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Le vent du Nord glace et enchante
Morten Ramsland   Tête de chien
Gallimard - Folio 2010 /  7,70 € - 50.44 ffr. / 465 pages
ISBN : 978-2-07-041778-0
FORMAT : 11cmx18cm

Première publication française en septembre 2008 (Gallimard - Du Monde Entier)

Traduction d'Alain Gnaedig.

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Asger Eriksson revient dans le Danemark de son enfance, poussé par la curiosité ou bien par le sens du devoir, et entreprend d’y reconstituer l’histoire tortueuse de sa famille. A travers lui, Morten Ramsland s’essaie à la saga familiale sur fond de «grande Histoire». Asger se fait le conteur de la geste de cinq générations ; et si le lecteur peut s’égarer dans la généalogie, il découvre progressivement les secrets de chacun des personnages de cette fresque imposante. «Il m’a fallu moins d’une journée pour rentrer au Danemark, mais les histoires, elles, prennent plus de temps à revenir».

La chronique est riche de figures hautes en couleurs mais reste dominée par le couple que forment les grands-parents paternels du narrateur. Askild, le grand-père, a été durablement traumatisé par sa rencontre avec des «chiens de sang» dans l’Allemagne nazie. Il est devenu ingénieur naval sans abandonner ses ambitions artistiques, et privilégie ses tentatives cubistes aux très rationnels dessins réclamés par son métier. Il hante alors les bars clandestins, son perroquet sur l’épaule. Surtout, son incapacité à se fixer oblige sa famille à la suivre dans ses pérégrinations à travers la Scandinavie. Bjørk, la grand-mère, paraît plus effacée, et résignée aux frasques de son mari, mais alimente son émotivité d’une passion pour les romans sentimentaux mettant en scène des médecins et, plus tard, de l’inhalation de l’air pur spécialement envoyé de sa Norvège natale. Les déplacements familiaux sont marqués par deux leitmotiv : la promesse qu’«on sera comme des coqs en pâte» et le désenchantement, quand «ça se gâte».

Morten Ramsland compose le panorama en suivant les lois de la géomorphologie, voire de la tectonique. Les souvenirs se sont déposés en strates successives, se sont sédimentés, certains pans en ont progressivement glissé, d’autres ont subi de plus violents séismes. Ainsi se rapprochent des événements éloignés dans le temps, tantôt mis brutalement au grand jour, tantôt révélés par une lente érosion. Les aveux sont parfois difficiles ; néanmoins, l’image des ancêtres et le jugement des contemporains dussent-ils en souffrir, Asger n’hésite pas à soulever tous les épisodes, plus ou moins glorieux ou tragiques.

A mesure qu’il complète l’arbre généalogique, percent tour à tour le burlesque ou le grotesque, l’étrange voire le surnaturel. Derrière une apparente uniformité de ton, aussi bien les décors que les personnalités qui y évoluent et les scènes qui s’y jouent se révèlent hétéroclites, prenant des aspects baroques ou fantasmagoriques. Une forêt hostile devient le théâtre d’«une crise de la puberté camouflée comme un trip sous champignons hallucinogènes» ; un arrière petit-fils dessine des monstres sous l’évier en entendant l’esprit du patriarche, des photos prennent vie par l’âme d’une mère disparue.

Toutefois, les tensions familiales restent étouffantes dans ce qui ressemble à un huis-clos sans unité de temps ni de lieu. Car si «de toute évidence, dans cette famille, on a la manie de ficher le camp» et même qu’à tous les sens du terme «il y [a] des fuites dans notre histoire», il y a peu d’échappatoires au poids de la lignée. Quand un personnage quitte le foyer et le pays, il sort du champ de la narration et devient un spectre jusqu’à son éventuel retour. Ces départs ont des raisons diverses, mais se réduisent tous à une fuite face à la dureté des relations entre les membres du clan. La légende et l’histoire s’agrègent dans ces tensions : «[Les tantes] échangèrent idées et conseils pour veiller à ce que la petite fille reçoive bien sa part de l’héritage mythologique familial : ondins et abîmes noirs, tout ce qui s’impose pour mettre au pas un enfant récalcitrant». La descendance est mise en garde : «Se laisser envoûter par les esprits des arbres signifiait s’abandonner au côté obscur ou caché de son être» ; en revanche, l’ascendance est mythifiée : «[La grand-mère pratiquait] un travail assez routinier, mais avec son sens de la magie et du merveilleux, elle n’eut guère de peine à le parer d’une aura qui n’avait pas grand-chose à envier à celle des étés perdus de son enfance dans le Nordland».

Askild, le chef de famille excentrique et contesté, tente de conjurer ces tensions par sa vocation artistique. Ses tableaux représentent «toujours des hommes qui partaient en morceaux, des hommes qui perdaient l’équilibre, qui se mêlaient à des bâtiments et à des bateaux dans un enfer de cassures, de clivages et d’angles vifs». Son petit-fils en a hérité un penchant pour la peinture, mais reste voué à la même malédiction familiale : «Ce noir, cette obscurité, ces ténèbres ne m’ont pas lâché depuis que j’ai quitté Amsterdam».

C’est finalement pour cela qu’il entreprend de raconter cette histoire, pour la remonter et essayer de la comprendre. Son récit en est captivant, rendu agréable par la variété et l’inventivité des épisodes, dans ce proche exotique que constituent la Scandinavie et ses elfes ; mais aussi assez complexe et troublant pour que ce roman ne manque pas de déranger.


Marc Lucas
( Mis en ligne le 24/05/2010 )
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