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Bréviaire libertin
Michel Onfray   Le Souci des plaisirs - Construction d'une érotique solaire
J'ai lu - Essai 2010 /  6 € - 39.3 ffr. / 253 pages
ISBN : 978-2-290-01629-9
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication en septembre 2008 (Flammarion)

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l'auteur de Le Cinéma de Woody Allen et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman.

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Contrairement à Slavoj Zizek dans La Subjectivité à venir ou Fragile absolu - Ou pourquoi l'héritage chrétien vaut-il d'être défendu ?, l'ouvrage de Michel Onfray, philosophe né en 1959, accable le christianisme de tous les péchés du monde. La thèse est connue et découle d'une vieille tradition. A cela, Michel Onfray ajoute l'esprit soixante-huitard dans un post-Nietzschéisme de gauche, croyant encore à une émancipation sexuelle, et s'en prenant radicalement et violemment à vingt siècles de christianisme qu'il accuse d'avoir fabriqué un corps déplorable et une sexualité catastrophique.

On s'attendait à une réflexion critique menée avec plus de pertinence et de finesse. Voilà un livre peu philosophique en définitive, penchant vers la "philosophie bobo", moralisateur en diable dans son antimoralisme absolu, tentant de faire croire que "le christianisme, c'est le mal". Nous sommes un peu étonné d'une philosophie si réductrice prônant encore les vertus d'une sexualité solaire opposée à la sexualité morbide du christianisme. Si Michel Onfray préfère Wilhelm Reich à Jacques Lacan, ce dernier n'est pas mort en prônant des théories délirantes concernant la sexualité, comme l'expérience ORANUR (Orgonotic Anti-Nuclear Radiation) où Reich tente de vérifier si l'orgone concentré (énergie cosmique vitale) peut contrer les effets mortifères des radiations atomiques ! Comme quoi, on peut clamer la libération sexuelle et finir par dire n'importe quoi. De même, il cite Nietzsche avec des aphorismes antichrétiens mais il mésestime que le célèbre philosophe fut misogyne, vantait les vertus de l'aristocratisme (et non une morale démocratique et populaire), en plus d'être mort fou dans sa haine du christianisme. De plus, citant aussi Freud, Michel Onfray oublie que le célèbre psychanalyste a toujours lié éros et thanatos et que la "répression" de la sexualité est nécessaire à l'avènement de la société. Le problème est qu'elle enclenche des névroses indépassables. Croire que les hommes vivraient en harmonie les uns avec les autres en libérant la sexualité est un mythe. Le soleil n'existe pas sans l'ombre.

De surcroît, Michel Onfray n'hésite pas à mettre dans le même panier du christianisme, le marquis de Sade (fermement opposé comme lui à cette religion) et Georges Bataille comme éros nocturne chrétien : identité de la souffrance et de la jouissance, mépris des femmes, haine de la chair, dégoût des corps, volupté dans la mort... Si notre société est imprégnée de christianisme, il n'hésite pas à y mettre certains anti-chrétiens (athées et agnostiques) par la même occasion et à accuser toute cette littérature d'être le mal incarné. On se demande pourquoi Michel Onfray n'y figure pas (ce qui disqualifierait sa thèse) d'autant que pour être si acharné à voir le christianisme comme le mal radical, comme étant la chose la plus importante à annihiler de nos jours, il y a là, dirait René Girard, un désir mimétique où le détracteur s'indexe avec obsession sur un modèle haï, furieusement jaloux de sa puissance au point de le voir partout à l'oeuvre. Il ne suffit pas de clamer une sexualité solaire pour en être sereinement dégagé.

Michel Onfray voit le mal partout, c'est le cas de le dire, dans la pédagogie (apprentissage de la douleur, refus d'une école ludique, règne disciplinaire, mépris du corps dans l'emploi du temps, etc.), dans la morale laïque (devoir d'amour du prochain à l'égal de la fraternité), la politique (monarque républicain à la place du monarque de droit divin), la justice (libre arbitre chrétien, faute et péché, responsabilité, punition, expiation), l'art (quantités de textes et de tableaux) et même la médecine. Si l'on peut bien relier tout cela au christianisme, on se demande en quoi tout est répréhensible, comme la responsabilité ou la faute. S'agit-il de n'être responsable de rien ?

