L'actualité du livre Vendredi 29 mars 2024
  
 
     
Le Livre
Poches  ->  
Littérature
Essais & documents
Histoire
Policier & suspense
Science-fiction

Notre équipe
Littérature
Essais & documents
Philosophie
Histoire & Sciences sociales
Beaux arts / Beaux livres
Bande dessinée
Jeunesse
Art de vivre
Sciences, écologie & Médecine
Rayon gay & lesbien
Pour vous abonner au Bulletin de Parutions.com inscrivez votre E-mail
Rechercher un auteur
A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z
Poches  ->  Littérature  
 

Un médecin dans la tourmente
Jean-Christophe Rufin   Un léopard sur le garrot - Chroniques d'un médecin nomade
Gallimard - Folio 2009 /  6,50 € - 42.58 ffr. / 317 pages
ISBN : 978-2-07-035991-2
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en janvier 2008 (Gallimard - Blanche).
Imprimer

Rufin est un personnage à part dans le monde de la littérature contemporaine. Tout le monde connaît son itinéraire atypique. Médecin hospitalier, puis urgentiste humanitaire, enfin écrivain, aujourd’hui diplomate fraîchement nommé au Sénégal, il n’a cessé d’épouser les grandes causes humaines. Cet homme caméléon, n’ayant qu’un souci en tête, s’abreuver d’expériences enrichissantes et fortes, a vécu ainsi plusieurs vies. La preuve et il l’affirme dans ses mémoires, se lassant très vite d’une activité, il court à la recherche d’une autre, ceci expliquant son incroyable parcours personnel. Une certaine forme de naïveté et d’opportunisme compose donc ce personnage surdoué.

Dans cette autobiographie partielle, axée essentiellement sur ses expériences professionnelles (Médecine, humanitaire, littérature, politique.), il revient sur son parcours de jeune étudiant en médecine, d’interne à la Salpêtrière, de spécialiste en neurologie, de médecin humanitaire - au travers de deux associations capitales dans lesquelles il s’est engagé : «Médecins sans frontières» et «Action contre la faim» -, enfin d’écrivain et d’ambassadeur.

Mais ce livre est aussi pour lui un moyen radical d’affiner sa pensée sur les évolutions de la médecine, de l’ingérence humanitaire et de la politique internationale. Tout part de son grand-père, médecin de campagne, qui le recueille très jeune. Le jeune Rufin tombe littéralement amoureux de cette pratique d’abord mystérieuse puis passe les différents paliers universitaires afin d’accéder concrètement à son rêve de petit garçon. Tout part de ce fameux grand-père car il lui aura insufflé sans le vouloir le caractère proprement humaniste de la discipline, aujourd’hui quelque peu délaissé pour l’armature ultra technique. Rufin souffrira durant toute sa carrière de voir les médecins déconsidérés par l’intelligentsia française et le progrès technique n’arrangera pas les choses, les médecins délaissant souvent le seul Savoir au profit des dernières trouvailles scientifiques. Se faisant, il décide de dépasser ces contradictions archaïques en défendant sa discipline sur toutes les terres du monde, puis de construire une œuvre littéraire. On ne mesure peut-être pas assez la puissance d’une telle aventure personnelle. Allier médecine et littérature ; sans doute les deux plus intéressantes activités qui soient données à un être humain de pratiquer… Sauver doublement des vies… Consacrer sa vie à l’autre.

S’ennuyant très vite dans son quotidien effréné, et désespéré de rencontrer des patients promis à une mort immuable lorsqu’ils mettaient le pied dans son bureau (La neurologie étant une discipline qui apportait peu de traitements au début des années 70), Rufin décide assez vite d’exploiter à sa façon le filon de la médecine, trouvant un souffle nouveau au début des années 80. Il devient un temps médecin humanitaire, participant aux premières campagnes de «Médecins sans Frontières» puis d’«Action contre la faim», écrit des essais sur la question, voyage énormément, devient conseiller au cabinet des droits de l’homme sous la première cohabitation, repart à Recife afin d’assurer un poste de conseiller culturel, reprend du service à l’hôpital, préside ACF, etc. Puis, las de ses allers et retours, il décide de se nourrir de ses expériences (non pas médicales curieusement) afin de s’atteler au genre romanesque avec le succès que l’on sait.

