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Hitler’s madman
Laurent Binet   HHhH
Le Livre de Poche 2011 /  7.50 € - 49.13 ffr. / 444 pages
ISBN : 978-2-253-15734-2
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en janvier 2010 (Grasset)
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Heydrich (1904-1942) fait partie de ces bourreaux dont on parle peu (est-ce un mal au final ?) mais dont le destin fascine encore les historiens et les artistes. Grand, sec, d’apparence assez laide et fou pathologique, ''l’homme au cœur de fer'', comme le surnommait Hitler, est resté tristement célèbre pour ses exactions ignobles et sa cruauté innée. L’Opération dite ''Anthropoïde'', qui consista à supprimer «le boucher de Prague», comme on l’appelait également, contient elle aussi tous les ingrédients pour fasciner. C’est ce qui compose le roman de Laurent Binet qui décrit d’un côté l’ascension de l’officier nazi et de l'autre la préparation de son attentat par deux hommes volontaires et courageux : le tchèque Jan Kubiš (1913-1942) et le slovaque Jozef Gabčík (1912-1942). Le titre du livre est l’abréviation de Himmlers Hirn heiβt Heydrich qui signifie : «Le cerveau de Himmler s’appelle Heydrich».

L'un des travers du roman historique aujourd'hui est de montrer au lecteur le livre en train de s’écrire afin de faire croire qu’il se lit au moment même où l’écrivain compose ; comme pour donner l’illusion d’une certaine simultanéité entre auteur et lecteur. Le temps est fini où l’on proposait une vision d’un fait historique, il faut maintenant commenter la propre substance de son récit dans une espèce de ''littérature-réalité'' – pour utiliser un néologisme se référant aux pires créations télévisuelles actuelles. C’est ainsi que tout le roman de Binet est construit : entre mélange de faits réels, de création littéraire et de questionnement autour du projet. Si l’on est porté par la narration et l’importance biographique de personnages ayant connu un destin incroyable, on est nettement moins convaincu par ces sempiternelles digressions sur le choix de telle phrase, par la réflexion sur l’intérêt de tel moment historique ou par l’insertion d’états d’âme de l’auteur. Là où, auparavant, l’écrivain se posait évidemment la question de mettre ou d’intercaler tel ou tel paragraphe, Binet, dans une espèce de fausse volonté sincère, nous met par écrit ses réflexions pour nous dévoiler le fond de sa pensée. Au point de revenir lui-même sur des éléments qu’il a déjà écrits et qu’il finit par contester !

Pour un soi-disant spécialiste de l’affaire, Binet n’aurait pas dû passer si vite sur les deux films qui relatent l’attentat contre Heydrich (à défaut d’avoir évoqué deux téléfilms mineurs sur la question…) : Les Bourreaux meurent aussi et Hitler's Madman. Déjà parce qu’ils ont été réalisés par deux grands réalisateurs du siècle dernier, respectivement Fritz Lang et Douglas Sirk, mais aussi et surtout parce qu’ils permettent, non pas de s’accrocher à une vérité historique fiable, mais de comprendre l’atmosphère qui régnait sous le nazisme et la folie du régime. Rappelons que ces deux œuvres ont été tournées l'année de la mort de Heydrich, en 1943, évoquant ainsi une actualité plus que brûlante. De plus, le film de Sirk, même si son côté pastoral peut faire sourire, est assez réaliste, notamment par le choix de John Carradine, saisissant de ressemblance physique avec le ''boucher de Prague'', par le choix, aussi, de concentrer l'intrigue sur Heydrich et les terroristes, et en situant l’action à Lidice, la petite ville éradiquée par les nazis en signe de représailles, le 10 juin 1942.

Si l’auteur est passionné par son sujet, le ton qui y est employé laisse parfois à désirer. Toujours très sûr de lui, il est assez critique vis-à-vis de ceux qui ont pu écrire sur cette période, et ce côté donneur de leçon peut énerver. Car Binet a voulu trop en faire, et en homme quelque peu impudique, il n’a pu préserver de son petit ego de chercheur l’immense tragédie qu’il tente (malgré des qualités indéniables) de nous faire revivre. La manière qu’il a de juger des faits avérés par d’autres, des détails sans importance (comme la couleur de la voiture de Heydrich) ou de pleurer sur les morts et d’insulter les méchants, montre l’étendue narcissique de son projet. Sur un tel sujet, la distance et la rigueur restent le meilleur hommage que l’on peut rendre aux victimes et aux dignes saboteurs…

Binet, dans ce roman, fait preuve d’immaturité avant tout, et malgré quelques séquences éloquentes (son livre se lit assez facilement et reste intéressant d’un point de vue purement historique), il produit un texte qui va bien en-deçà du fait connu proprement dit. A mélanger les genres, on se perd aussi dans sa vision de l’Histoire, ce qui est un peu désolant… Par exemple, à la page 260, il donne une interprétation du génocide tout à fait personnelle voire très contestable : «Il [Heydrich] aura mis tout de même un certain temps avant d’arriver à cette conclusion que ses Einsatzgruppen ne constituaient pas forcément la solution idéale pour régler la question juive. (…) Ils auront eu besoin de plusieurs mois pour comprendre l’un et l’autre qu’un tel procédé faisait entrer le nazisme et l’Allemagne dans une sphère de barbarie qui risquait d’attirer au IIIe Reich la condamnation des générations futures. Il fallait faire quelque chose pour remédier à cela. Mais le processus de tuerie était si engagé que le seul remède qu’ils trouvèrent fut Auschwitz». Pire, Saint-John Perse en prend pour son grade en trois phrases : «Cette révélation tardive doublée d’un bon mot ne suffit pas à rattraper son attitude infâme. Saint-John Perse s’est conduit comme une grosse merde. Lui aurait dit, avec cette préciosité ridicule de diplomate compassé, «un excrément»». Sans oublier le président de la Tchécoslovaquie, Emil Hácha qui, devant l’évidence d’une occupation allemande aux portes de son pays tel que la raconte le livre, décide de capituler devant le Führer qui lui promet un bain de sang immédiat. Binet, professeur de lettres en banlieue dans un pays en paix, juge à 70 ans de distance et traite le président d’«imbécile» (p.127) !

Répétons cependant que, le sujet se prêtant à une enquête tout à fait intéressante sur la résistance du peuple tchèque face au monstre que fut Heydrich, ce roman (qui n’en est évidemment pas un, mais aujourd’hui qui fait la différence ?) se lit avec un certain plaisir. Les digressions autobiographiques et les auto-questionnements sur le récit finissent simplement par lasser un lecteur qui attend de ce genre de «romenquête», tel qu’a pu le définir Bernard-Henri Lévy, autre chose qu’une manifestation narcissique et vaine sur le genre littéraire et l’Histoire moderne.

A lire donc, pour l’intérêt historique et l’hommage à la résistance tchèque dont Jan Kubiš et Jozef Gabčík furent les symboles et martyres.


Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 24/06/2011 )
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