On se demande d'ailleurs si le christianisme a autant de puissance, pour laisser non seulement la parole à Michel Onfray mais pour avoir laissé au cours des siècles se décomposer son propre règne par sa tolérance et son non-ressentiment, comme le remarquait Marcel Gauchet. Nous sommes toujours surpris d'une telle haine envers sa propre religion et de l'admiration béate pour les autres religions et cultures quand bien même cette autocritique vient en propre de l'Occident christianisé qui, lui seul, a permis une telle liberté de conscience, du moins poussée aussi loin, comme le remarquait Cornélius Castoriadis dans Carrefours du labyrinthe. Il sera difficile de qualifier ce dernier de penseur chrétien ! Quant aux autres religions, elles sont proprement passées à la trappe.

Révélation des révélations selon Michel Onfray, l'antidote à ce "nihilisme de la chair" se trouve dans le Kâma-sûtra ! "Sous le soleil de l'Inde, l'érotisme solaire suppose une spiritualité amoureuse de la vie, l'égalité entre les hommes et les femmes. les techniques du corps amoureux. la construction d'un corps complice avec la nature, la promotion de belles individualités, masculines et féminines, afin de construire un corps radieux pour une existence jubilatoire". Il propose donc une philosophie des Lumières sensuelles. "Elle énonce un éros solaire et léger, libertaire et féministe, contractuel et jubilatoire, qui se construit sur des valeurs nouvelles : douceur, tendresse, prévenance, délicatesse, générosité, don, partage, libéralité, prodigalité, attention, élégance, de quoi constituer une politesse des corps, une bienveillance des chairs, une volupté sensuelle des âmes matérielles, le tout dissociant le corps des entraves de la monogamie, du mariage, de la fidélité, de la cohabitation, de la génération". S'agit-il vraiment de valeurs nouvelles ? «Le corps indien respire la paix ; le corps chrétien transpire l'affliction». Amen ! Michel Onfray a beau jeu de choisir quelques tableaux chrétiens sombres et de les opposer à d'autres représentations plus sensuelles venant d'ailleurs. On pourrait s'amuser à prendre d'autres tableaux opposés à des images fort morbides des autres cultures. La démonstration pêche par sa naïveté ; on pourrait citer nombres d'auteurs chrétiens qui prenaient grand plaisir à la chair (Brantôme et ses Dames galantes). Ce qui n'empêche guère Onfray d'intituler un troublant passage «Du bon usage de la zoophilie», minimisant le fait qu'il n'y ait pas de fouet dans la culture indienne (comme si c'était propre aux chrétiens) et que tout cela est étendu à toute la nature ! Ah, le mythe de l'échange des forces vitales et des fluides !

On remarque que Michel Onfray ne parle jamais de réelle spiritualité mais seulement de corps et de chair. Or, l'amour n'est pas seulement la rencontre de deux corps mais celle de deux personnalités, faut-il le rappeler. Il est vrai que le philosophe ne parle pas d'amour du tout. Il ajoute moult délicatesses pour adoucir ce rude matérialisme. La théorie de cet érotisme solaire n'est que la transposition dans le marché néo-libéral des corps devenus simples objets matériels : contrat, refus de la monogamie, du mariage, de la fidélité, de la génération (fort proche de Sade par ailleurs), toutes choses qui lient affectivement et symboliquement les hommes ou les femmes entre eux contrairement au nomadisme du philosophe, plus proche de l'esprit New Age.

Michel Onfray, dans la droite ligne de Bourdieu et des social et cultural studies, propose un arrachement absolu de la condition humaine à un quelconque environnement stable. L'individu se compose à la carte, doit se brancher, être fluide et contactophile, prêt à toutes les identités et à toutes les postures, ce qui est néo-libéral en esprit. En gros, l'expérience existentielle de la clé USB transposée chez l'humain. Un processus sans sujet. On se demande même comment concilier la douceur ou la tendresse avec la fidélité. En quoi la fidélité serait un mal ? Peut-on dans cette érotique solaire tromper sans arrêt autrui ou l'abandonner parce qu'un autre objet nous a attiré, quand bien même cette personne ne demandait qu'un attachement pour construire une relation ? Revoir Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick serait bien utile en l'occurrence.

