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Quelques bonnes questions sur le vide du débat intellectuel en France | | | Jean Sévillia Le Terrorisme intellectuel Perrin - Tempus 2004 / 8.50 € - 55.68 ffr. / 302 pages ISBN : 2-262-02149-X FORMAT : 11x18 cm
Ouvrage paru une première fois en 2000 (Perrin).
Lauteur du compte rendu : Agrégé dhistoire et titulaire dun DESS détudes stratégiques, Antoine Picardat a été chargé de cours à lInstitut catholique de Paris et analyste de politique internationale au Ministère de la Défense. Il est actuellement ATER à lIEP de Lille. Imprimer
Quiconque a lu Historiquement correct de Jean Sévillia ressent une certaine appréhension en ouvrant Le Terrorisme intellectuel. Va-t-on assister au même exercice, vite ennuyeux, de franchissement en force de portes ouvertes, de proclamation, sur le ton de la vérité révélée, de faits exposés depuis parfois fort longtemps par les historiens ? Non.
Le style est pourtant le même. Le titre est toujours sans nuance et annonce lambition de lauteur de se muer en redresseur de torts. Le ton est hargneux. Il y a de la revanche dans lair ! La succession et le contenu des chapitres évoquent irrésistiblement un catalogue. Le catalogue de tout ce qui a déplu à Jean Sévillia dans le débat public français depuis la Libération. Doit mieux faire sur la forme.
Quen est-il du fond ? Jean Sévillia ne fait pas mystère de ses convictions. Au fil des pages, il apparaît nostalgique de lempire colonial, fervent catholique qui considère la déchristianisation comme une tragédie, inquiet du risque de dilution quil voit menacer la France, il regrette laffaiblissement de valeurs telle la famille, il dénonce la domination intellectuelle de la gauche et la tétanie de la droite sur ce terrain. Bref, sur léchiquier politique, on le placerait sans hésiter à proximité de Philippe de Villiers et de Christine Boutin.
Ses convictions orientent évidemment son propos. Pas toujours de manière très heureuse ni nuancée. Il est indulgent avec les plus extrémistes de lAlgérie française, y compris lOAS. Il ne parvient pas à condamner lemploi de la torture en Algérie. Dailleurs, il narrive pas à écrire le mot ! Dans les douze lignes quil lui consacre, il la désigne successivement par «arracher des aveux», «interrogatoires du second degré», «méthodes daction clandestine» et «sale boulot». Exercice magnifiquement réussi sur le thème «tourner autour du pot». Il regrette à peine le coup dÉtat au Chili, un mal nécessaire selon lui. Il affirme quaucun slogan anti-homosexuels ne fut prononcé lors de la manifestation contre le PACS le 31 janvier 1999 à Paris. Enfin, Le Figaro magazine fut lun des rares espaces dhonnêteté et de lucidité intellectuelle et morale en France au cours des dernières décennies. Rien que cela !
À coté de ces considérations, on trouve beaucoup de passages pertinents. En fait, le livre lui même, est plutôt sensé, à défaut dêtre original. À partir dune documentation très solide, Jean Sévillia passe rapidement en revue plusieurs grands débats dans lesquels les intellectuels simpliquèrent activement. Adulation du totalitarisme communiste et de Staline. Engagement pour les mouvements de décolonisation, en refusant de voir queux aussi commettaient souvent des crimes. Passion pour la révolution au soleil, de Cuba au Cambodge et au Viêt-nam et à leurs dictatures. Hystérie individualiste et anti-sociétaire de Mai 68. Refus dadmettre les crimes des révolutions française ou russe. Déliquescence du débat (sic) intellectuel dès lors quil cherche à se médiatiser. La liste est longue. Bêtise, aveuglement, haine de la France, rhétorique agressive et disqualification des contradicteurs, confusion des valeurs, bien-pensance étouffante, multiples virages à 180°, etc. Les intellectuels, journalistes ou artistes cités ne sortent pas grandis de cette rétrospective ! Avec le recul, on reste stupéfait de tels mélanges entre intelligence et stupidité. On sétonne de la longévité en fonction de ceux qui se sont tant trompés sans vraiment de regrets, voire avec morgue.
Au magistère de «la Rive gauche», Jean Sévillia préfère le bon sens de la France profonde et de la majorité silencieuse. Pendant quils bataillent pour des causes nintéressant queux, les intellectuels empêchent tout débat sur les problèmes du pays. Il regrette par exemple que lon nait pas pu réfléchir sereinement aux conséquences de limmigration ou à la montée de la criminalité. Ce refus de la réalité a fait le lit du Front national.
Le constat des errements de nombreux intellectuels a déjà été fait et chaque citoyen peut le faire au quotidien. Il aurait donc été intéressant, plutôt que simplement citer, dessayer de comprendre ce phénomène. Pourquoi ces engagements en faveur de tant de causes aujourdhui condamnées ? Pourquoi cette haine de la France et du monde occidental ? Comment fonctionne ce milieu où lon peut (où lon doit ?) sans risques dire tout puis son contraire ?
On peut ne pas partager, loin de là même, les idées de Jean Sévillia et malgré tout reconnaître quil pose de bonnes questions. Il nest pas le premier à le faire. Il le fait sur un ton qui rappelle ce quil reproche à ses adversaires. Mais il le fait. Il y a une incontestable urgence à semparer, intellectuellement et politiquement, de questions graves pour lavenir du pays.
Antoine Picardat ( Mis en ligne le 17/03/2004 ) Imprimer
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