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L’art de la fugue
Benoît Duteurtre   Les Pieds dans l'eau
Gallimard - Folio 2010 /  6.10 € - 39.96 ffr. / 251 pages
ISBN : 978-2-07-041648-6
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en août 2008 (Gallimard - NRF)

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Journaliste, producteur de radio et écrivain, Benoît Duteurtre est né à Sainte-Adresse en 1960. Il est l'auteur de Le Voyage en France, Service clientèle, La Rebelle, La Petite fille et la cigarette et La Cité heureuse. Avec Les Pieds dans l'eau, il livre un étrange roman familial. S’il est facile de nos jours de tomber dans une sorte d'autofiction avec un sujet comme celui-ci, ce ne sera pas le cas ici. Il n'y aura pas de dévoilement de vie intime. Si Benoît Duteurtre évoque ses origines familiales (il est entre autres l’arrière petit-fils du président de la République René Coty), son enfance dans le nord, la plage d'Etretat, etc., le portrait qu'il dresse dénote toujours un recul, sans doute plus nostalgique que d'habitude.

Nous sommes ici plutôt dans une sorte d'autoportrait mêlé à une chronique sociale et familiale toujours dessinée avec un grand esprit critique, sans fioritures. L'autoportrait n'est pas flatteur pour autant. Benoît Duteurtre se dit volontiers rempli de contradictions, à l'écoute des autres et égoïste, snob et conscient de la dérision de son snobisme. "Serais-je ce naïf passant chaque été à la recherche d'un mirage ? Ce pauvre type cultivant l'idée d'un déclin pour se persuader qu'il possède un passé ? Faut-il me rattacher, un demi siècle après, à une heure de gloire que je n'ai pas connue, qui n'avait rien de sublime mais qui occupait, dans la presse des années cinquante, la rubrique dérisoire qu'on appelait pas encore people ? Pourquoi citer si souvent cet arrière grand-père, célèbre par son rang plus que par son oeuvre, comme si je me croyais plus important dans son ombre protocolaire ?". Voilà la question qui taraude le narrateur, cette fracture le faisant aimer une époque révolue et repousser la sienne dont il n'a rien à attendre réellement.

D'une écriture simple, précise et délicate, Les Pieds dans l'eau retrace donc en plusieurs chapitres l'univers familial de Benoît Duteurtre, l'arrière grand-père Coty avec ses filles et ses petites filles, les cousines. Au-delà, l'auteur de La Cité heureuse parle aussi bien du plaisir de nager dans l'eau fraîche du nord que de "l'art" de lancer les galets, galets qu'un jour l'administration a décidé bêtement de supprimer, accélérant ainsi l’érosion de la côte.

Le Nord est si bien défendu par Benoît Duteurtre ! Ce nord si mal vu et mal aimé à cause de son mauvais temps et de son eau trop froide. L'auteur nous fait revisiter les lieux avec délices, principalement Etretat et sa plage de galets, son charme discret inimitable, retenu par les artistes célèbres qui sont passés par là : Maupassant bien sûr (une citation ouvre le livre), mais aussi Claude Monet, Eugène Boudin, Marcel Proust, Jacques Offenbach, Maurice Leblanc... Là encore, Benoît Duteurtre trouve à redire à l’absurde modernité qui gagne sa ville d’élection.

Au fur et à mesure de la lecture, la plume se fait en effet plus critique, analysant l'époque qu'il aime en regard de la nôtre. Nous assistons d’ailleurs à un renversement singulier de sa part, de son éducation chrétienne sociale de gauche à une critique féroce du progressisme. En plus d'avoir les pieds dans l'eau, l'auteur a aussi le "cul" entre deux sièges ; témoin de ce qu'on a appelé abusivement l'émancipation des moeurs après 1968, il a pris une autre direction, plus discrète, vers le nord, et vers sa Belle époque.

La nostalgie dont parle Benoît Duteurtre serait peut-être à relier au manque de style de notre époque, plus préoccupée de chiffres et de statistiques que d'esthétique, de tourisme que de voyage, plutôt affairée et utilitariste que spirituelle. On saisit fort bien que la vente de la demeure familiale de René Coty, La Ramée, est aussi le signe de quelque chose qui disparaît irrémédiablement. Une sorte de «cathédrale engloutie» pour reprendre le titre d'une pièce de Debussy. On aurait tort de ne voir la nostalgie que comme un sentimentalisme car elle n'est pas forcément le mirage d'un monde inexistant, elle reflète aussi par comparaison la tristesse de l'époque industrielle et utilitariste actuelle.

Sans doute l'époque que Benoît Duteurtre affectionne avait-elle du style, de l'élégance, du raffinement, de la discrétion malgré ses inévitables travers et ses hypocrisies. Mais quelle époque n'a pas eu son lot d’hypocrisies ? "En ce sens, le mensonge bourgeois marque un point admirable de la civilisation", nous dit l'auteur. Le charme discret de la bourgeoisie ? Parlant de sa tante Elisabeth et de son oncle Jean, il écrit encore : "Cinquante années de mariage plus ou moins arrangé, un demi-siècle d'habitudes ne constituaient-ils pas une performance plus intéressante qu'un divorce au premier accroc ? Cette convention qui les unissait, pour le meilleur et pour le pire, ne marquait-elle pas un moment de civilisation aussi élevé que notre exaltation de l'amour sincère, jetable à volonté, finissant sur le divan du psychanalyste ?".

De nos jours, cette bourgeoisie est ostentatoire, narcissique, inculte, seulement soucieuse de profit, de rendement. La bourgeoisie dont parle Benoît Duteurtre, elle, a su créer un esprit critique parfois virulent dans la détestation de cette même bourgeoisie. L’auteur ne se prive pas de critiquer le modernisme galopant qui, sous prétexte de progrès, déshumanise ce qu’il pouvait rester d'élégant dans ce mode de vie à l'ancienne.

À travers ce bel autoportrait familial, on sent le temps qui passe, qui érode tout, qui efface peu à peu les souvenirs et les couleurs, les êtres et les habitudes, comme un tableau qui, exposé aux intempéries du dehors, voit lentement ses traits se diluer et se dissoudre. Bach composa L'Art de la fugue au moment où la fugue disparaissait, histoire de faire briller encore sa beauté. C'est sans doute en vieillissant que Benoît Duteurtre a ressenti l'impérieuse nécessité d'offrir cette belle et étrange chronique familiale, comme une fuite en arrière, pour rattraper encore un peu cette ancien temps évanescent, tel un bateau sombrant au loin et que l'on ne peut plus retenir, impuissant...


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 30/04/2010 )
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