Toute cette érotique solaire sent la pornographie déguisée ou une jouissance visant le dessous de la ceinture. Si les civilisations se sont construites grâce à des interdits et à des religions, ce n'est pas par hasard. Une érotique solaire ne pourra pas fonder une société avec des bases solides. Si toutes les sociétés ont "redouté" la sexualité, c'est que chez l'homme, celle-ci est à la fois belle et redoutable. Elle a besoin d'être "bridée", sous peine de semer la zizanie, la guerre de tous contre tous. C'est pour l'amour d'une femme, Hélène, que la guerre de Troie eut lieu et nous n'étions pas en régime chrétien. Il est étonnant que Michel Onfray ne parle guère des grecs à cet égard.

Il peut écrire : «Le droit ne fait pas la loi quand deux êtres ou plus désirent, veulent et consentent à ce qu'ils se font ou s'infligent. Le cas récent d'une relation sadomasochiste cannibale qui a permis à un mangeur potentiel de rencontrer par Internet un mangé effectif, le tout scénarisé, théâtralisé, ritualisé, et pratiqué un jour avec le consentement des deux protagonistes, me paraît relever du normal et non du pathologique. Celui, malheureusement trop réel, du mari qui abuse de sa femme dans le lit conjugal sans son consentement procède sans conteste du pathologique». Le philosophe accepte une telle ignominie car elle rentre dans le cadre du contrat intersubjectif. Outre que Michel Onfray ne parvient même plus à distinguer le normal du pathologique (ici une perversion), on voit bien qu'il s'agit ici de rentrer dans le contrat libéral où l'égoïsme de chacun peut être légitimé à partir du moment où autrui y consent, y compris donc dans les cas les plus horribles et morbides. On se demande même ce que peut reprocher le philosophe à Sade après avoir écrit cela ? Comment critiquer alors le fascisme si le peuple passe un contrat intersubjectif avec son dirigeant pour être brimé et dominé ?

Michel Onfray veut déchristianiser les corps en se prenant pour une sorte d'exorciste anti-chrétien. On retrouve là le mimétisme inversé. On a envie de sourire face à des représentations aussi naïves, devant tant de catéchisme progressiste.

L'érotique d'Onfray est plutôt scolaire que solaire, si tant est que retirer l'ombre du soleil n'est pas déjà problématique en soi. En somme, il tente de ne garder que le plaisir de la chair, le côté soleil, pour attribuer uniquement le côté mortifère ou morbide, le côté ombre, au seul christianisme, comme si les deux choses étaient séparables. La thèse est caricaturale et grossière car elle se réduit bien à cela. Que faire de la jalousie ? De la culpabilité en général ? Du mal ? De la volonté de puissance ? Le christianisme, responsable aussi ? Car ces problèmes dépassent de loin une seule religion ou la religion. Au lieu de s'attaquer aux maux contemporains, l'auteur s'attaque au christianisme comme s'il se croyait aux XVII-XVIIIe siècles alors que dans nos foyers ne se diffusent pas des cantiques à l'heure du repas mais des publicités vantant l'hédonisme et le plaisir. Michel Onfray semble oublier que la transgression est devenue l'apanage du néo-libéralisme en plus de faire croire que la sexualité serait forcément un bien alors qu'elle est aussi parfois un "fardeau" pour certains. On le voit aujourd'hui dans une ère si peu religieuse avec l'addiction à la pornographie qui ne cesse de faire des ravages.

Michel Onfray a beau critiquer cette consommation post-68, aboutissement légitime et logique pourtant de cette «révolution culturelle» et de ce qui l'a précédée, son éros solaire ne peut mener qu'à cela. C'est-à-dire à une mort lente et programmée de la sexualité qui, exhibée, est devenue comme la charcuterie extra-maigre ou le café décaféiné. En prônant une érotique solaire, bien plus proche dans sa déconstruction post-moderne du marquis de Sade qui, lui, a été jusqu'au bout d'une telle logique mortifère avec cette dérégulation érotique, Michel Onfray ne fait advenir qu'un érotisme sans éros, un soleil sans ombre. Un nihilisme déguisé en théologie libératrice New Age.


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 18/03/2010 )
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