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La Trahison des frères
Michel Schneider   Comme une ombre
Gallimard - Folio 2012 /  6,95 € - 45.52 ffr. / 290 pages
ISBN : 978-2-07-044705-3
FORMAT : 10,7 cm × 17,8 cm

Première publication en août 2011 (Grasset)
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«C’est facile de devenir une légende entre l’enfance et l’adolescence, et c’est ainsi que plus tard on aime les livres, car les livres parlent tous de personnages légendaires (…) Ils peuvent devenir légende, ils deviennent légende de l’enfance à l’adolescence» (Gertrude Stein)

Michel Schneider (né en 1944) est un écrivain à part dans le monde des lettres françaises. Psychanalyste, romancier, essayiste, haut fonctionnaire, sa passion reste néanmoins les lettres (et la musique, qu’il a représentée au ministère de la culture à la fin des années 80). Quelques ouvrages, tout en délicatesse et érudition, le rangent du côté des écrivains importants de sa génération. Après Bleu passé (1990) et ce livre au merveilleux titre, Je crains de lui parler la nuit (1991), Schneider revient au roman, voire au témoignage, avec toujours en trame de fond une plongée dans les éléments obscurs de sa propre existence. Soulignons enfin que Schneider est l’auteur de deux ouvrages récompensés : Morts imaginaires (Prix Médicis 2003) et Marilyn, dernières séances (Prix Interallié 2006), deux essais sur la mort, pourrait-on dire.

Par quel moyen doit-on passer pour signifier l’indicible, souligner la nostalgie, évoquer un souvenir, plonger dans la tristesse et recourir à l’absence ? La littérature, comme une lettre transmise à l’absolue, peut contribuer à rapporter quelques éléments de réponses, jamais suffisants, maquillés par le style, emportés par l’édition, incompris par le lecteur, certes, mais écrits tel un bloc immobile. Car cette littérature, lorsqu'elle est profonde et sérieuse, permet de fondre le trivial dans le trouble et la fracture du monde artistique qui recueille ainsi les éléments du vivant. C’est ce qui a permis à Schneider de composer un roman (un ''Romanquête'' comme l’inventa B-H.L. il y a peu) mêlant enquête sur le frère trop tôt disparu et quête de soi, témoin, acteur puis rescapé du carnage.

Car c’est bien d’un carnage dont nous parle l’auteur : famille recomposée dans le secret, pères pluriels, fratrie divisée, mère étouffante, mort prématurée du géniteur, bref, le jeune Michel, cadet de huit ans de son frère Bernard - héros et antihéros du récit -, évolue déjà dans un environnement familial pour le moins contrasté. Il écrit ainsi en préambule : «Je ne peux m’empêcher de rendre littéraires la plupart des scènes de ma vie, de montrer héroïques, romantiques ou abjects les personnages de mon roman familial, de revoir en grand ce que j’ai vécu petit. (…) Les choses ne sont pas telles qu’on croit, ni telles qu’on les dit, mais elles ne sont que quand on les dit. Ou quand on les écrit. Les seules histoires dont je me souvienne sont celles que j’ai écrites. Et encore». Lorsque la vie ne suffit plus, l'écriture est là pour recomposer, voire pour recréer...

Mais c’est la fascination pour le grand frère qui va porter Michel, narrateur et personnage, dans une quête à la fois consanguine et posthume. Le style romanesque proposant formellement de partager les horizons d’attente en alternant une narration à la première personne : l'enquête ; et une énonciation à la troisième personne : la quête ; à moins que ce ne soit l'inverse. Évidemment l'énonciation renvoie au genre littéraire. La première personne recueille les informations quand la troisième, devenue personnage, répond de la fiction.

