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La fêlure
Pietro Citati   La Mort du papillon - Zelda et Francis Scott Fitzgerald
Gallimard - Folio 2010 /  5 € - 32.75 ffr. / 108 pages
ISBN : 978-2-07-042129-9
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication française en octobre 2007 (Gallimard - L'Arpenteur)
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«J'ai abandonné ma capacité d'espérer sur les petites routes qui menaient au sanatorium de Zelda.» (Francis Scott Fitzgerald, Carnets)

Il y a des couples qui ont définitivement marqué la littérature. Nerval et Jenny Colon, Flaubert et Louise Colet, Aragon et Elsa, Jouhandeau et Elise, etc. Francis Scott Fitzgerald et Zelda font partie des destins tragiques de l'histoire littéraire du début du XXe siècle. En témoigne le récent prix Goncourt qui évoque de façon romanesque l'existence tumultueuse de Zelda Fitzgerald. A chaque fois quasiment, il y a la muse et l’écrivain, la femme lointaine et l’artiste malheureux, et parfois une union naît de ces deux contradictions. La vie tragique de l’un et de l’autre a inspiré à Citati ce court essai biographique. Était-il nécessaire de rhabiller une fois encore les cadavres pour l’occasion d’un livre? Telle est la question que l'on est en droit de se poser après lecture…

Ce couple mythique, comme tous les amours naissants, a dû passer par les étapes classiques de la séduction, de la jalousie, de la possession, de la fidélité, puis de la séparation. Sauf que le destin se charge de porter certains êtres au cœur de la souffrance et de l'angoisse pour en faire des martyrs. N’a-t-on pas écrit jadis un livre sur les fameux «suicidés de la société» avec en tête du convoi funéraire les Vaché, les Rigaut, les Crevel, les Drieu ? Et bien Zelda et Francis rentrent dans le panthéon des couples maudits aux côtés des tristes et célèbres Seberg-Gary auxquels on peut penser parfois.

Car ces deux-là avaient tout pour réussir. Le génie littéraire pour l’un, la beauté et la grâce de la jeunesse pour l’autre. Le jeune Fitzgerald a laissé pas mal de plumes pour que la petite dame espiègle daigne se donner à lui pour la vie. Car c’est ce à quoi Francis le romantique aspirait. La féminité aidant, Zelda avait le choix des têtes à tourner ; et le jeune écrivain a dû passer par les stades fatals de la jalousie, de la solitude, de la tromperie et de l’attente. Le couple enfin installé, il a pu vivre des instants de bonheur notamment avec la venue d’une enfant, Scottie, seule rescapée du carnage.

Car très vite, l’alcool emporte l’un quand l’ennui ronge l’autre. Parcours classique de l’écrivain qui crée pendant que Maman change les linges de bébé. Zelda se croyant artiste, elle s’adonne à la danse de manière frénétique. Mais rien ne marche comme prévu et la famille tourne en rond. Très tôt, le succès littéraire permet à l’écrivain de vivre de sa plume. Le couple s’installe en France (Paris et Saint-Raphaël) et dilapide son argent en mondanités, en rites luxueux, en superficialité monnayable. Le train de vie de la famille devient trop coûteux et Fitzgerald, endetté, courra derrière d’autres succès pour rééquilibrer les comptes et se sortir d'une détresse morale qui l'envahit peu à peu.

Comme une cerise sur le gâteau, l’internement de Zelda à la fin des années 20 pour schizophrénie puis la dépression mélancolique de l’écrivain mettent un terme fatal à toute possibilité de reconstruction. Sur ce point, l’éternelle fracture de l’artiste trop sensible, le génie trop lucide n’épargnent jamais l'homme qui se cache derrière et qui tente de s'en sortir, à moins que ce ne soit l'inverse. Il meurt en 1940, il n’a pas 44 ans. Zelda, elle, périt dans l’incendie de sa clinique huit ans plus tard. On identifie le corps grâce à sa pantoufle restée collée à la corne calcinée, mince attribut ayant échappé aux flammes. Sombre destinée d’un couple qui avait tout pour vivre paisiblement. C’est ce que tente de raconter Citati non sans y rajouter un brin de psychologie, de métaphores explorant les confins de la conscience humaine, et de raccourcis qui perturbent quelque peu la destinée de ces deux enfants du siècle. On aurait aimé une biographie plus fouillée, notamment sur l’œuvre même de l’écrivain. Car la vie d'un écrivain n'est intéressante que par rapport à ce qu'il a écrit. Sans cette connaissance, cette vie placée sous le signe du malheur et de la souffrance n'est qu'un décor commun à bon nombres d'individus. Nous avons à la place d'une réelle biographie une sorte de destin parallèle de deux êtres incompatibles (déjà entre eux peut-être) avec tout type de bonheur. On voit mal le but littéraire d’une telle entreprise. Rien dans le style de Citati ne nous rend proches de ces âmes damnées. La biographie de ces deux êtres n’est que vaguement restituée. Seuls quelques extraits de lettres (sans trop de référence précise) retracent, sans structure claire, le contexte tragique de cette union difficile.

Un élément néanmoins permet au lecteur de voir un peu mieux la fracture présente chez chacun d’eux. Parfois, une photo en dit plus que cent-cinquante pages. Ici, c’en est deux. Une qui date de 1925, la famille pose devant le sapin de Noël dans l’appartement parisien. Ils se tiennent la main, et font tous trois un pas de danse, sorte de chorégraphie figée et surprenante pour les besoins de la photo. La petite a ouvert ses cadeaux, on les aperçoit derrière, déballés. Les visages ne rayonnent pas mais on sent un certain bonheur planer durant cet hiver qui sent bon le feu de cheminée et la dinde aux marrons qui mijote en crépitant. Sur une autre photo, prise trois ans plus tard, la famille pose durant un voyage qui les conduit vers la France. Scottie a le sourire des enfants qui sont encore épargnés, Francis a le visage des écrivains soucieux de leur œuvre en gestation, le regard qui en dit beaucoup sur la névrose qui le ronge de l'intérieur. Le visage de Zelda, celui qui jadis faisait tourner la tête de tant de garçons, est éteint, fermé. Elle est engoncée dans un ensemble sobre, la folie n'est pas loin, et elle revêt déjà le masque de l'enfermement. Elle a 28 ans, elle en parait 45. Peu de temps après, elle entrait dans une clinique pour ne jamais vraiment en ressortir.

Ce livre tente de cerner comment ces deux artistes se sont consumés. Excès de sensibilité, impossibilité du couple, exutoire, égoïsme lié au génie, destin s’acharnant sur ses victimes ? Autant de questions qui ont décimé Francis et Zelda. L'un est mort d'avoir été un grand écrivain et l'autre d'avoir été sa femme, c'est-à-dire, de n'avoir été peut-être que ça malgré ses tentatives littéraires.


Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 13/07/2010 )
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