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Sister mine…
Tawni O'Dell   Le Ciel n'attend pas
10/18 - Domaine étranger 2009 /  8.90 € - 58.3 ffr. / 448 pages
ISBN : 978-2264047519
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication française en mars 2007 (Belfond).

Traduction de Bernard Cohen.

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«Toute ma vie, je me suis trouvée confrontée à ce problème d'identité : être une femme intelligente, instruite, capable de s'exprimer, mais, prisonnière d'un corps de strip-teaseuse et affligée d'un prénom de motarde.» Une phrase et un sourire, telle est la façon dont Tawni O’Dell se présente, mais ce pourrait aussi bien être le portrait de Shae-Lynn, l’héroïne de son troisième roman, Le Ciel n’attend pas, le prénom de motarde en moins, mais le goût de la réplique ciselée et bien sentie en plus.

Après Le Temps de la colère (2001) et Retour à Coal Run (2004), Tawni O’Dell retrouve une troisième fois le territoire de l’enfance et de la jeunesse : la Pennsylvanie minière, délaissée, où les familles sont creusées et exploitées autant que ces veines de charbon censées les faire vivre. Cette fois pourtant, peut-être tout simplement parce que l’héroïne est une femme, d’un âge proche de celui de l’auteur et dont le parcours rassemble au sien, on se dit que le retour est plus personnel encore et que la pierre qu’il pose dans l’entreprise de résolution du problème d’identité est d’importance.

Après 15 ans passés dans la police à Washington, Shae-Lynn est rentrée à Jolly Mount, la petite bourgade minière de son enfance, avec son fils, Clay, qu’elle a élevé seule, loin des misères. Elle y conduit le seul taxi du coin, acceptant ce que les clients peuvent donner pour le prix de la course et ne perdant jamais une occasion de se taire. Elle y retrouve aussi les ombres du passé : un père mort sous les coups du charbon, après avoir passé des années à battre sa fille ; une mère morte à la naissance de la petite sœur, l’alcool, l’ennui et la résignation, de ces hommes, amis et voisins, qui descendent tous les jours dans le noir.

Mais les ombres ne sont que des ombres et peuvent donc s’animer, se troubler voire s’éclairer, (qui sait ?) quand on apprend par le détour d’une conversation que sa sœur, que l’on croyait morte depuis 18 ans, probablement sous les coups du père, est vivante. Vivante, mais enceinte et recherchée, à la fois par un avocat new-yorkais spécialiste des adoptions, par une yuppie désespérée (jamais pourtant au point d’oublier de coordonner ses chaussures à ses vêtements), et par un mafieux tout aussi russe que cordon bleu, Shannon, se réfugie auprès de sa sœur. On guette les retrouvailles et l’on découvre l’inconcevable : il y a bien des façons différentes d’être mère…

Que peut faire Shae-Lynn ? Elle qui n’hésite pas à se battre avec Choker, parce qu’elle ne supporte pas de le voir au bar plutôt qu’auprès de ses enfants, elle qui a l’habitude de classer les gens qu’elle rencontre selon la difficulté qu’il y aurait à leur casser les bras, elle aussi qui aime E.J. depuis l’enfance mais qui ne sait pas le lui dire, elle enfin qui n’a jamais révélé le nom de son père à son fils.

Le récit est absolument maîtrisé, chaque chapitre ménageant surprise et émotion, dans un art résolu de la réplique et de la chute. L’écriture est précise et rapide, jamais facile, trouvant le temps de faire remonter les questions du passé et de saisir les détails qui permettent de mieux maîtriser le présent. On pense au Russell Banks d’Affliction, pour la description de ces rapports familiaux détruits par la violence du père et de leurs effets sur ceux qui y survivent. Mais là où Banks racontait l’effondrement d’un homme, la violence paternelle qui l’empêchait d’être père à son tour, et la crise des valeurs viriles d’une certaine Amérique profonde rêvant malgré tout, Tawni O’Dell prend acte, elle, de la belle mort de l'american dream et retrouve un thème fondateur de la littérature américaine : le retour à l’origine. Elle choisit pour cela l’entrée apparemment convenue de la maternité. Elle en explore à la fois la fragilité et la force. La vie s’invente dans le ventre des femmes, comme elle peut se perdre dans le ventre de la mine, mais dans les deux cas, c’est le plein jour qu’il faut affronter et ses questions inévitables : qu’est-ce qu’être mère ? Suffit-il de protéger et d’aimer pour l’être ? Le lien du sang est-il si puissant que cela ? Faut-il se révolter ou se résigner ?

Autant de questions, autant de pistes que le roman travaille comme les veines de la mine, au risque, souvent de l’explosion intime, mais toujours éclairé par la petite lampe de l’humour accroché aux casques de ces mineurs du quotidien, «marins de la roche» comme le dit Dusty, l’un d’entre eux. On rit souvent en lisant ces pages, amusé par l’énergie et le culot de Shae-Lynn, désarmé par des dialogues maîtrisés qui ne sont pas sans rappeler le rythme des meilleures séries télévisées américaines du moment.

On préférera alors le titre original, Sister mine, puisque la question du lien est au cœur du récit, à sa traduction peu compréhensible en français, pour désigner ce très bon roman qui nous fait entrer un peu plus dans le dynamisme de la littérature américaine de ce début de siècle.


Thibaut de Saint Maurice
( Mis en ligne le 13/07/2009 )
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