Bernard Forger suivra comme une ombre le gamin puis l’adulte Michel Forger (double de l’auteur en proie avec l’ombre de son frère, lui-même doublé d’un nom d’emprunt, donc romanesque). Le gamin est influencé très tôt par Bernard sur la musique et les femmes. L'adulte également mais il est incapable de suivre son frère absent, impénétrable et inconstant car ce dernier est une sorte de marginal en rébellion avec la société, un amateur de femmes, un buveur invétéré, un menteur pathologique, un soldat violent, un manipulateur sensible, mais un frère au cœur tendre (parfois). Bernard, en vivant vite et en mourant jeune, s’est forgé (sans jeu de mot) un destin de «gueule fracassée par la vie», d’écorché vif au destin brisé. Michel, le sage, le mélomane, puis le professeur-écrivain rangé, ne peut suivre la cadence de l’ineffable aîné et se lance plus de trente ans après sa mort sur les traces du frère, cet inconnu.

Sous fond des années 60 et de guerre d’Algérie (Bernard est appelé et y restera plus de deux ans), le récit de Schneider se construit comme il s’écrit. Par touches impressionnistes qui mêlent souvenirs personnels, réflexions sur les horreurs qu’a dû commettre Bernard durant le conflit auquel l'écrivain s’opposa durant ses études, anecdotes sur ses permissions où il rencontre beaucoup de femmes, ou découvertes de lettres envoyées à sa mère, le récit enchâssé aborde toutes les composantes du drame familial. Tout est noir, violent, sanglant et le roman tente de mettre de la compréhension dans un environnement où les langues, à défaut de se délier, parviennent à se toucher, à se frôler.

Une grande partie du récit s’articule ensuite sur un entretien que Michel a avec L., une ancienne maîtresse des deux frères, retrouvée longtemps après et qui va tenter de lui re-situer le «cas Bernard» en revenant sur des passages restés enfouis jusqu'ici. Mais là aussi, les secrets familiaux, les trahisons, les troubles, les silences ne permettent en rien de brosser un portrait net de Bernard, mort en 1976 à 40 ans, suicidé certainement…

La quête est double pour Michel qui durant tout le texte va tenter de s’interroger sur la nature de cet amour fondateur, de cette prise spectrale qu’exerce son frère défunt sur l’adulte qu’il est, elle-même venant de cette influence que le grand frère avait sur le petit mais avec toujours cette distance, ce mépris, ce déni presque… A cela s’ajoute donc l’obsession d’informations qui pèse sur ces zones d’ombre. Car Bernard reste une édifiante ombre mystérieuse. «On ne sait pas ce que l’autre peut bien trouver à quelqu’un qu’il aime. Lui-même ne sait pas ce qu’il recherche. L. le savait aussi bien que moi – et ne voulait pas le savoir, comme moi –, l’amour ce n’est pas quelqu’un, c’est la nuit, la nuit d’un tunnel traversé. Plus ou moins long. C’est une erreur qu’on n’entrevoit qu’au bout, comme une lueur insoutenable».

La littérature moderne étant coutumière de ce genre d’autofiction, Schneider devait passer au travers des clichés qui entraînent parfois les critiques à l’égard de ce genre hybride. S’il y parvient en dressant un texte d’une noirceur terrible et profondément touchant, il nous déçoit parfois par un lyrisme trop forcé, comme ici : «Premières vacances à l’étranger, lumière dure, douceur de regarder la mer en se disant que c’est peut-être la seule chose vraie en ce monde». Ou encore par des généralités quelque peu faciles comme ici: «A quoi ça sert les livres ? Ça sert à ne pas mourir». Etiemble aurait dénigré le tout en lisant cela !

Mais on est dans le registre du récit intime (où le sexe prend une ampleur gigantesque), du drame personnel confondant où l’auteur a décidé de ne prendre aucune distance avec son récit pour en faire un véritable sujet d’études. Soit, et d’ailleurs le style de Schneider, tout en rupture syntaxique et rythmique, insiste sur l’aspect morcelé de ces révélations et de ces questionnements incessants. Peut-être aurait-on aimé autre chose, mais quoi ? Là est le talent de Schneider, celui de ne pas avoir pu figer le portrait de son frère tout en laissant au lecteur l’image d'un inconnu. Il fallait écrire sur Bernard S.


Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 30/11/2012 )
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