Ses mémoires, s'ils se mêlent fatalement au caractère de l’homme, plaisent pour deux raisons : la première plonge le lecteur profane dans le monde de la médecine, un monde estudiantin tout d’abord où Rufin écrit une chose assez rare pour la noter ici : «Les mieux armés pour franchir ces obstacles sont ceux dont les convictions médicales sont les moins assurées. (…) Au contraire, les convaincus, les passionnés, ceux qui ont déjà passé deux ou trois étés à brancarder des malades, ou à laver le sol dans des cliniques, ceux qui ont tout lu sur leur futur métier, qui tremblent d’échouer et ne voudraient à aucun prix se résoudre à embrasser une autre carrière que la médecine, ceux-là seront fébriles, paralysés par le trac». Puis un monde professionnel où encore une fois, l’auteur n’est pas tendre avec la corporation, notamment celle des élites. La sincérité du médecin respecté et de l’écrivain reconnu par ses pairs touche car son sens critique détonne peut-être avec son côté un peu consensuel…

La seconde raison est purement littéraire. Car le rôle et le talent d’un écrivain consistent à rendre saisissant, frappant, l’exemple anecdotique, le rangeant ainsi du côté des théories universelles, des fables atemporelles et de la réalité implacable. Et Rufin, d’une écriture élégante et simple à la fois, construit son texte de cette manière. S’il passe scandaleusement (mais c’est voulu, par pudeur, par secret médical aussi) sur ses expériences extrêmes de la famine, ou encore des camps de réfugiés, qu’il traverse de plein fouet, il s’appuie sur de grandes notions d’humanisme, au moyen d’exemples parfois légers mais la plupart du temps pertinents. Sur la mort qui l’a accompagné de manière étrangement proche durant ces vingt années de pratique et de voyages, il ne disserte pas longtemps ; il décrit avec distance et force sa première séance d’autopsie : «Je ne m’étonnais plus, en regardant cette apparition humaine, de percevoir un contraste entre le moelleux des chairs et le bruit de bûche que rendait leur manipulation sur la table d’autopsie». Tout est dans cette phrase : l’aspect banal et même ridicule de la mort et puis son mystère, voire son horreur complète, qui saisit l’étudiant.

Mais ce que Rufin passe sous silence, ce sont ses contradictions : Il défend coûte que coûte la médecine de son grand-père mais la fuit très vite, d’abord en intégrant MSF puis en abandonnant complètement la pratique. Se plaignant du caractère redondant de la médecine hospitalière, il fera le nécessaire pour s’occuper différemment. Ensuite, se voulant apolitique, et refusant toutes étiquettes, il ne dit rien sur les deux gouvernements de droite auxquels il a collaboré, même s’il ne faisait partie que d’un cabinet ministériel, sans oublier qu’il a été nommé ambassadeur par Kouchner (ministre de droite...) à Dakar en 2007. Une idée saute aux yeux. En fait le parcours de Rufin est un exemple concret de ce que veut appliquer notre gouvernement sur le marché du travail : la flexibilité. Sauf, que chez Rufin, elle ne s’exerce que dans la sphère des élites !

Trêve d’humour noir, il faut lire ce passionnant document car Rufin a su puiser puis digérer de fort belle manière trente ans d’expériences uniques qui forgèrent la personnalité d’un homme, puis d’un écrivain. Même si l’auteur ne juge pas utile de dater quelques périodes charnières, il trouve une simplicité de ton qui fait contraste avec la complexité de ses diverses activités.


Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 01/06/2009 )
Imprimer

A lire également sur parutions.com:
  • La Salamandre
       de Jean-Christophe Rufin
  • Globalia
       de Jean-Christophe Rufin
  • Rouge Brésil
       de Jean-Christophe Rufin
  •  
    SOMMAIRE  /  ARCHIVES  /  PLAN DU SITE  /  NOUS ÉCRIRE  

     
      Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024
    Site réalisé en 2001 par Afiny
     
    livre dvd