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Poches -> Littérature |
| Chahdortt Djavann Je ne suis pas celle que je suis Le Livre de Poche 2015 / 7.90 € - 51.75 ffr. / 528 pages ISBN : 978-2-253-06840-2 FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm
Première publication en août 2011 (Flammarion) Imprimer
''Je suis l'innomée aux identités d'emprunt''. «Au gré des années et au hasard des conjonctures, j'ai incarné des identités aux prénoms différents. J'ai vécu à travers elles, avec elles, malgré elles ; j'étais elles. Je les laisserai se raconter ou plutôt se mettre en scène ; moi, je n'interviendrai qu'entre les pages, entre les lignes».
La problématique identitaire se trouve au cur de la question de limmigration. Où puiser la force dêtre Soi quand les Mollahs vous assujettissent, vous anéantissent ? De quelle identité peut-on se prévaloir quand la fuite de son pays et de sa culture ressemble plus à une dérive morbide quà un projet davenir ? La narratrice, Chahdortt Djavann, fille d'un seigneur d'Azerbaïdjan, a fui lIran en 1993. Après un périple insensé, le rêve de liberté se brise sur la réalité quotidienne dune banlieue pauvre dun pays inconnu. Ce pays, cest la France dont elle ignore tout, jusquà la langue. Le silence qui suit lexil est écrasant. La douleur de vivre devient plus forte que le désir. Pour ne pas se laisser mourir, elle entame une psychanalyse en français ; trop de souffrances se rattachent à sa langue dorigine. Elle apprend alors par cur le Robert : «Elle entreprit de le lire dun bout à lautre. Elle quittait sa chambre pour habiter le dictionnaire». Cest le prix à payer pour sortir du silence et des non-dits.
Dès 2002, elle publie en français son premier ouvrage, Je viens dailleurs, suivi du retentissant Bas les voiles. Pour une femme qui na pas eu le droit de vie en Iran, le brillant et troublant Autoportrait de lautre (2004) est déjà révélateur dune projection de soi en homme libre
mais au seuil de la mort. Lauteure écrit à la première personne, se substituant à son personnage avec une telle proximité et un tel talent quon peut parler dincarnation ''charnelle'', dune expérience physique insolite de «muer» en lautre identité sexuelle. Pour survivre ?
Avant dêtre son nouveau roman, Je ne suis pas celle que je suis est dabord une ''tentative de vie'', comme on fait une ''tentative de suicide''. De cet instinct de vie hors norme, Chahdortt Djavann a tiré la force de témoigner de sa propre histoire, den rassembler les multiples facettes : celle de l''immigrée'' - enfin «échouée» quelque part - qui tente de sortir de sa douleur de vivre par une psychanalyse. Séance après séance, elle se fait alors lécho dune autre histoire, constituée dautres identités, celle de sa jeunesse, celle de la ''migrante''.
Et cet autre «elle-même», cest Donya, jeune iranienne aux prises avec la réalité assourdissante et cruelle du quotidien des femmes sous le régime des Mollahs. On ne veut plus lâcher cette insoumise, éprise de liberté, qui fascine le lecteur par sa fuite de Téhéran jusquen France. On ne peut plus lâcher ce roman, parce que chaque page est une victoire sur les terreurs infligées aux femmes iraniennes et linterdiction dexister qui leur est faite.
Avec léclat du talent quon lui connaît, Chahdortt Djavann articule ces deux histoires, ces deux destins parallèles, dans un cri de vie qui laisse le lecteur abasourdi. Comme une note despoir de voir un jour la narratrice reconstruire ou réparer ses «identités meurtrières» (Les Identités meurtrières. Amin Maalouf. Grasset. 1998), louvrage sachève par la discrète mention «à suivre
».
A lire durgence.
Marie-Claude Bernard ( Mis en ligne le 24/06/2015 ) Imprimer | | |
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