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Poches -> Littérature |
| Michel Winock Flaubert Gallimard - Folio 2015 / 10.20 € - 66.81 ffr. / 766 pages ISBN : 978-2-07-046348-0 FORMAT : 10,9 cm × 17,8 cm
Première publication en mars 2013 (Gallimard - Biographies) Imprimer
Avant même douvrir ce livre, on se pose inévitablement une question, celle que précisément lauteur sadresse à lui-même à la première ligne de lintroduction : «Pourquoi écrire une biographie de Flaubert ? Une de plus
» Il est vrai que la vie de Flaubert est un champ déjà profondément labouré ! Mais Michel Winock se justifie ainsi : un éblouissement ancien, à la lecture, alors étudiant à la Sorbonne, de lEducation sentimentale et, bien plus tard, «un déclic», selon ses propres termes, lors de la parution du cinquième volume de la correspondance de Flaubert dans La Pléiade. Mais il ajoute immédiatement que son objectif nest «daucune façon concurrencer et encore moins rejoindre la cohorte des spécialistes attitrés», mais «seulement dans ces pages à faire partager au public lintérêt que jai pour l«ermite de Croisset», en campant la vie dun homme dans son siècle. Une biographie pour le plaisir, mais une biographie dhistorien».
Mais allons au-delà de cette interrogation liminaire : Michel Winock nest certes point un novice en biographie puisquon lui doit déjà celles de Madame de Staël et de Clemenceau, pourtant en consultant sa bibliographie, on constate quil na abordé ce genre que tardivement, en 2007, soit trente ans après sa première publication notable. Pourquoi donc ce revirement tardif ? Lexplication en est, de son propre aveu, que la biographie nétait pas auparavant considérée comme un genre noble chez les historiens, qui risquaient en la pratiquant de se perdre dans les détails et de ne retranscrire que, souci bourgeois, le singulier. De plus, le marxisme alors régnant privilégiait lhistoire des masse et celle de la lutte des classes. La biographie nétait donc vue alors que tout au plus comme du roman, certes vrai, mais pas de la «vraie» histoire. Aujourdhui, le genre biographique a été réhabilité dans luniversité française, tournant que lon date souvent de la parution du Louis XI de Murray Kendall (1971), et consécration du renouveau du genre : le Saint- Louis de Le Goff, en 1996 voir louvrage de François Dosse, Le Pari biographique, Ecrire une vie (2011). Lhistorien peut donc se livrer à ce genre littéraire qui, en réalité, et cest le cas ici, permet au travers dun homme et dune uvre, de donner une image, certes synthétique, mais concrète et exacte, dun siècle.
Du double intérêt pour lhistoire et la littérature, plus tardif pour la première, mais qui a fini par triompher, résulte que la biographie que Michel Winock nous livre aujourdhui est à la fois litinéraire dun homme dans son milieu et son époque, mais aussi, mais autant, lanalyse de la genèse et du contenu de son uvre. Tout dabord, lépoque. On a limpression quautant que la biographie de Flaubert, cest celle de son siècle agité, voire incohérent, qui fait le fond de louvrage. Là, lhistorien est à son affaire et les événements, les hommes politiques défilent. Mais, tout autant, il sagit sans le moindre doute dune véritable biographie, une «vie» de Flaubert. On sent que lhomme, avec ses contradictions, a fasciné Michel Winock. Quelle montagne de contradictions en effet que Flaubert : bourgeois qui déteste la bourgeoisie et le proclame hautement, perfectionniste du style qui se déchaîne dans ses lettres, amateur de voyages qui se sédentarise, même sil ne se cloître pas autant quon la dit, amoureux de lamour qui sy refuse au nom de son uvre autant que celui-ci risque daliéner sa liberté créatrice. Lauteur sait montrer la grandeur et la petitesse du personnage, mais aussi tenter dexpliquer ses dilections comme ses phobies. Mais cest peut-être finalement luvre qui le retient davantage, à juste titre si lon veut bien admettre que cest elle que la postérité a retenue et louée, davantage que son auteur. La fascination quelle exerce depuis lorigine (même si les appréciations des contemporains ne furent pas unanimes) est indéniable et constante. Fascination qui tient, selon Michel Winock lui-même, autant au style quau travail sous-jacent. On ne rappellera pas les épisodes souvent narrés sur le «gueuloir» et les monceaux de pages détruites ou raturées jusquà la perfection atteinte. Mais Michel Winock sait aller au-delà et analyser finement les rapports entre lauteur et son uvre, notamment la contradiction de cet écrivain à la fois soucieux dobjectivité et prétendant par là seffacer devant son uvre, et pourtant démiurge : «Lauteur est bien présent ; il ne parle pas, il ne dit pas «je» ; il ne commente pas, il ne juge pas, mais sa personnalité perce à chaque paragraphe» (à propos de deux scènes de déclaration damour dans Madame Bovary, mais qui peut sappliquer à toute luvre).
On soulignera enfin la bonne idée de Michel Winock davoir complété son propos par plusieurs annexes de grand intérêt : une copieuse bibliographie, y compris les sources manuscrites et la filmographie, ainsi quune chronologie et un utile index ; mais surtout une «petite anthologie» selon les termes mêmes de lauteur, fournissant des formules flaubertiennes classées par mot-clé et un «florilège» des appréciations portées sur lauteur et luvre, également organisé à partir de mots-clés. Le lecteur découvrira dans la première des formules qui valent bien celles du fameux Dictionnaire des idées reçues et, dans la seconde, des opinions variées, parfois inattendues, voire franchement hostiles, ce qui ne fait que rajouter au piquant de la lecture de louvrage. Le passionné de Flaubert a su là faire preuve dobjectivité, même si lon peut le soupçonner, sagissant de Sartre, davoir sélectionné un extrait de la biographie monumentale autant quinachevée qui témoigne dun contresens complet sur les rapports de Flaubert avec la bourgeoisie
et le monde ouvrier. Mais chacun samusera à découvrir quel grand nom de la littérature a pu écrire que Flaubert «a renouvelé presque autant notre vision des choses que Kant» ou, à linverse, que tel autre a pu conclure ainsi son analyse du style flaubertien : «Mon Dieu, comme il devait pleuvoir à Rouen».
Hâtons nous de dire, pour rebondir sur cette dernière phrase que la vie même de Flaubert est loin dêtre morne et grise et que l«ermite» de Croisset était loin dêtre un reclus ! Le lecteur y trouvera son compte de pittoresque et de sujets dintérêt de toute nature, de la prostitution au voyage en Orient en passant par larchéologie carthaginoise ou les murs littéraires parisiennes. Au total, une uvre hautement recommandable qui enrichira celui de ses lecteurs qui pratique déjà luvre de Flaubert, mais qui peut se lire aussi, sans connaître aucune des uvres du maître, comme une plongée dans le XIXe siècle français, provincial et parisien, guidée par lun de ses meilleurs connaisseurs.
Le pari de Michel Winock est gagné : une biographie pour le plaisir, le sien et celui de son lecteur, mais une biographie dhistorien, où ce plaisir ne se prend pas au détriment de lexactitude et du sérieux.
Jean-Etienne Caire ( Mis en ligne le 06/07/2015 ) Imprimer
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