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Guide du routard
Christophe Ono-dit-Biot   Birmane
Pocket 2008 /  6,80 € - 44.54 ffr. / 409 pages
ISBN : 978-2-266-18279-9
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en août 2007 (Plon).
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Il y a des écrivains qui voyagent pour ramener des textes flamboyants sur les contrées qu’ils ont traversées, les populations qu’ils ont rencontrées, les cultures auxquelles ils ont été confrontés. Nerval, Flaubert, Du Camp, mais aussi Loti, Montherlant, Gide ont été de ceux-là, et avec quelle puissance. Et puis il y a une autre catégorie, celle des pseudo artistes de notre temps, qui part avant tout par exotisme littéraire dans le but d’y ramener un roman. Et c’est le cas de Ono-dit-Biot, grand reporter au Point. Doutant peut-être de leur propre talent, ils s’imaginent qu’en traversant un pays difficile et en se mettant constamment en scène, l’inspiration et le style viendront et feront d’eux de véritables écrivains. Et bien c’est raté. Avant, les écrivains partaient pour découvrir le monde ; aujourd’hui, ils nous ramènent leur ego !

Ono-dit-Biot a choisi la Birmanie (qu’il défend corps et âme dans ses interviews), il aurait pu prendre le Bengladesh, le Népal ou la haute Silésie, peu importe... Ce qui compte, ce sont ses états d’âme de bourgeois bohème découvrant l’amour, le sexe et la peur sous une dictature militaire. L’histoire tient dans un mouchoir de poche. Notre héros romantique, récemment éconduit par sa fiancée lors d’un voyage en Thaïlande, décide de partir seul en Birmanie afin de décrocher l’interview du siècle en la personne du célèbre trafiquant de drogue Khun Sa. Travaillant pour un magazine, ce simple scribouillard jaloux, stigmatise en permanence le parisianisme branché dans lequel il évolue. Mais cette fois-ci, le dit Oscar veut prendre son destin en main et prouver à tout le monde ce dont il est capable. Mimétisme sordide puisqu’il vitupère durant tout le roman sur un certain Blanchard, le reporter de choc de la boîte, alors qu’il n’a qu’une idée en tête, lui souffler la vedette en décrochant un scoop! Bref, dès son arrivée en Birmanie, il tombe sur une jolie française qui répond au doux prénom de Julie et qui sera dans son lit dès le premier soir, et ceci après avoir échappé de peu à un attentat perpétré par des rebelles. Quelques lignes suffisent pour décrire l’horreur des corps déchiquetés et notre sous reporter fait déjà la rumba dans une boîte locale et s’envoie en l’air avec Juju la mystérieuse. Et dire que l’on est seulement à la page 75 et que ça va durer encore comme ça durant les 400 qui restent !… Un voyage laborieux dans le vide littéraire actuel.

Il y a peut-être une explication à cela. A entendre le reporter parler de son roman, on est sous le choc. Il est posé, intelligent, et semble comprendre le drame de ce pays oublié de tous. Son côté prof de philo poupon touche le spectateur parce qu’il explique de manière claire et précise les présupposés d’un tel voyage et ses conséquences humaines indéniables. Seulement, à l’écrit, on patauge dans la soupe locale. Le style est effroyablement journalistique (ne parlons pas des dialogues insipides) ; quant à l’intrigue, elle est totalement incohérente et peu crédible. On n’y trouve rien de plus qu’une autofiction ratée et exotique avec, de temps à autre, quelques rappels historiques sur les régions traversées. L’histoire d’amour est confondante de mièvrerie et l’on n’apprend décidément rien sur les personnages hormis le narrateur qui décrit minutieusement le moindre de ses faits et gestes sous une plume parfois à la limite du ridicule, comme à la page 147 où il échappe à des gardes birmans venus l’interpeller après qu’il a pris en photo le célèbre trafiquant : «J’ai franchi le portail sous le regard des gardes. Mes poumons brûlaient. Mon cerveau nageait dans la confusion. En panique, je me suis retrouvé sur la route. Ça y est, la crise d’asthme commençait. Il fallait que je me calme. Que je pense à autre chose. Pas à l’enfance. Surtout pas à mon enfance…»

