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Désarçonnant
Laurence (Lorette) Nobécourt   En nous la vie des morts
Le Livre de Poche 2008 /  6.50 € - 42.58 ffr. / 320 pages
ISBN : 978-2-253-12094-0
FORMAT : 11,0cm x 17,5cm

Première publication française en août 2006 (Grasset).
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«à l'automne 2002, j'ai laissé l'homme que j'aimais, rendu les clefs de l'appartement où je vivais depuis douze ans, j'ai donné mes livres, mes vêtements, la plupart de mes meubles et je suis partie, avec ma fille sous le bras, vivre à Rome. A la Villa Médicis. C'est un beau lieu pour changer de vie. J'ai connu là-bas des heures qui n'appartiendront jamais qu'à moi seule. J'y suis morte à chaque saison. Et de mourir tant de fois, je suis née à d'autres mondes, à une autre vie.
En nous la vie des morts est le premier livre de cette vie. Je l'ai écrit aux heures de l'ombre et aux heures de lumière. Je l'ai écrit avec mes os.
J'avais faim d'embrasser le monde, j'avais une telle faim de comprendre d'où je venais, qui j'étais, pourquoi je souffrais tant. J'avais faim de donner aussi. J'étais allée aussi loin que possible dans la chair, sans trouver la lumière. Je voulais essayer le verbe. Autrement, pas comme avant. Loin de moi. J'étais si lasse de moi-même. Je voulais un héros étranger à mes manières, et un homme oui, qui me permette aussi de parler du féminin.»


Voilà, c’est ainsi que Lorette Nobécourt présente son dernier roman sur le site de son éditeur. C’est un peu désarçonnant. Ce n’est pas que le livre soit inintéressant, ni ennuyeux, mais il pâtit quand même un peu de ce ton prêchi-prêcha : «écoutez les paroles de l’éveillée !». L’histoire est on ne peut plus simple : un new-yorkais dont le meilleur ami vient de se suicider se retire dans une vieille maison, loin des villes, dans le Montana. Jour après jour, il affronte la catastrophe de ce suicide qui le précipite vers ses propres impasses intimes. Et puis, petit à petit, de nouvelles perspectives se dessinent : la douleur de la perte, les souvenirs, la lecture, des échanges par email avec Guita, une amie très proche, de nouvelles rencontres, le poussent à reconsidérer son existence ancienne et à lutter pour laisser advenir un nouvel état d’esprit, une posture existentielle plus ouverte. Le thème n’est pas nouveau mais peu importe. L’ancienne Lorette Nobécourt veille encore et elle sait toujours trouver les mots pour décrire les sensations, souvent extrêmes, de son personnage (à cet égard la première page du roman est particulièrement réussie : elle lance une métaphore aquatique qui sera discrètement filée par la suite et qui expose parfaitement la situation). Le personnage en question, Nortatem, est attachant, de même que sont intéressants et souvent originaux les gens qui l’entourent ou se trouvent sur son chemin.

Le problème est que l’on sombre parfois dans une spiritualité assez New age. Les considérations sur l’épargne d’une mini-plaquette de beurre comme indice de pingrerie existentielle ou sur l’avantage métaphysique de changer ses habitudes (même si la référence à Oui-oui et la gomme magique comme pendant d’Heidegger allège le propos) peuvent agacer. Le pittoresque des personnages ne suffit pas toujours à éviter l’impression de lire un discours sur le développement personnel illustré par des parcours de vie. On louvoie par endroits du côté de Paulo Coelho. Est-ce pour cela que cette simplicité du fond est compensée par la complexité de la composition ?

Car Lorette Nobécourt procède à une mise en abîme appuyée. Deux livres accompagnent en effet Nortatem dans sa méditation solitaire : le Livre 7 et En nous la vie des morts. Le premier est «d’origine hébraïque, (…) composé de quelques centaines de fragments anonymes ayant donné lieu à de multiples interprétations», et parmi ces fragments, le huitième, le «fragment secret», cacherait «le mystère et le sens de l’existence». Le second, «paru en 2006» fournit des éléments de compréhension du fragment 8. Le roman nous donne donc régulièrement à lire, par-dessus l’épaule du personnage principal, des chapitres du livre en abîme, En nous la vie des morts, qui correspondent chaque fois à un âge (dont la somme des chiffres le composant aboutit toujours à 7, cela va sans dire !) de la vie d’un nouveau protagoniste et qui alternent plus ou moins régulièrement avec les chapitres non numérotés du roman En nous la vie des morts lui-même.

Il s’agit à chaque fois d’un tournant décisif de l’existence et à chaque fois, même si les personnages et les lieux diffèrent, on relève des correspondances d’un chapitre à l’autre, de même qu’entre ces chapitres du livre en abîme et les chapitres du roman, lesquels nous ramènent à l’histoire de Nortatem. De multiples avatars d’un cerf circulent notamment d’un récit à l’autre et entre strates diégétiques, mais bien d’autres éléments se répondent de la sorte. C’est peut-être cette circulation (quand elle n’est pas trop lourdement appuyée) et le retournement final du dispositif qui fait du livre de Lorette Nobécourt quelque chose de mieux qu’un discours édifiant. Car Nortatem (et nous-mêmes qui lisons par-dessus son épaule) en vient à s’interroger : «peut-être sommes nous seulement des fictions auxquelles nous nous efforçons de croire». De son côté, son amie Guita considère «que le monde est une fabuleuse usine à produire des signes dont une infime partie revient à chacun ; que nous-mêmes, à chaque instant, sommes des signes pour autrui dont la logique et la nécessité nous échappent. Nous sommes chacun, les uns pour les autres, les fragments d’un livre gigantesque et infini qu’il incombe à l’espèce humaine de lire en entier pour comprendre le sens de sa destinée». Or, le chapitre 7 du livre en abîme En nous la vie des morts ne raconte pas, comme les précédents, l’histoire de nouveaux personnages, mais poursuit au contraire celle de Nortatem lui-même quittant son refuge du Montana : il se confond donc avec l’avant-dernier chapitre du roman de Lorette Nobécourt. Et quant au dernier chapitre qui relate lui aussi l’histoire du personnage principal et porte pourtant un numéro comme s’il appartenait au récit mis en abîme, il est écrit par ledit personnage et il reproduit au mot près le premier paragraphe du roman de Lorette Nobécourt. On comprend qu’il échappe enfin au règne du chiffre 7 pour accéder au 8, le chiffre du «fragment secret» et donc du sens de l’existence !

Cette étonnante bande de Möbius narrative a le mérite de réaliser artistiquement ce que le discours assène de façon un peu trop évidente. En nous la vie des morts va ainsi au-delà du oui (voire du oui-oui !) à la vie qui peut agacer les allergiques aux messages illuminés. C’est un hommage en acte au pouvoir de la littérature : «(…) un livre pouvait changer un homme. C’était même là sa principale raison d’être. Regarder l’existence d’un autre point de vue et se raconter une nouvelle histoire pour modifier son propre destin, pour muter». Mais la mutation romanesque de Lorette Nobécourt ne paraît pas encore tout à fait accomplie…


Alain Romestaing
( Mis en ligne le 11/02/2008 )
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