail Imprimer
Quune mercière retraitée fréquente les foires aux livres est plausible en Finlande, mais quelle y monnaye le récit de sa vie auprès dun écrivain en quête dinspiration paraît peu vraisemblable. Et pourtant, il y a quelque chose de si trivial dans cette narration purement fictive que le lecteur craint par moment dy reconnaître les reflets insoupçonnés de sa propre réalité. À moins de se trouver complice dun secret quil lui resterait à découvrir.
Kari Hotakainen compte avec Sofi Oksanen (Cf. Purge) parmi les auteurs les plus appréciés de la littérature finlandaise actuelle. Deuxième titre de cet auteur traduit en français, après Rue de la Tranchée paru en 2005 chez J.C. Lattès, La Part de lhomme (aujourd'hui en ''poche'' chez 10/18) dresse sur le ton souvent familier du langage parlé et avec un humour grinçant une impitoyable satire de société révélée tant par le contenu quà travers le mode décriture : «Un rire glacé, entre dérisoire et dérision
», titrait larticle du Monde du 18 mars 2011. En effet, plutôt que de sapitoyer sur la grande précarité et la solitude qui à tout moment menacent la condition humaine, lauteur met «à plat» les situations ponctuelles, aussi fragiles que réversibles, à laide de lieux communs et doxymores railleurs en gage de leur platitude. Cest par le biais de lécriture tantôt hachée tantôt élaborée, quil juxtapose les chapitres en écho de labsence de lien entretenue en un premier temps entre les différents protagonistes. Cest encore à travers la modification du style que se conclut louvrage.
Au centre du récit se trouve Salme, la soit disant narratrice, pilier de famille généreux et excédé. Autour delle gravitent son taiseux mari, ses trois enfants plus ou moins installés dans lexistence, leurs proches, collègues ou compagnons
et lécrivain. Ce dernier fait office de confident, dépositaire de secrets non publiables et en même temps accusé «dinventer, dexagérer et de mentir (comme si) la réalité ne lui suffisait pas» à des fins peu avouables. Mais sans cette création, sans doute de part et dautre, quel serait, en dehors de quelques considérations sur les banalités du quotidien, lintérêt de la réalité autobiographique dune mercière à la retraite ? De cet écart entre narrateur et écrivain résulte un effet comique au second degré, jonché de jeux de mots et de circonstances, qui invite le lecteur malgré lui dans les coulisses de luvre pour se faire en même temps voyeur et juge, forcément partial.
Ainsi se déploie sous la forme de courts tableaux successifs une série de personnages indifféremment collés au factuel ou à la transgression, qui à tour de rôle rendent les uns puissants et dautres indigents. Lentourage de Salme est constitué à son insu de carriéristes et de marginaux, riches provisoires ou durables affamés, racistes à loccasion, toutefois pas plus quailleurs. Il ny a pas danalyse politique dans cet ouvrage mais une approche au ras de la réalité vécue qui en vaut bien dautres, rappelant par moment les bas-fonds de certains films de Aki Kaurismaki. Si laînée, Helena, a les yeux fixés sur les variations de léconomie de marché, son frère Pekka, lui, soriente vers les stratégies parallèles ignorées des siens tandis que Maija jongle avec des petits boulots, parfois interrompus par un policier sentimental en service, «du côté de la beauté et de la bonté». Parmi ces stéréotypes inversés sajoute celui de Teko, mari de Maija, interdit provisoire de séjour familial pour cause de négritude et succombant au racisme à son tour. Sans oublier Kimmo, le collègue dHelena, petit parvenu à grosse voiture dont le nom reviendra malgré elle, plusieurs fois dans le récit. Chacun est défini, sinon caricaturé, par sa fonction sociale, aussi précise quéphémère, au grès des retournements de situation qui ne manquent pas de se produire. Les uns et les autres ne se rencontrent pas ou peu. Chacun ignore comment vit son prochain aujourdhui et a fortiori demain.
La scène (ou cène) finale, lourde dimplications, marque un net changement de ton, de rythme et de liaison dans le discours : lesprit de famille réunit enfin les protagonistes et nourrit leurs échanges. La sollicitude et la compassion, attendues tout au long de luvre apparaissent, les sourires sesquissent, les langues se délient. Lheure est à lapaisement et au partage autour dun banquet fictif somme toute peu christique : celui dEsope sans doute, où est servi ce quil a de meilleur et de pire, dont les ingrédients finiront par se dévoiler.
Monika Boekholt ( Mis en ligne le 08/07/2013 ) Imprimer
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