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Le petit train de la vie
Anton Tchékhov   Récit d'un inconnu - Et autres nouvelles
Gallimard - Folio 2008 /  6.80 € - 44.54 ffr. / 296 pages
ISBN : 978-2-07-034557-1
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Traduction de Edouard Parayre et Lily Denis.

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Anton Tchékhov n’est pas seulement l’auteur de pièces de théâtre immensément célèbres comme La Mouette, Les Trois sœurs, La Cerisaie et tant d’autres, il a écrit aussi une bonne centaine de nouvelles, ce que l’on sait moins. La collection Folio chez Gallimard a déjà publié deux autres recueils, Le Duel et autres nouvelles et La Dame au petit chien et autres nouvelles. Ici, la nouvelle éponyme a inspiré le film de Nikita Mikhalkov, Les Yeux noirs (1987) avec Marcello Mastroianni.

Les nouvelles de ce troisième recueil ont été écrites entre 1891 et 1898. Anton Tchékhov réussit le tour de force de créer un univers propre à lui, avec des gens ordinaires qui s’enlisent dans l’ennui, la banalité et la monotonie des jours. Raymond Carver, le romancier américain, pourrait se situer dan son sillage. Dans «La Peur», l’un des personnages, Siline, dit : «Je suis, de nature, superficiel et m’intéresse peu à des problèmes comme ceux de l’au-delà, le sort de l’humanité, et au total je m’envole rarement vers les hauteurs célestes. Ce qui m’effraie surtout, c’est le train-train de la vie quotidienne, auquel nul d’entre vous ne peut se soustraire. Je suis incapable de discerner ce qui, dans mes actions, est vérité et ce qui est mensonge, et elles me causent du tourment ; j’ai conscience que les conditions de l’existence et mon éducation m’ont enfermé dans un cercle étroit de mensonge, que toute ma vie n’est rien d’autre qu’une préoccupation quotidienne de me tromper moi-même et de tromper les autres sans m’en apercevoir, et je suis effrayé à la pensée que je ne me délivrerai pas de ce mensonge jusqu’à ma mort» (p.150).

On pourrait trouver ses propos trop sombres et pathétiques mais le style d’Anton Tchékhov n’a rien d’ampoulé. Il est même "serein" en regard d’un tel constat sur l’usure de la vie. Les personnages chez Tchékhov ont ce côté désabusé, ils sont peu sûrs d’eux-mêmes et ils se livrent avec une sorte de mélancolie douce, sans trop d’affectation. Comme dans les pièces de l’auteur, tout semble joué ou perdu d’avance. Certains protagonistes sont amoureux de ceux ou de celles qu’il ne faut pas. Le style du dramaturge russe est éminemment délicat, à l’écoute des sentiments humains les plus infimes. Économie des mots, sobriété et simplicité des situations, concision des répliques sont mieux à même d’évoquer la vie telle qu’elle est, dans ses plus imperceptibles bruissements et dans ses événements en apparence les plus anodins. Une façon d’être le témoin impartial, sensible et attentif de la condition humaine. C’est sublime et émouvant.

La première nouvelle, la plus longue aussi, est «Récit d'un inconnu» qui raconte des péripéties, des voyages, des coups de théâtre. Un socialiste s'introduit comme domestique chez le fils d'un grand personnage, afin de surprendre les secrets du père, voire saisir une occasion de l'assassiner. Mais une femme survient... Le pseudo-valet et la femme fuient ensemble mais tout capote quand la femme meurt. Dans «La Peur», qui se déroule à la campagne, un homme sort avec la femme de son ami. Il se produit alors un incident éminemment tchékhovien par sa dérision. Le mari a oublié sa casquette. Il revient, les surprend, mais s'en va, persuadé comme toujours qu'il ne comprend rien à la vie, et avec, comme toujours aussi, l'air d'avoir peur. Dans «L'Etudiant», un étudiant en théologie, Ivan Velikopolski, raconte à deux femmes simples la nuit où Pierre a renié Jésus trois fois. Dans «Le Professeur de lettres», un homme se marie avec une femme puis le mari étouffe dans la vie conjugale. La banalité le rend presque fou.

La nouvelle la plus touchante est sans doute «En tombereau». Elle raconte l'histoire d'une institutrice, Maria Vassilièvna, qui a raté sa vie. Elle est devenue institutrice par nécessité, sans aucune vocation. Elle songe bien à se marier avec un homme mais le coeur n'y est pas. Dans un train, elle croit, un jour, reconnaître sa mère qui est pourtant morte. En un instant, elle revoit tout son passé perdu, sa mère, son père, son frère, leur appar­tement de Moscou, les poissons de l'aquarium, tout, jusqu'au moindre détail, comme les accords du piano, la voix de son père. Elle se sent jeune, belle, élégante, dans une chambre claire, au milieu du cercle familial. La joie l'envahit et elle appelle "Maman". Mais le présent la rattrape ! La nouvelle est courte mais bouleversante.

Dans «Les Groseilliers», un homme, Ivan Ivanytch, raconte l'histoire de son frère qui avait la lubie de posséder une demeure avec des groseilliers. Il économise, se marie avec une vieille femme fortunée et il parvient, au terme de sa vie, à exaucer son rêve : il achète cette demeure. Il est devenu un homme stupide, ignorant l'existence des malheureux, ne sachant que répéter, à chaque groseille qu'il introduit dans sa bouche : «Que c'est bon !»

Enfin, «Ionytch» raconte l'histoire mélancolique d'un jeune médecin idéaliste. Il s'éprend d'une jeune femme, Ekatérina, pianiste brillante, mais celle-ci se moque de lui. Le médecin s'en va et s'installe dans une autre ville quand quelques années plus tard, Ekatérina revient voir Ionytch qui la repousse avec dédain. L'amour est mort. Chacun est passé à côté du bonheur. Plus tard encore, Ionytch devient un vieil homme, spéculateur bedonnant...

Un recueil magnifique dont la perle, «En tombereau», mérite amplement le détour.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 02/07/2008 )
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