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Poches -> Littérature |
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L'empreinte d'une jeunesse | | | Aharon Appelfeld Le Garçon qui voulait dormir Seuil - Points 2012 / 7,20 € - 47.16 ffr. / 298 pages ISBN : 978-2-7578-2798-7 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication française en avril 2011 (L'Olivier)
Traduction de Valérie Zenatti Imprimer
Le corps se souvient. À soixante-dix-neuf ans (il est né le 16 février 1932), Aharon Appelfeld revient sur lempreinte de sa jeunesse, détruite par le ghetto et la déportation des siens, relatée dans Histoire dune vie (prix Médicis étranger 2004). Durant ces longues années derrance et dincertitude à travers lEurope, le refuge dans un profond sommeil semble anesthésier la douleur que lui infligent la perte de tout et de tous et la grave blessure du corps subie en Israël à dix-sept ans. Alors quil est soumis à lentraînement physique et militaire intensif dun camp de pionniers, dormir préserve lespace intime dans lequel le futur écrivain puise au plus profond de lui-même, aux sources de la vie psychique et de la mémoire pour se (re)construire et aborder le monde extérieur.
De ce retrait provisoire dans un cocon de solitude dépend pour lui la capacité à rester vivant et à renouer les liens avec les êtres aimés. En effet, sans en être conscient, le ''garçon qui voulait dormir'' «veut» avant tout survivre et transmettre le message dont il est porteur : il confie au corps ce que son psychisme immature nest pas encore en mesure de prendre en charge. Le sommeil berce et enveloppe. ''To live, to sleep'' soppose au ''To die, to sleep'' dHamlet. Il tient lieu de compagnon fidèle, garant de la continuité dexister dans un univers de discontinuités traumatiques, et conserve intacts les germes du futur. Par la suite, même dans ladversité, ce compagnon restera présent comme peut lêtre une mère aimante, qui discrètement continue à veiller sur son grand enfant, une mère dont limage est désormais gravée à lintérieur de soi afin de ne pas la perdre à nouveau. Grâce à ce gage de sécurité, le jeune Aharon pourra alors déployer ses multiples dons encore en friche et devenir lécrivain que son père a toujours souhaité être. Rares sont des cheminements dipiens aussi réussis.
Offerte à la postérité, lécriture lumineuse relève autant du récit autobiographique que de la parabole biblique. À travers un subtil tissage de lhébreu avec sa traduction française, sommeil et rêves font «resurgir et remonter à la surface» des scènes lointaines, vécues ou fantasmées, comme autant de petites pièces dun théâtre à la fois privé et partagé, tendre et plein dhumour, où ont lieu les retrouvailles et où se prolongent les conversations trop tôt interrompues avec les personnages de lenfance. Chaque visage séclaire sous les projecteurs et parle pour transmettre, qui un avertissement, qui un message de sagesse sur le ton de la conversation ordinaire mais combien symbolique. Le rêveur entend les mots quil aimerait avoir dits ou entendus, ceux quil regrette davoir prononcés, les promesses évanouies et celles qui restent à formuler, sans oublier les paroles et gestes de tous les réfugiés anonymes et des soignants qui lont littéralement porté «à bout de bras» et nourri avec la sollicitude de parents bienveillants.
Une plage de nostalgie souvre, qui relie le présent au passé comme pour mieux lenrichir mais la route du retour vers «la maison» sannonce longue et risquée tant que subsiste pour ce polyglotte érudit une ambivalence douloureuse vis-à-vis de sa «langue maternelle» (et paternelle), en fait lallemand, en partie gommé. Aussi mélodieuses quaient pu paraître ses sonorités aux oreilles de lenfant, elle est aussi pour lui la langue du Mal extrême, deux aspects difficilement conciliables. «À la maison», on lisait des auteurs autrichiens et hongrois : A. M. Rilke, A. Schnitzler, S. Zweig
F. Kafka, dont son père était un grand admirateur. Arrivé en Palestine à quatorze ans, le jeune Erwin a dû renoncer à son prénom et accepter de sappeler Aharon. Sa «langue dadoption» et décriture est devenue celle de Samuel Agnon, au prix dune césure non encore cicatrisée. Sans doute lui faudra-t-il encore du temps pour que lécriture de soi enfin apaisée admette en son sein les traces linguistiques de lenfance.
En alternant les moments de repli fécond avec une grande productivité créatrice, Aharon Appelfeld a publié une bonne trentaine de titres traduits en plusieurs langues dont le français. Puisse-t-il écrire «jusquà cent-vingt ans» pour nous en offrir encore autant dautres.
Monika Boekholt ( Mis en ligne le 04/05/2012 ) Imprimer
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