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Un médecin dans la tourmente | | | Jean-Christophe Rufin Un léopard sur le garrot - Chroniques d'un médecin nomade Gallimard - Folio 2009 / 6,50 € - 42.58 ffr. / 317 pages ISBN : 978-2-07-035991-2 FORMAT : 11,0cm x 18,0cm
Première publication en janvier 2008 (Gallimard - Blanche). Imprimer
Rufin est un personnage à part dans le monde de la littérature contemporaine. Tout le monde connaît son itinéraire atypique. Médecin hospitalier, puis urgentiste humanitaire, enfin écrivain, aujourdhui diplomate fraîchement nommé au Sénégal, il na cessé dépouser les grandes causes humaines. Cet homme caméléon, nayant quun souci en tête, sabreuver dexpériences enrichissantes et fortes, a vécu ainsi plusieurs vies. La preuve et il laffirme dans ses mémoires, se lassant très vite dune activité, il court à la recherche dune autre, ceci expliquant son incroyable parcours personnel. Une certaine forme de naïveté et dopportunisme compose donc ce personnage surdoué.
Dans cette autobiographie partielle, axée essentiellement sur ses expériences professionnelles (Médecine, humanitaire, littérature, politique.), il revient sur son parcours de jeune étudiant en médecine, dinterne à la Salpêtrière, de spécialiste en neurologie, de médecin humanitaire - au travers de deux associations capitales dans lesquelles il sest engagé : «Médecins sans frontières» et «Action contre la faim» -, enfin décrivain et dambassadeur.
Mais ce livre est aussi pour lui un moyen radical daffiner sa pensée sur les évolutions de la médecine, de lingérence humanitaire et de la politique internationale. Tout part de son grand-père, médecin de campagne, qui le recueille très jeune. Le jeune Rufin tombe littéralement amoureux de cette pratique dabord mystérieuse puis passe les différents paliers universitaires afin daccéder concrètement à son rêve de petit garçon. Tout part de ce fameux grand-père car il lui aura insufflé sans le vouloir le caractère proprement humaniste de la discipline, aujourdhui quelque peu délaissé pour larmature ultra technique. Rufin souffrira durant toute sa carrière de voir les médecins déconsidérés par lintelligentsia française et le progrès technique narrangera pas les choses, les médecins délaissant souvent le seul Savoir au profit des dernières trouvailles scientifiques. Se faisant, il décide de dépasser ces contradictions archaïques en défendant sa discipline sur toutes les terres du monde, puis de construire une uvre littéraire. On ne mesure peut-être pas assez la puissance dune telle aventure personnelle. Allier médecine et littérature ; sans doute les deux plus intéressantes activités qui soient données à un être humain de pratiquer
Sauver doublement des vies
Consacrer sa vie à lautre.
Sennuyant très vite dans son quotidien effréné, et désespéré de rencontrer des patients promis à une mort immuable lorsquils mettaient le pied dans son bureau (La neurologie étant une discipline qui apportait peu de traitements au début des années 70), Rufin décide assez vite dexploiter à sa façon le filon de la médecine, trouvant un souffle nouveau au début des années 80. Il devient un temps médecin humanitaire, participant aux premières campagnes de «Médecins sans Frontières» puis d«Action contre la faim», écrit des essais sur la question, voyage énormément, devient conseiller au cabinet des droits de lhomme sous la première cohabitation, repart à Recife afin dassurer un poste de conseiller culturel, reprend du service à lhôpital, préside ACF, etc. Puis, las de ses allers et retours, il décide de se nourrir de ses expériences (non pas médicales curieusement) afin de satteler au genre romanesque avec le succès que lon sait.
Ses mémoires, s'ils se mêlent fatalement au caractère de lhomme, plaisent pour deux raisons : la première plonge le lecteur profane dans le monde de la médecine, un monde estudiantin tout dabord où Rufin écrit une chose assez rare pour la noter ici : «Les mieux armés pour franchir ces obstacles sont ceux dont les convictions médicales sont les moins assurées. (
) Au contraire, les convaincus, les passionnés, ceux qui ont déjà passé deux ou trois étés à brancarder des malades, ou à laver le sol dans des cliniques, ceux qui ont tout lu sur leur futur métier, qui tremblent déchouer et ne voudraient à aucun prix se résoudre à embrasser une autre carrière que la médecine, ceux-là seront fébriles, paralysés par le trac». Puis un monde professionnel où encore une fois, lauteur nest pas tendre avec la corporation, notamment celle des élites. La sincérité du médecin respecté et de lécrivain reconnu par ses pairs touche car son sens critique détonne peut-être avec son côté un peu consensuel
La seconde raison est purement littéraire. Car le rôle et le talent dun écrivain consistent à rendre saisissant, frappant, lexemple anecdotique, le rangeant ainsi du côté des théories universelles, des fables atemporelles et de la réalité implacable. Et Rufin, dune écriture élégante et simple à la fois, construit son texte de cette manière. Sil passe scandaleusement (mais cest voulu, par pudeur, par secret médical aussi) sur ses expériences extrêmes de la famine, ou encore des camps de réfugiés, quil traverse de plein fouet, il sappuie sur de grandes notions dhumanisme, au moyen dexemples parfois légers mais la plupart du temps pertinents. Sur la mort qui la accompagné de manière étrangement proche durant ces vingt années de pratique et de voyages, il ne disserte pas longtemps ; il décrit avec distance et force sa première séance dautopsie : «Je ne métonnais plus, en regardant cette apparition humaine, de percevoir un contraste entre le moelleux des chairs et le bruit de bûche que rendait leur manipulation sur la table dautopsie». Tout est dans cette phrase : laspect banal et même ridicule de la mort et puis son mystère, voire son horreur complète, qui saisit létudiant.
Mais ce que Rufin passe sous silence, ce sont ses contradictions : Il défend coûte que coûte la médecine de son grand-père mais la fuit très vite, dabord en intégrant MSF puis en abandonnant complètement la pratique. Se plaignant du caractère redondant de la médecine hospitalière, il fera le nécessaire pour soccuper différemment. Ensuite, se voulant apolitique, et refusant toutes étiquettes, il ne dit rien sur les deux gouvernements de droite auxquels il a collaboré, même sil ne faisait partie que dun cabinet ministériel, sans oublier quil a été nommé ambassadeur par Kouchner (ministre de droite...) à Dakar en 2007. Une idée saute aux yeux. En fait le parcours de Rufin est un exemple concret de ce que veut appliquer notre gouvernement sur le marché du travail : la flexibilité. Sauf, que chez Rufin, elle ne sexerce que dans la sphère des élites !
Trêve dhumour noir, il faut lire ce passionnant document car Rufin a su puiser puis digérer de fort belle manière trente ans dexpériences uniques qui forgèrent la personnalité dun homme, puis dun écrivain. Même si lauteur ne juge pas utile de dater quelques périodes charnières, il trouve une simplicité de ton qui fait contraste avec la complexité de ses diverses activités.
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 01/06/2009 ) Imprimer
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