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Poches -> Littérature |
| Douglas Kennedy Cet instant-là Pocket 2013 / 8,4 € - 55.02 ffr. / 696 pages ISBN : 978-2-266-22738-4 FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm
Première publication française en septembre 2011 (Belfond)
Bernard Cohen (Traducteur) Imprimer
Grand romancier populaire (au bon sens du terme), Douglas Kennedy aime raconter des histoires et il le fait avec un réel talent. Cet instant-là fait irrésistiblement penser à un récit autobiographique (même si le narrateur nest jamais totalement son sujet et sil faut toujours se méfier de la tentation de chercher à tout prix lauteur derrière le personnage
).
Le jeune new-yorkais Thomas Nesbitt (né en 1958) ressemble à plus dun titre à Douglas Kennedy (né en 1955) ; il vit de sa plume en simmergeant longuement dans un pays quil décrit ensuite par le menu, les détails, les impressions
Certains se souviennent sans doute que Douglas Kennedy nest pas uniquement romancier de fiction mais également auteur de récits de voyages (Au pays de Dieu, 2004, Au-delà des pyramides, 2010). Le héros de Cet instant-là a écrit un premier livre sur l'Égypte, dont le succès lui permet de monnayer auprès de son éditeur un séjour à Berlin pour un autre reportage au long cours. A 26 ans, en 1984, il arrive donc à Berlin Ouest, choisit de sinstaller près du mur à Kreuzberg, partage une colocation avec un irlandais irascible, drogué, homosexuel et peintre de talent, et trouve un revenu dappoint en travaillant pour Radio Liberty. On est dans les derniers moments de la guerre froide, dans un Berlin coupé en deux par le mur, sans que nul ne puisse prévoir lavenir !
Le roman, écrit à la première personne, commence plus de vingt ans plus tard, dans le Maine où Thomas habite seul un cottage isolé et vient de recevoir la demande de divorce de sa femme Jan, une demande sans surprise. La surprise vient dun second courrier envoyé de Berlin, qui le ramène à sa jeunesse et à une aventure qui la profondément marqué...
Dans ce roman bien construit, Douglas Kennedy pose en filigrane lenfance de son héros, ses liens avec son père essentiellement, avec son meilleur ami, le couple un peu boiteux quil forme avec Jan, son affection profonde pour leur fille Candace. Auteur à succès, Thomas a surtout écrit des reportages et il est à lheure des bilans, au lendemain de la mort de son père, au moment de la fin acceptée de son couple. Il sinterroge sur lui, sur ses goûts, ses choix, la fuite en avant quil a toujours pratiquée : «JAI TOUJOURS VOULU MÉCHAPPER. Cette pulsion mhabite depuis mes huit ans, depuis ma première découverte des délices de lévasion».
La lecture du courrier venu dAllemagne le conduit à ressortir le manuscrit écrit il y a longtemps et qui raconte son séjour à Berlin en 1984, latmosphère de guerre froide, la rencontre à Radio Liberty avec Petra, réfugiée venue de RDA, qui y est traductrice et devient la femme de sa vie. Le titre du livre vient dune citation de Luther, que Thomas traduit à sa fille : ««Wie bald «nicht» jetz «nie» wird ?» Sans sourciller jai traduit : A quel instant «pas maintenant» se transforme en «jamais» ?». Clé du roman : quand franchit-on la frontière décisive ?
Douglas Kennedy rassemble ainsi plusieurs romans en un : roman dapprentissage, damour, despionnage. Il excelle à décrire des personnages qui tous ont une vraie présence même lorsquils napparaissent quen quelques lignes. Cet instant-là est aussi un roman sur la liberté : celle que lon se donne, celle qui nous est octroyée, la distance entre les deux. La trame est celle dun roman historique : les dernières années de tension Est-Ouest vues par un américain. Demblée le Berlin de 1984 est annoncé comme la ville de tous les faux-semblants, de tous les mensonges, ville schizophrène, fermée sur elle-même et en proie à tous les regards, ville de toutes les attentes, de tous les fantasmes, ville stimulante pour les créateurs. Ce que sont, chacun à sa façon, les trois principaux personnages : Thomas, le reporter qui se donne comme but de retraduire la réalité pour la rendre intéressante aux lecteurs, Alastair le peintre qui crée quasiment sous hypnose, Petra la traductrice (et lon pense au vieil adage traducteur/traître
).
Vingt ans plus tard, les choses ont-elles changé ? La ville a repris son territoire, mais quen est-il de son identité profonde dans cet espace réunifié ? Comment vit Berlin sans le mur ?
Que sont devenus les héros ? Douglas Kennedy connaît bien Berlin qui est, avec Paris et Dublin, une de ses villes de résidence (il y a aussi séjourné en 1983) ; il décrit bien et la ville du début des années 80 et celle daujourdhui.
Cet instant-là est dabord une histoire damour, tragique, (la quatrième de couverture est dailleurs trop bavarde
), mais cest aussi la description dun monde disparu. Un roman «grand public» réussi.
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 03/04/2013 ) Imprimer
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