Voici notre vision des choses : les écrivains d’aujourd’hui, du moins ceux qui parcourent les plateaux télé, sont devenus de bons communicants. Tout simplement. Ils savent mettre l’eau à la bouche et non la plume à l’écrit. Ce qui pose véritablement problème dans la littérature actuelle. La liste est longue mais ne nous privons pas de citer quelques illustres exemples : le chef de file Beigbeder, Nicolas Ray, Yannick Haenel, Florian Zeller, etc. Bref, ces enfants gâtés de la littérature, ces hommes cultivés et brillants qui étalent leur savoir devant les caméras pour mieux se persuader qu’ils ont quelque chose à dire, n’ont rien à écrire ! Et leurs romans, identiques, souffrent de cette posture et pataugent dans le vide. Tous ces couronnés des jurys littéraires devraient s’arrêter un instant sur leurs prédécesseurs auréolés jadis des mêmes prix et s’interroger. En ce qui concerne Ono-dit-Biot qui vient de recevoir le très sérieux prix Interallié, remontons un peu dans le temps pour voir qui le précède : 1930 Malraux, 1938 Nizan, 1945 Vailland, 1966 Haedens, 1977 Rouart. Arrêtons-nous là pour la littérature. Car depuis, mise à part BHL et Houellebecq, le prix a couronné les tristes Labro, Rufin, Poivre D’Arvor, Saint Bris, Beigbeder, Zeller, et en 2007 donc, le roman que nous commentons. Bref, les imposteurs de la littérature contemporaine ont pris le pouvoir éditorial depuis quelques années, et l’on est en droit de s’inquiéter puisque tout prix a pour but de faire connaître au grand public la teneur de la littérature française de son temps. La question reste donc ouverte (elle l’est même à l’université où les étudiants perdus demandent à leurs professeurs quelle est la littérature contemporaine à lire, un peu désarmés par le manque cruel de jeunes écrivains importants).

Oscar le narrateur évolue dans un monde terrible où la violence et la corruption gouvernent un peuple, où des gens (tel Philippe dans le roman) sont exécutés, et il ne cesse de se comporter comme un enfant gâté qui se confond en états d’âme. Pas une ligne de tristesse sur la mort du dit Philippe. Par contre, le départ impromptu de Julie, l’humanitaire lubrique et mystique, est vécu comme une énorme souffrance (sur ce point il faudrait compter les expressions stéréotypées utilisées à son endroit). Cela ne serait pas préjudiciable si l’auteur n’employait pas la première personne du singulier et décrivait un personnage idiot et inintéressant, s’il avait un regard critique ou distant sur son comportement infantile et narcissique. Mais ici, on est contraint d’identifier l’auteur et le narrateur, tous deux imbriqués dans le reportage et la découverte de la Birmanie. D’ailleurs, le titre Birmane (alors que l’histoire d’amour est vécue avec une française) sous-entend de façon extrêmement pompeuse la personnification féminine du pays alors qu’il n’est jamais question de s’intéresser véritablement à cette population.

Le roman soit disant initiatique et politique d’Ono-dit-Biot n’est qu’un vague guide touristique autofictionnel qui, sans jeu de mot aucun, sent le «roman light», c’est-à-dire qu’à l’instar de ses collègues il place l’ego de l’écrivain au centre de l’affaire, prenant comme prétexte un contexte géopolitique accrocheur et actuel. La pauvreté formelle et narrative de l’ensemble n’est due qu’aux banalités des situations et de ses analyses psychologiques, en fait quasi inexistantes durant tout le roman (on n’apprend décidément rien de bien profond sur Julie mise à part là où ça l’est…). Au final, on a la curieuse impression de lire tout sauf un roman. Pas même un article de presse mais une espèce de condensé biographique, une sorte de journal de bord destiné à un cercle privé. Un texte qu’on lit entre copains de lycée... Car l’intrigue nous plonge après la découverte de Khun Sa, ex-malfrat pas assez vendeur pour le journal, à la recherche de Wei Wei, une rebelle pacifique qui se planque dans la forêt. Et voilà notre reporter aux cheveux longs en train de se perdre dans la jungle birmane à la recherche de ce nouveau scoop et de Julie, elle aussi disparue du jour au lendemain.

En lisant ce roman, la Birmanie passe pour un vaste «bordel» organisé où prostituées et transsexuels affluent à chaque kilomètre ! Le style est affreux et lasse au bout de trente pages ; le lecteur courageux connaîtra le sommet en la matière à la fin du roman, alors que notre aventurier sensible découvre les broussailles birmanes : «J’ai poursuivi le chemin, le cœur en bandoulière et les narines dilatées. La végétation sentait le sperme, chantait la fécondité sans entrave. Des fleurs dans les arbres, l’écorce sous les paumes, c’était putain de bon. Et puis soudain une source. Dans un paysage à la Mowgli. J’étais dans mon enfance !»

Comme quoi, on peut être agrégé de lettres modernes et écrire comme un... ! Mais la question n’est pas là. Concernant le prix Interallié, et lorsqu’on relit La Conspiration de Paul Nizan, roman incroyable sur la jeunesse de l’entre-deux-guerres, on se demande comment on a pu passer en 70 ans du couronnement d’un tel chef d’œuvre à celui de ce type de texte confondant et sans le moindre souffle littéraire...


Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 05/09/2008 )
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